Entretien avec Thilde Barboni
"L'Histoire a toujours une influence sur le présent..."
Qui est donc ce mystérieux street artist qui signe D.O.W. et aide la police à combattre le crime ? Le jeune médecin Alexandra Bariankoff, alias Sasha, va croiser sa route par hasard lors d'une intervention chez un célèbre tatoueur, Aliocha, prisé de la jet set internationale autant que de la mafia russe. Aliocha va entraîner la jeune femme au coeur d'une terrible vengeance. De révélations en rebondissements, de manigances en trahisons, la mise en scène musclée dynamise une intrigue à suspense où l'ombre des tsars de l'ancienne Russie plane encore sur la mafia russe moderne. Le mystérieux D.O.W. devra affronter d'impitoyables adversaires pour défendre son nom, son passé et… son avenir.
Alors que Thilde Barboni nous avait habitués à des diptyques (Monika, Les anges visiteurs) ou des albums one-shot (Hibakusha, Rose d’Elisabethville) la scénariste surprend en s’attaquant à une série au long cours. Mieux, elle le fait en abordant pour elle un nouveau genre de récit, une aventure bourrée d’action flirtant avec le thriller et le polar bien dans l’air du temps. Gabor (Isabellae) adapte fort efficacement son dessin à ce contexte contemporain et Les ailes du loup, premier tome de D.O.W, s’avère convainquant et accrocheur. La scénariste nous en parle.
Avec D.O.W vous abordez à nouveau un genre différent de vos précédents scénarios…
Thilde Barboni : Oui. En fait je voulais écrire une série avec un héros « moderne », actuel. Cette envie était présente chez moi depuis longtemps mais je pense qu’il fallait attendre le bon moment. Si j’avais écrit une histoire de ce type il y a 10 ans, Aliocha n’aurait sans doute pas été tatoueur ni graffeur. J’avais aussi envie de mettre en scène un personnage qui se construise par lui-même. D.O.W ne dispose pas de super-pouvoirs. A la limite, une de ses caractéristiques est d’aimer voler et se déplacer dans les airs par différents moyens, ce qui lui permet de se rendre dans des endroits difficiles d’accès. Cet aspect-là sera davantage présent dans les prochains épisodes.
Quand on découvre les premières planches des Ailes du loup et l’action de D.O.W, il est difficile de ne pas penser à Banksy…
Effectivement, car on ne sait pas qui il est et il utilise son art pour dénoncer les dysfonctionnements de notre société. Et en même temps, il s’agit d’un artiste coté. D.O.W agit de la même manière, mais pour lui tout se complique assez rapidement…
Graff, tatouage, armoiries, œuvres d’art volées…vous scénarisez une BD mais l’image, sous différentes formes est très présente dans l’histoire en elle-même…
Je ne m’en suis pas rendue compte directement. Aliocha aurait pu avoir un autre métier, mais ce qui m’intéressait chez un tatoueur était la possibilité de lui faire fréquenter des gens de milieux très différents, de la star au mafieux en passant par quelqu’un d’ordinaire. Dans le tome 2 il rencontrera ainsi un pilote de F1 dont le rôle sera très important. Le graffeur permettait de dénoncer les crimes. Quant aux autres éléments que vous citez, ils se sont mis en place avec l’intrigue.
Je compare souvent un scénario de BD à une mécanique. Si en cours de route je réalise que ses différents engrenages ne s’enclenchent pas, j’abandonne le projet. Ici, les différents éléments pourtant très différents se sont mis en place de manière harmonieuse, ce qui m’a encouragé à continuer.
Vous insistez sur la nature très actuelle du héros, mais une partie de l’intrigue est enracinée dans l’Histoire du XXe S….
Plein de choses m’intéressent et j’ai horreur de m’ennuyer ! Or l’Histoire a toujours une influence sur le présent. Le XXe S. a été une période extrêmement agitée, et l’épisode de la révolution russe et du destin des Romanov m’a toujours intéressé.
Une part de mystère subsiste encore à ce sujet. En me documentant, j’ai découvert que beaucoup de Russes blancs avaient trouvé refuge à Nice. La ville compte d’ailleurs encore une église orthodoxe. Ces gens richissimes qui sont partis presque sans rien et ont connu un destin assez comparable à celui des réfugiés m’ont toujours impressionné. Quelle destinée, et quel courage, aussi, pour tenter de se reconstruire ailleurs après avoir fait partie de l’aristocratie d’un autre pays !
A la lecture des Ailes du loup, on a la sensation de ressentir deux rythmes différents. La première partie présente les personnages et laisse une place au mystère, puis tout se précipite. Recherchiez-vous ce contraste ?
Il existe plus de silences dans la première partie. En tant que lectrice, j’aime bien les BDs dans lesquelles on peut imaginer ce qui se passe entre les cases. Ici, le lien entre Aliocha et Sasha est très compliqué. Je suis psychologue clinicienne de formation et nous sommes tous très complexes. Mes personnages le sont aussi. J’aime ça, les personnalités complexes... Aliocha est bon, mais il a ses limites. Sasha, de son côté, présente une grande part de mystère. C’était intéressant de tenter de transmettre tout cela.
Comment s’est établie votre collaboration avec Gabor ?
J’ai écrit Les ailes du loup sans connaître le dessinateur qui en assurerait la mise en images. Dupuis en a contacté plusieurs, des essais ont été réalisés et puis l’éditeur m’a parlé de Gabor. Je le connaissais via la série Isabellae (scén. Raule – Le Lombard) mais celle-ci s’apparente plus à la fantasy. Encore fallait-il que le dessinateur puisse s’immerger dans un contexte urbain contemporain… Gabor a réalisé une planche et c’était OK pour moi comme pour l’éditeur. Gabor est espagnol, nous communiquons donc essentiellement via internet mais tout se déroule de manière très fluide. Il apporte ses idées, ses envies, on en discute en fonction de la suite de l’histoire et du rôle que pourra y prendre tel ou tel personnage, ou de la place qu’aura l’un ou l’autre élément, et ça fonctionne très bien. La toute première planche, par exemple, avec cette grande vue de Nice, était une envie de Gabor. J’avoue que ça m’a un peu effrayé -au vu du travail exigé- quand il m’en a parlé…mais quel résultat !
Lui fournissez-vous un scénario complet ?
Je lui fournis un scénario découpé et dialogué, mais non dessiné. Si une planche comporte six cases, je ne lui indique pas, par exemple, que la 4 doit être verticale… Le visuel revient au dessinateur, il est normal qu’il ait la liberté de la mise en scène.
Vous évoquez la suite de D.O.W, comment envisagez-vous la série ?
J’ai abordé son écriture en ayant en tête une grande série d’aventures. Ca implique une manière très différente de structurer le travail. On a une vue de l’histoire, du récit et on doit penser sur la longueur. Mais en même temps, le lecteur, lui, ne peut pas s’en rendre compte.
Le premier tome ouvre de nombreuses pistes, certains personnages qui ne font qu’y passer vont réapparaître plus tard dans un rôle plus important. De nombreux personnages ont leur propre histoire, qui pourrait -qui sait ?- être exploitable sous forme de spin-off… Je n’ai pas imaginé D.O.W comme un diptyque ou triptyque, en tous cas. Le tome 2 est terminé, le scénario du troisième album est écrit et après une petite pause j’entamerai celui du tome 4. J’espère vraiment que les lecteurs apprécieront. Jusqu’à maintenant les avis sont plutôt bons et j’en suis ravie. L’univers de la série est riche et pourrait nous conduire vers une dizaine de tomes et peut-être des spin-offs.
Quel a été l’impact de la crise du Covid-19 sur la programmation éditoriale de l’album ?
Très simple mais radical ! Les ailes du loup devait initialement sortir en mars, une semaine avant le confinement, mais nous avions un peu de retard à cause de la couverture... L’album a été reprogrammé en septembre, parmi de nombreuses publications, mais j’espère qu’il trouvera ses lecteurs et que ceux-ci entreront volontiers dans l’univers de D.O.W. Le tome 2 sera disponible au printemps 2021.
Propos recueillis par Pierre Burssens le 24 septembre 2020
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© Pierre Burssens / Auracan.com
Visuels © Gabor, Barboni / Dupuis
Photos © Pierre Burssens