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Entretien avec Stefano Casini

Stefano Casini
Stefano Casini

Pour la sortie du troisième album de Hasta la victoria ! aux éditions Mosquito, Auracan a interrogé l’auteur italien Stefano Casini, pour en savoir plus sur le moteur de cette superbe série.

En Italie, vous travaillez sur une série de science-fiction. Mis à part les thèmes de quelques albums publiés en France, pourquoi une série qui se passe à un moment charnière de l’histoire de Cuba ?
Je l’ai fait, car il s’agit d’un moment historique particulier, qui, pour la première fois, a changé le destin d’un peuple d’Amérique latine et l’a affranchi des puissances et des intérêts qui, jusqu’alors, l’avaient exploité. Alors que les autres pays de cette région durent attendre des décennies pour voir l’aboutissement de leurs rêves d’indépendance aussi bien économique que morale. Quelques-uns de ces pays sont en train de se « réveiller », mais, pour beaucoup d’autres, c’est toujours une chimère. À cette époque-là, Cuba est arrivé à l’autodétermination grâce à sa Révolution ; il me semblait important de mettre en scène cette phase historique.

Avez-vous un lien particulier avec cette île ?
Quand j’ai commencé à écrire cette histoire, je n’avais pas de liens spéciaux avec Cuba. À présent, j’ai un rapport très particulier, grâce aux amis que je me suis faits au cours de mon voyage de repérage là-bas.

Ce n’est donc pas à proprement parler une série historique… Quel regard portez-vous sur la réalité cubaine actuelle ?
Cuba, malgré ses erreurs et ses nombreuses contradictions, est un pays qui a résisté, résisté à un embargo très dur et injuste, résisté avec ténacité à des attentats terroristes sans que personne dans le monde ne lève le petit doigt. Cuba a résisté et continué sur sa voie même après l’écroulement du « communisme » et a dû affronter d’énormes difficultés et privations, cela reste un exemple pour de nombreux pays qui aimeraient trouver leur propre voie économique et politique, pour sortir de ce que beaucoup appellent la « pensée unique ». La voie empruntée par un capitalisme néolibéral sauvage et sans scrupules.

Dans le premier tome, la réunion des parrains de la mafia, qui, pour au moins une partie, ont des noms réels, a réellement eu lieu. C’est cette fameuse réunion qui a permis de prouver l’existence de la mafia italienne… Mais pourquoi ces quelques planches ?
Vous avez raison, cette réunion a effectivement eu lieu, et l’arrestation des chefs mafieux (libérés ensuite rapidement) est un épisode d’histoire véridique, ces pages ont pour but de remettre dans le contexte le rôle de Meyer Lansky et de Trafficante dans la main mise de la mafia sur l’économie cubaine. Il était important de montrer que les investissements affluant sur l’île n’étaient pas seulement ceux du gouvernement américain, et que les malfrats entretenaient des liens directs avec le pouvoir en place. Mais je ne pouvais pas non plus trop approfondir cet aspect-là des choses : il aurait fallu écrire dix volumes ! Et cela m’aurait éloigné trop de la problématique qui me tenait à cœur.

Il y a un décrochage assez brutal par rapport à l’histoire elle-même. Juste pour cadrer la situation de corruption à Cuba ?
Effectivement, j’ai voulu faire comprendre les relations, les enjeux, les tensions qui existaient entre les chefs de clan, afin de me concentrer dans un second temps sur ceux qui, comme Meyer et Lansky, s’étaient construit leur petit paradis grâce à des liens avec les plus hauts fonctionnaires du pays.

À en juger par le nombre de personnages réels, tels que Fangio, on se pose des questions sur beaucoup d’autres, à commencer par le docteur Herman de Olivera. A-t-il aussi existé ? La plupart des acteurs de cette série sont-ils réels ?
Herman de Olivera tout comme les protagonistes de l’histoire sont tous fictionnels, l’idée étant de les faire se mouvoir dans un contexte réel et, par moment, au contact de personnages réels, bref le classique mélange entre l’Histoire et la fiction. Pour ce qui est de l’épisode de Fangio, c’était presque trop facile, toute cette histoire semblait avoir été écrite pour faire une bande dessinée. Dans les autres volumes de la série, les faits relèvent de la fiction, même s’il y a toujours des connotations historiques précises. Dans le dernier tome, on suivra par exemple certaines batailles de la révolution.

Votre personnage principal est un marin de commerce moitié italien mais surtout moitié français, corse par sa mère, qui a participé à une guerre, en uniforme. Mais vous n’en dites pas beaucoup sur ce sujet. Pour quelle raison ?
Je n’ai pas envie de trop dévoiler le héros, je pense qu’il est important que le lecteur fasse lui aussi un petit effort pour imaginer la personnalité et les motivations du personnage.

On a l’impression que les personnages valent pour l’Histoire, que les protagonistes, même secondaires, portent l’Histoire, pris dans un tourbillon qui les emporte. Cherchez-vous à montrer comment des individus peuvent réagir dans une situation « forte » ? S’impliquer presque par défaut…
Je n’aime pas les héros taillés tout d’un bloc, cela me paraît sonner creux et faux, je ne pense pas que l’on naisse héros, on le devient par un enchaînement de faits particuliers, et c’est ce que j’aime construire : des situations qui transforment un personnage ordinaire en un être hors du commun. En outre, je pense que les personnages secondaires permettent de mieux définir les personnages principaux et, surtout, de mieux faire comprendre le contexte dans lequel ils évoluent. Quant à la réaction de d’individus dans une situation forte, ce sont les situations critiques qui servent de révélateur à ce que nous sommes et ce que nous sommes capables de faire. Dans la vie, il y a des moments d’accélération imprévus qui nous poussent à agir. Mes histoires fonctionnent sur ce principe.

En arrière-plan, les États-Unis sont très présents, notamment via les célébrités. Mais vous évoquez aussi les liens troubles entretenus par ce pays avec la mafia…
Durant près de soixante ans, Cuba a été sous la coupe des Etats-Unis, de même que tous les pays d’Amérique latine. De plus, c’était un endroit de divertissement, une sorte de Las Vegas des Caraïbes, on y croisait donc des vedettes d’Hollywood et des mafieux de la pire espèce et, comme on dit, quand on mange une pomme véreuse, parfois on avale aussi le ver !

Moonlight Blues était un récit en noir et blanc. Cette fois, vous avez choisi la couleur. Celle-ci était-elle nécessaire pour traduire l’ambiance ?
Oui, si le jazz des années 40-50 est, au moins dans mon imaginaire, marqué par les noirs et les gris des films de Robert Siodmak ou de Howard Hawks, pour Cuba, je ne me voyais pas faisant l’économie des couleurs chaudes des Caraïbes.

Dans le prolongement, vous semblez aimer la musique, mais vous ne l’évoquez que peu ici…
C’est vrai, mais cela vient du fait que l’histoire se concentre plus sur les aspects dramatiques de la période que sur le divertissement, mais, quand il était possible de l’évoquer en contrepoint, j’ai tenté de le faire.

Le dessin des planches est très différent des couvertures. Pourquoi faire appel à deux techniques différentes ?
Le but recherché est différent : une couverture doit représenter, le dessin à l’intérieur doit raconter. Pour ce qui est de la différence d’aspect, cela est dû à ce que la méthode de travail est différente : l’intérieur est réalisé à l’encre de Chine, ce qui donne un aspect plus dur et plus tranché que le trait au crayon utilisé sur la couverture. La diversité n’est-elle pas une richesse ? Et puis, bien souvent, les couvertures sont réalisées avec des techniques différentes des planches intérieures.

Est-ce dû à la nécessité de respecter les délais ?
Sûrement, je travaille depuis des années sur deux fronts et je peux vous garantir que c’est épuisant, d’un côté en Italie comme dessinateur pour Bonelli et de l’autre comme auteur complet avec mes propres histoires pour Mosquito et d’autres. Pour tout cela, il faut du temps et planifier les choses. En tant que professionnel qui aime respecter mes engagements, je me dois de trouver le juste équilibre.

Propos recueillis par Mickael du Gouret en janvier 2008
La rédaction d’Auracan.com remercie vivement Michel Jans, des éditions Mosquito, pour sa traduction franco-italienne
© Mickael du Gouret / Auracan.com
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Photo de l'auteur © DR
Visuels © Stephano Casini / Mosquito
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Mickael du Gouret
28/01/2008