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Entretien avec Delaf et Dubuc

Marc Delafontaine, alias Delaf , et Maryse Dubuc sont Québécois. Ils viennent de publier aux éditions Dupuis Pour qui tu te prends   ? , premier volume des Nombrils . C'est sous une neige rappelant leur pays que nous les avons rencontrés pour vous…

Quel est votre parcours jusqu'à ce premier album des Nombrils  ?

Delaf  : Quand nous nous sommes rencontrés, Maryse et moi, nous avons su tout de suite que nous voulions réaliser un projet de BD. Mais nous sommes Québécois et le marché de la bande dessinée au Québec est très petit. Il nous a fallu attendre un moment avant de concrétiser cette envie. Nous avions monté un premier dossier il y a quelques années. Nous l'avions présenté à différents éditeurs européens. Sans succès…


Jenny et Vicky

Dubuc : Finalement, c'est un éditeur québécois qui l'a accepté. Nous aurions pu le réaliser. Mais en y réfléchissant, vu le public réduit, compte tenu du temps qu'il aurait fallu pour le produire, du petit tirage (un millier d'exemplaires), et de la faible avance proposée (500 dollars), on a décidé de laisser tomber.
Delaf  : Nous n'avons pas regretté ce choix, car il est préférable de prendre son temps et d'arriver avec quelque chose de plus mature. Nous avons donc commencé à faire nos armes dans le dessin animé et l'illustration scolaire. Maryse a écrit des livres jeunesse. Les Nombrils est l'aboutissement du rodage opéré avec ces travaux.

Avez-vous rencontré des difficultés particulières dans la création des Nombrils ?

Dubuc : Avant de pouvoir monter le projet des Nombrils, la difficulté qu'il fallait vaincre, c'était de travailler ensemble. Il a fallu trouver la façon de collaborer. Dans un couple, ce n'est pas si évident. La vie privée s'entremêle avec la création. Il faut être capable de critiquer le travail de l'autre sans se fâcher.


Les Nombrils sont publiés dans Spirou depuis le n°3501. Ici, en couverture du n°3513

Comment est née la série ?

Delaf  : Nous sommes partis du titre pour mettre en place le projet. Nous avons souvent procédé comme cela avec Maryse. Pour ses romans jeunesse, on faisait des séances de brainstormings durant lesquelles on définissait le thème et le titre. C'est comme si le titre nous permettait de définir une partie de l'univers.
Dubuc  : A la base, avec les Nombrils, on cherchait surtout une BD pour plaire aux gars. Car cela devait être publié dans le magazine Safarir, dont le public est essentiellement masculin.
Delaf  : Nous nous sommes dits : « Des filles sexy, ça va plaire aux gars ! ». Safarir ne nous imposait pas vraiment de limites. Finalement, on a fait 6 planches pour ce magazine.
Dubuc  : C'est Marc Cuadrado qui nous a conseillé de proposer le projet chez Spirou. On avait l'impression que s'ils l'acceptaient, ils nous demanderaient de faire beaucoup de concessions, de rajeunir, d'adoucir, de rendre le ton plus gentil.


Les Nombrils sont toujours publiés au Québec
dans le magazine Safarir

Delaf  : On n'a pas eu besoin de se censurer, ce qui nous a étonnés. Spirou a accepté le projet en nous disant « surtout pas de censure, allez-y, lâchez-vous. ».
Dubuc  : Cela donne un ton. A la limite si une planche est un peu trop osée pour être dans Spirou, elle peut être dans l'album sans être prépubliée. Ce n'est jamais arrivé.

Comment sont apparus les personnages Jenny, Vicky et Karine ?

Delaf  : Au départ, il y avait seulement les deux pestes, Jenny et Vicky. Karine, qui est un peu leur souffre-douleur, nous ne l'avons imaginée que plus tard. Nous ne voulions pas d'une petite grosse, pour ce personnage, c'était trop cliché. Tous les gags que peut amener la douleur psychologique que l'on impose à Karine, ça nous fait assez rire. Jenny est plus suiveuse. Elle fait ce que Vicky lui dit de faire.
Dubuc  : Mais cela se développe au fil de l'album.
Delaf  : Vicky est consciente de sa méchanceté. Tandis que Jenny pas.


Karine

D'où vient votre inspiration ?

Dubuc  : Des répliques que l'on entend autour de nous. Ou d'une réplique qu'on va penser sans oser la dire. On va essayer de la travailler pour la rendre encore plus forte.
Delaf  : Alors, on se dit : « Comment utiliser cette réplique pour la faire retomber sur Karine ? ». Parfois on part de la chute pour construire le gag.
Dubuc  : On essaie de varier. Parfois on a envie de créer un gag qui va se passer dans un lieu spécifique. Un endroit propre à l'adolescence. Un cinéma, une discothèque…
Delaf  : Il n'y a pas vraiment de recette. Quand on a commencé, on s'est dit : « mais je ne sais pas faire un gag ». Ca a l'air facile, mais ce n'est pas si simple que cela. C'est une mécanique très fragile…

Le graphisme des Nombrils est un peu particulier, notamment avec ces bras « spaghetti ». D'où cela vient-il ?

Delaf  : Je cherchais un graphisme qui pourrait me changer de ce que j'avais l'habitude de faire. Comme j'avais fait beaucoup de dessins animés, j'avais l'habitude de dessiner dans différents styles. Du coup, je ne savais plus très bien comment moi je dessinais. En faisant le design des Nombrils, j'essayais de me surprendre. L'idée d'une ligne assez fluide s'est rapidement imposée d'elle-même. Au niveau du trait de pinceau, il y a peut-être une influence de Dupuy & Berbérian que j'aime beaucoup. On lit beaucoup ce qu'Hugues Dayez appelle la nouvelle BD. Je ne sais pas jusqu'à quel point cela transparaît dans ce qu'on fait. Notre bagage n'est pas vraiment dans le tout public. Tant au niveau des histoires que du graphisme. Etant acceptés dans le tout public, cela nous a donné envie de voir tout ce qui s'y faisait, mais ce n'était pas un réflexe avant.

Vous travaillez les couleurs sur ordinateur ?

Delaf  : Tout est réalisé sur ordinateur. Aussi bien le dessin que les couleurs. Maryse réalise les couleurs avec Photoshop à 90%, je mets ma touche personnelle dans les 10% qui restent. La première fois que la planche touche le papier, c'est quand elle est publiée.

Propos recueillis par Marc Carlot en janvier 2006.
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Photos des auteurs © Marc Carlot 2006 / DR
Visuels Les Nombrils © Delaf, Dubuc, Dupuis
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Marc Carlot
10/02/2006