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Entretien avec Christian Cailleaux

Christian Cailleaux

Les marins ne sont pas des hommes comme les autres. S’ils apprécient la vie à terre, ils sont faits pour vivre sur la mer. Sans embarquements, point d’escales riches de rencontres amoureuses et charnelles… Avec R97. Les hommes à terre (Casterman), le dessinateur-voyageur Christian Cailleaux signe un album magnifique né de sa grande complicité avec Bernard Giraudeau - l’acteur, le réalisateur et, surtout, l’homme de lettres, membre du corps des Écrivains de Marine. Pour Auracan.com, Christian Cailleaux nous évoque cet album-événement dont votre site préféré présente les 12ères pages en exclusivité !

Quelle est la genèse de votre nouvel album ?
Après avoir terminé la trilogie des Imposteurs chez Casterman, je n’avais pas de projet particulier à part Tchaï Masala, mon album sur l’Inde (éditions Treize Étrange), mais Casterman et moi souhaitions poursuivre notre collaboration. J’ai rencontré Bernard Giraudeau en 2005 au festival Étonnants Voyageurs à Saint-Malo, et nous avons immédiatement décidé de travailler sur un projet commun. Il m’a dit ne rien connaître à la BD. Mais c’est un homme d’images et de mots, un excellent réalisateur et je n’étais pas inquiet. Dès lors, entre nos voyages et nos projets respectifs, nous avons avancé à notre rythme en nous retrouvant régulièrement. Casterman nous a suivis dès le début et a été patient ! Pourvu qu’ils se sentent récompensés !

Comment présenteriez-vous R97. Les hommes à terre ?
Pour moi, c’est le récit de la découverte. Un jeune garçon - il a 17 ans - embarque pour son premier tour du monde sur un énorme bâtiment de la Marine Nationale. Au cours de ce périple, il quitte l’enfance et va découvrir quel homme il est, en même temps que le monde et les femmes ! C’est donc un roman d’aventure avec des petites pépées et de l’exotisme ! Sauf qu’il y a en plus l’écriture de Bernard Giraudeau, pleine de force brute et de poésie, pour raconter cette communauté d’hommes dans les entrailles grises et huileuses du navire, et les escales dans les ports et les bouges à l’autre bout du monde.

Bernard Giraudeau
Bernard Giraudeau à bord du Jeanne d'Arc

Que signifie le sigle « R97 » ?
« R97 » est tout simplement l’immatriculation du porte-hélicoptères « Jeanne d’Arc ». On peut la voir peinte en blanc sur ces flancs.

Comment avez-vous eu l’idée de collaborer avec Bernard Giraudeau ?
J’ai eu envie de travailler avec quelqu’un afin de changer un peu de « langue », de « son », de ne plus être dans la même façon personnelle de raconter des histoires. Cependant, je souhaitais ne pas avoir affaire à un scénariste de BD, préférant inventer une relation particulière plutôt que d’être dans des automatismes de travail qui n’auraient pas été les miens. Et puis, j’avais envie d’une rencontre qui ait un sens au-delà du projet professionnel, toujours dans le souci de lier ma vie d’homme à mon travail. J’ai donc pensé à Bernard Giraudeau dont j’admire le parcours, mais également parce que je soupçonnais que nos voyages et nos envies pourraient trouver là un terrain d’entente. Par exemple, il a fait ce film que je trouve admirable, Les Caprices d’un Fleuve, or j’ai une affection toute particulière pour Saint-Louis du Sénégal où j’ai écrit Le Troisième Thé. Je lui ai donc envoyé mes livres en lui proposant simplement de nous rencontrer, sans projet préconçu. Aussitôt, il m’a répondu que mon travail lui plaisait et nous nous sommes retrouvés pour imaginer ce que nous ferions ensemble…

Étiez-vous lecteur de ses ouvrages, notamment de son roman Le Marin à l’ancre (éditions Métailié) et de son recueil de nouvelles Les Hommes à terre dont se nourrit votre album commun ?
Non, je n’avais encore rien lu, et son ouvrage Les hommes à terre venait tout juste de paraître. C’est lui qui m’a suggéré de le lire pour voir si des passages me donneraient des envies de dessins. Nous cherchions quoi faire ensemble… Nous savions déjà que nous avions envie de travailler tous les deux, que ce serait une histoire de voyages et de mer, mais nous n’en savions pas plus que ça !

De quelle façon avez-vous préparé cet album ? Quelle fut votre méthode pour sélectionner tel passage et en écarter tel autre ?
Nous avons rapidement choisi de raconter un tour du monde, une circumnavigation telle que le PH « Jeanne d’Arc » les entreprenait à l’époque où Bernard fut mécanicien à son bord (1964-1966, ndlr). J’ai donc élaboré assez rapidement un trajet et choisi des escales. Certaines étaient dans ses livres, d’autres étaient à inventer. Avec ce canevas simple, nous avons tricoté et aménagé le reste, modifié la navigation selon ce que nous voulions raconter ou selon la logique d’une telle expédition.

De quelle manière Bernard Giraudeau s’est-il impliqué dans ce projet ?
Quelle belle surprise ! Bien sûr, en envisageant une telle collaboration, on redoute un peu de se retrouver à faire le travail tout seul… Il n’en fut rien. Pas une seule ligne n’a été écrite par moi et Bernard s’est impliqué du début à la fin dans l’aventure. Il a aimé cette forme de narration nouvelle pour lui, avec des images fixes, et l’écriture qui est désormais sa passion. Techniquement, j’ai fait un crayonné très rapide de l’ensemble de l’album avec de faux dialogues ou des extraits de ses livres, puis nous passions des jours ensemble pour aménager et reprendre tout cela afin qu’il se l’approprie. Étant peu familier de la BD, il était essentiel que nous soyons côte à côte pour faire fonctionner les textes et les images ensemble.

Bernard Giraudeau, dans les pages de son ouvrage Les Hommes à terre (éditions Métailié), se souvient et s’inspire de sa propre expérience remontant à l’époque où il était marin d’État. Savez-vous dans quelle mesure les péripéties narrées dans votre album sont véridiques ou imaginées ?…
Je n’ai jamais voulu lui poser cette question ! J’aime l’idée qu’on ne sache pas ce qui est vrai de ce qui est racontars de marins. Le doute subsiste constamment à la lecture de ses romans et je serais heureux qu’il perdure avec cette bande dessinée… C’est le sujet même de l’histoire : faire de sa vie une aventure ! Et c’est, selon moi, l’essence même de la littérature.

Christian Cailleaux sur le Jeanne d'Arc
Christian Cailleaux sur le porte-hélicoptères Jeanne d'Arc

Pouvez-vous revenir sur vos séjours à bord du porte-hélicoptères « Jeanne d’Arc » en 2005 et 2006 : quels souvenirs en conservez-vous ?
Une sacrée expérience ! Quelques moments marquants : l’arrivée devant la « Jeanne » alors que le jour se levait sur l’arsenal de Brest, exactement comme dans la première scène de R97 ; les vols en hélicoptère de combat en plein milieu de l’Atlantique ; les nuits dans la bannette (couchette, ndlr) bercé par les flots sombres qu’on sent juste de l’autre côté de la cloison ; la mer et le ciel immenses depuis le poste de vigie ; et bien sûr l’arrivée à New York avec le passage devant la statue de la Liberté comme l’ont découverte les émigrants du siècle dernier. On rejoint alors des rêves de gamin, d’autant plus que c’était un jeu pour moi sans que je n’aie eu à signer un engagement de trois ans, moi qui goûte assez peu la chose militaire ! J’ai bien fait mon service, mais c’était en civil dans un centre culturel français en Afrique centrale…

Quelles furent les réactions des marins lors de votre traversée ?
Le PH « Jeanne d’Arc » est un bateau à part puisque qu’au titre d’ambassadeur de la Marine Nationale il reçoit souvent des invités, écrivains ou peintres de Marine, journalistes ou personnalités. Probablement trop au goût de certains… mais la plupart se réjouissent de ces rencontres. J’ai eu la chance de rester plus de quatre semaines avec l’équipage et, après quelques jours d’observation prudente, ils ont dû considérer que j’étais admis à bord. Dès lors, j’ai fait quelques très belles rencontres et certains marins, officiers ou matelots, sont devenus des amis. Le privilège dont je disposais était de pouvoir aller partout librement, du poste de commandement aux machines, alors que les relations de l’équipage entre eux sont très cloisonnées et bien des marins ne se rencontrent jamais en six mois de mission. Moi, j’ai pu fêter la Sainte-Barbe avec les artilleurs, déjeuner à la table du commandant et boire l’apéro avec les vieux officiers mariniers. J’ai bien failli me faire « secouer » un peu par un mécano de deux fois ma taille qui n’avait guère apprécié que je marche juste là où il venait de passer la serpillière dans une coursive ! C’était mon premier matin à bord et j’ignorais que l’on se doit d’emprunter le côté sec lors du « poste de propreté »… J’ai dû payer ma tournée et nous avons bien rigolé ensemble pendant tout le reste de la traversée !

Maintenant que l’album est bouclé, que retenez-vous de cette collaboration ?
De très belles rencontres et en particulier, bien sûr, celle avec Bernard. Nous resterons liés, c’est certain. Et puis évidemment le voyage magnifique que cela m’a offert, autant celui sur la « Jeanne » que celui dans un récit maritime et différent de tout ce que j’avais fait jusque-là. Pour ces raisons, il m’a d’ailleurs fallu chercher des solutions graphiques et des remises en cause, ce qui est le moteur de mon métier et la quête qui le rend passionnant. Tout cela va ensemble et c’est ce dont je parle quand j’évoque l’idée de lier ma vie à mon métier.

De quoi traitera votre prochain ouvrage ?…
Je commence tout juste à me concentrer sur une biographie romancée de Boris Vian que m’a proposée mon ami scénariste Hervé Bouhris. Cela s’appellera Piscine Molitor et sera publié en 2009 dans la collection « Aire Libre » de Dupuis. Entre temps sera publiée par Casterman une édition intégrale des Imposteurs.

N’avez-vous pas envie de retravailler avec Bernard Giraudeau ?
Bernard et moi allons laisser sortir cet album et même si nous avons déjà parlé plusieurs fois de poursuivre cette collaboration, nous aurons besoin de lui trouver un sens pour continuer à ne prendre que du plaisir. Rien de définitif donc…

Bernard Giraudeau et Christian Cailleaux
Bernard Giraudeau et Christian Cailleaux sur le Jeanne d'Arc

À l’occasion de la sortie nationale de R97. Les hommes à terre au Festival Livre & Mer 2008, le rendez-vous littéraire de Concarneau vous consacre une exposition. Aimez-vous montrer vos dessins originaux au public ?
Je le fais rarement, car je ne souhaite pas particulièrement montrer les secrets d’un album. Je considère, en tant qu’auteur, que ce que je voulais raconter se trouve dans le livre comme objet fini. Cependant, appréciant moi-même de voir des planches originales de dessinateurs, je comprends que les gens aient du plaisir à les découvrir et cela ne me pose pas plus de problèmes que cela. D’autant qu’elles seront présentées au bord de la mer !

Propos recueillis en exclusivité par Brieg F. Haslé en mars 2008
© Brieg F. Haslé / Auracan.com
Tous droits réservés. Reproduction interdite sans autorisation préalable
Visuels © Cailleaux - Giraudeau / Casterman
Photos de Christian Cailleaux et Bernard Giraudeau à bord du PH « Jeanne d’Arc » © Tian

A visiter : le site de Christian Cailleaux

Sortie nationale de R97. Les hommes à terre
a
u 24e Festival Livre & Mer
où Christian Cailleaux dédicacera son nouvel album
10.11.12.13 avril 2008 - Concarneau (Bretagne, France)
Exposition « R97. Les hommes à terre » de Christian Cailleaux
en partenariat avec Auracan.com et les éditions Casterman
Festival Livre & Mer - Concarneau 2008
Auracan.com est partenaire du rendez-vous littéraire du monde maritime
www.salondulivremaritime.fr
Découvrez en exclusivité sur Auracan.com les 12 premières planches de R97. Les hommes à terre !
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Brieg F. Haslé
26/03/2008