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Entretien avec Laurent-Frédéric Bollée

« Un personnage qui est une sorte de vivant parmi les morts. À moins qu’il ne soit déjà un mort parmi les vivants ! »

Avec l’album Vésale, Bollée et Fawzi nous proposent un récit historique et expressionniste mettant en scène les deux médecins qui tentèrent de sauver le roi français Henri II. Focus sur un duel scientifique en compagnie du scénariste… 

Paris, le 30 juin 1559, Henri II participe au grand tournoi organisé pour célébrer le double mariage de sa sœur Marguerite de France avec le duc de Savoie, et celui de sa fille Élisabeth de France avec le roi Philippe II d’Espagne. Lors d’une joute, la lance de Gabriel de Lorges, comte de Montgommery, se brise puis transperce profondément le heaume du roi français. L’œil du roi est crevé et son cerveau est touché. 

Le chirurgien royal Ambroise Paré se rend au chevet du souverain inconscient. Mais la reine Catherine de Médicis fait appeler André Vésale, médecin du roi d’Espagne, considéré comme le plus grand anatomiste de son temps. Les deux médecins se livrent alors un duel scientifique, un face-à-face fascinant entre deux génies que tout oppose mais ici réunis dans une danse troublante avec la mort. 

Bollée et Fawzi brossent le portrait d’un homme tourmenté dialoguant avec les spectres qui peuplent ses cauchemars. Le style expressionniste du dessinateur offre un regard neuf et moderne sur la Renaissance, une vision renouvelée et pleine d’humour noir des célèbres planches anatomiques de La Fabrica, le traité de Vésale qui révolutionna la médecine. 

Pour Auracan.com, Laurent-Frédéric Bollée nous en dit plus sur cet étonnant et excellent one-shot publié par le label Passés/Composés…

Surprise de cette rentrée de septembre, nous vous retrouvons à l’écriture d’un album mettant en scène un énigmatique personnage : André Vésale, médecin du roi d’Espagne, qui va tenter de sauver le roi Henri II, contre l’avis du propre médecin personnel du monarque français, le célèbre Ambroise Paré…

Cela faisait quelques temps que j’avais mis Vésale « de côté ». J’avais découvert son existence en lisant un livre d’un ami chirurgien sur l’histoire de la médecine, et j’avais vraiment coché son nom en me disant que le bonhomme était « spécial » et mériterait bien qu’on s'intéresse à lui... Quand les éditions Passés/Composés m’ont contacté pour me proposer d'écrire un livre de leur nouvelle collection BD, j’ai repensé à cette figure qui dépeçait les cadavres et disséquait les corps à une époque où cela était encore souvent interdit... 

Voici un sujet puisé dans l’Histoire de France, domaine dans lequel vous n’avez que très rarement œuvré… Comment avez-vous eu vent de ce fait méconnu ?

Tout simplement en me documentant ! Je voyais avant tout un grand scientifique, un anatomiste majeur qui a révolutionné cette partie de la médecine, une des grandes sommités de son temps, doublé d’un homme qui m’apparaissait un peu austère et voilà que je me rends compte qu’il a été mêlé à cette histoire de l’agonie terrible de Henri II, en juillet 1559, qui avait reçu un bout de lance dans l’œil... D’où le fait que mon biopic soit en fait une sorte de pièce de théâtre ramassée sur dix jours, avec opposition frontale envers Ambroise Paré, qui était là aussi au chevet du roi.

Beaucoup de squelettes peuplent cet album – à commencer par cette tête de mort en couverture… Pourquoi un tel choix narratif et graphique, pour ne pas dire fantasmagorique, si ce n’est macabre ? 

Quand vous avez un médecin qui a passé sa vie à se passionner pour le corps humain, ses organes, son fonctionnement, et qui avait donc un goût très prononcé pour les cadavres et les dissections, on peut penser que le rapport au vivant et à la mort pour Vésale était un peu particulier. De plus, dans son grand livre De humani corporis Fabrica, on retrouve de grands dessins mettant en scène des corps disséqués et des squelettes pensifs par exemple... C’est franchement étonnant et fascinant, et j’ai donc appuyé en ce sens en proposant un personnage qui est une sorte de vivant parmi les morts – à moins qu’il ne soit déjà un mort parmi les vivants !...

Qu’est-ce qui vous a motivé pour écrire ce récit quelque peu à part dans vos productions habituelles ?

À partir du moment où votre éditeur vous donne pratiquement carte blanche pour lui écrire un album, vous avez déjà la vraie possibilité de vous « lâcher » un peu... Ici, c’est vrai, il y a pas mal d’images étonnantes et même « horribles », sur des blessures notamment... Mais l’époque était brutale, avec une autre conception de la médecine, et des connaissances encore parfois embryonnaires sur le corps humain. Mettre en scène des squelettes et montrer des opérations de chirurgie « gore » est en tout cas raccord avec le propos général. 

Pouvez-vous nous présenter Fawzi (Baghdadli de son nom), le dessinateur de cet album ? Comment avez-vous rencontré ce dessinateur et pourquoi lui avoir proposé ce sujet ? 

Je dois avouer que je ne le connaissais pas et que c’est bien éditeur Stéphane Dubreil qui l’avait « sous le coude »... Fawzi habite Angoulême et nous avons pu nous rencontrer alors que j’y passais une semaine début juillet 2021 – le contact a tout de suite été excellent et j’ai découvert un formidable illustrateur capable de tout dessiner ! Je lui ai ménagé pas mal de grandes planches « à fresque » où son talent s’exprime d’une manière assez incroyable, des planches qui là aussi sont raccords avec quelques dessins de La Fabrica... Beaucoup vont le découvrir en tout cas, c’est certain ! 

Rentrée oblige, vous avez d’autres actualités… Quelles sont-elles ? 

Trois albums sortent en ce mois de septembre avec, outre Vésale, la poursuite de ma reprise du personnage de Bruno Brazil. Nous en sommes déjà au troisième tome, et nous emmenons cette fois notre héros et une partie de son commando Caïman dans le grand Nord canadien, où les ours polaires ne sont peut-être pas le danger le plus grand... Avec Philippe Aymond, nous avons décidé de reprendre une partie de l’ADN du Brazil créé par Greg et William Vance, en proposant un récit complet.

Je vous proposerai aussi le premier tome d’une nouvelle série : H@cktivists, éditée chez Soleil, avec le dessinateur brésilien Geannes Holland. Dix hackers internationaux sont regroupés dans une cellule et tentent continuellement de débusquer des secrets cachés sur les serveurs du monde entier pour être des lanceurs d’alerte. À l’occasion d'une nouvelle tuerie de masse aux États-Unis, ils tombent sur des images de la construction d’un immeuble à Miami qui pourrait bien devenir une antenne du service de renseignement russe... Ils ne savent pas alors dans quel engrenage ils ont mis le doigt ! Je continue sur d’autres projets bien sûr, et ce sera en 2023 que je reviendrai à ma veine « roman graphique »... 

Autres entretiens avec LF Bollée parus sur Auracan.com : à propos de sa reprise de la série Bruno Brazil avec Philippe Aymond d'après la création de Greg et William Vance (2020), de son roman graphique Terra Australis (2013) et de sa série L'Ultime Chimère (2008).

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