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Entretien avec Laurent Bidot

Laurent Bidot

A 41 ans, un look réservé et classique, Laurent Bidot est l’un des rares auteurs complets de bande dessinée à réaliser scénario, dessin et couleurs. Après avoir achevé sa 1ère série, en 4 tomes, Le Linceul dans la collection Loge Noire et l’histoire du Mont Saint-Michel, il démarre une nouvelle série l’éternel toujours chez Glénat. Rencontre avec un humaniste attachant et talentueux aimant à « mettre en scène un spectacle divertissant ».

L’éternel – mûrissement  d’un grand projet

Après s’être penché sur la symbolique de la relique dans le Linceul, Laurent Bidot évoque cette fois-ci le processus de la canonisation des saints.
« C’est en effet la toile de fond deux premiers tomes de L‘éternel, mais le thème plus général de la série est la longévité. Dans L’éternel il se pourrait qu‘un homme ait une durée de vie hors du commun. Or cette particularité est un secret très lourd à porter. Son cas intéresse beaucoup de monde. Dans le passé, on pensait que c’était une manifestation de Dieu ou du diable, mais aujourd’hui c‘est une énigme scientifique pleine de promesses. Dieu n’est pour pas grand chose dans L‘éternel. C’est une aventure humaine dans laquelle richesse, savoir et pouvoir sont les protagonistes. »

L’éternel commence comme un thriller, une énigme autour d’un inconnu à bout de souffle et pourtant toujours en vie.
« Une route de montagne, la nuit, une voiture qui arrive et manque d’écraser un corps inanimé au milieu de la route. Hasard de la vie, le chauffeur de la voiture est un historien spécialisé dans les questions religieuses, et son épouse est pédiatre. Elle examine rapidement l’homme inconscient. Il souffre d’épuisement. C’est un colosse au corps couvert de cicatrices et de marques de coups violents. Ils témoignent d’une vie de combat. Cinq chasseurs le traquent comme un ours jusque dans un étonnant gouffre où il se réfugie. L’éternel, c’est un peu le Petit Poucet qui serait devenu grand. Il récupère ici un médaillon, là un parchemin médiéval, une ampoule-reliquaire… »

Un scénario qui a demandé beaucoup de travail.
« J’ai bien dû en écrire une vingtaine de versions avant d’être satisfait. Ça ne m’a pas empêché d’écarter 14 planches dont la couleur était pourtant faite. Je voulais à tout prix que le récit gagne en efficacité. »

Une série longuement mûrie.
« J’ai ce projet en tête depuis 10 ou 12 ans. A cette époque je ne faisais pas de bande dessinée. Sa forme a évolué au fil du temps. Même si l’éternité occupe une place à part dans toutes les religions, mon point de départ est certainement la légende du « Juif errant » et les récits évoquant le mystérieux Comte de Saint-Germain. »

Si le thème de la série est ambitieux, le nombre d’épisodes dépendra de l’accueil du public.
« Je n’ai pas encore fixé de nombre d’albums car je travaille sur des albums indépendants les uns des autres. J’ai noté des idées pour un album après ce premier cycle mais ma priorité immédiate est Le sang du martyr (le tome 2 de L‘éternel). »

L’un des protagonistes porte le nom de Thomas Landon, très érudit en matière religieuse. Petit clin d’œil au héros du Da Vinci Code, Robert Langdon.
« Thomas Landon rencontre Dan Brixman, un écrivain américain qui doit son succès à ses romans ésotériques… Oui, je me suis effectivement amusé à créer des personnages faisant référence à ce phénomène de librairie des année 2000. Le très catholique Thomas ne veut pas entendre parler du très sulfureux Dan. Finalement, ils travailleront ensemble. »

Un peu comme Didier Convard [créateur de la collection Loge Noire] et Laurent Bidot ?
« Didier Convard n’intervient pas dans la création. C’est très délicat de sa part. Sylvain David (qui suit l’avancement de mon travail chez Glénat) et lui sont mes premiers lecteurs. Sylvain m’a beaucoup aidé alors que je tâtonnais pendant la création de L’éternel il y a un an. »

L’éternel ouvre une nouvelle voie.

Laurent Bidot doute parfois sur son travail. Le nouvel album marque un réel progrès graphique et scénaristique.
« Merci d’observer cette évolution. J’ai senti aussi que je m’affranchissais sur L‘éternel. C’est difficile à gérer le doute car c’est à la fois un extraordinaire outil pour progresser et c’est aussi un redoutable outil de destruction. Seul aux commandes, je n’ai pas le moyen d’échanger des points de vue. Je cherche à progresser album après album car je n‘ai rien d‘un auteur surdoué. Je suis un artisan laborieux. »

Avec une utilisation accrue de l’outil informatique.
« L’ordinateur est un outil bien pratique, mais comme tout outil artistique, il faut se l’approprier. Pour L’éternel, j’ai scanné mes dessins au crayon, puis je les ai « nettoyés » pour ne garder que les noirs qui m’intéressaient afin de les densifier. Ce noir dense est devenu « l’encrage » avec l’avantage de garder la spontanéité du premier jet. Avant cela mon encrage à la plume et à l’encre de chine donnait une ligne « classique » assez banale et après bien des tâtonnements ce système me plaît car il allie rapidité avec le souci de bien faire dès les premiers traits. C’est Didier qui m’avait suggéré cette direction dès le premier tome du Linceul. J’avais essayé et puis je m’en étais détourné pour finalement y revenir. »

Parmi les autres projets, une envie d’écrire un album sur le Mont Blanc dont Laurent Bidot a fait l’ascension l’an passé.
« L’arrivée au sommet m’a beaucoup ému. C’est un projet que j’aimerais traiter dans l’esprit d’un album de Lax dont j’ai énormément aimé la justesse: L’aigle sans orteil. J’aimerais raconter la première ascension du Mont-Blanc par Paccard et Balmat au XVIIIe siècle. Le premier était médecin. La « première » l’attirait, la curiosité de l’expérience scientifique aussi. Le second était un homme de la montagne taiseux, dont la vie était tournée vers le bétail et l’extraction des minéraux. L‘intellectuel et le pragmatique. C’est une drôle d’aventure qu’ont vécu ces deux hommes quand on sait qu’à cette époque on pensait que des monstres peuplaient la « sommité ». Il s’agissait en réalité du craquement des séracs. J’attends le bon moment pour le faire. J’ai aussi le projet de bande dessinée humoristique sur le Pape. Il y a quelque chose à faire loin des clichés irrévérencieux. »

Propos recueillis par Manuel F. Picaud en avril 2008
Tous droits réservés. Reproduction interdite sans autorisation préalable.
Photo de l’auteur © Manuel F. Picaud / Auracan.com
Visuels © Laurent Bidot / Glénat
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Manuel F. Picaud
15/04/2008