Auracan » Interviews » Entretien avec Mig et Hervé Richez

Entretien avec Mig et Hervé Richez

Hervé Richez et Mig
Hervé Richez et Mig

Après les trois premiers tomes du Messager (Bamboo, collection Grand Angle), le scénariste Hervé Richez et le dessinateur Mig inaugurent le deuxième cycle de leur série mettant en scène le Père Gabriel, ex garde du corps de choc du président américain. Un drôle de parcours pour un héros sur lequel Brieg F. Haslé revient en compagnie des auteurs…

Quel a été le succès des trois premiers tomes du Messager ?
Mig : Le premier cycle a plutôt bien marché, ce qui est encourageant. D’ailleurs, en fin d’année dernière, une version néerlandaise est sortie en Belgique, ainsi que le premier cycle de Sam Lawry. Mais ce n’est pas vraiment ce succès qui m’a poussé à continuer. Il existait une première version du deuxième cycle, mais je ne m’y retrouvais pas. Comme pour Sam Lawry, j’avais envisagé que la suite soit reprise par un autre dessinateur. Mais c’était sans compter sur les talents d’Hervé ! Il a remanié le scénario en y intégrant une grande part émotionnelle sur les personnages principaux. Je ne pouvais pas laisser ça à quelqu’un d’autre, il y a plein de passages que j’ai hâte de mettre en scène. J’espère que je réussirai à transmettre cette émotion.

Gurzmann
Gurzmann

Aviez-vous prévus dès le départ de développer plusieurs cycles ?
Mig : Bien que l’histoire ne se composait que de trois tomes au départ, c’est surtout le projet d’adaptation de la série au cinéma qui a donné envie à Hervé de prolonger l’aventure.
Hervé Richez : Je n’avais pas prévu de faire d’autres cycles, mais il s’est passé deux choses. Tout d’abord, j’ai vécu une espèce de remords à travailler sur ce qui était parfois une remise en cause de certains dogmes fondateurs du catholicisme, une forme de doute intérieur qui me poussait à me poser la question : « Mais qui es-tu pour te permettre de jouer avec un sujet qui est important pour des tas d’autres gens ? ». Je n’ai aucune légitimité à faire ça. Je me devais donc de rétablir une certaine forme d’équilibre et de tenter d’exposer pourquoi on pouvait aussi croire dans la religion catholique. Le second point est qu’effectivement l’écriture du scénario pour le cinéma m’a apporté une idée que j’avais vraiment envie de défendre. Je n’étais pas allé au bout des choses et ça me travaillait.

Pouvez-vous nous présenter l’action de ce nouvel épisode ?
Mig : L’action se situe après la fin du T3. Ce cycle est moins tourné vers la religion comme sur le premier cycle, mais aborde un sujet plus « scientifico-fantastique » si je peux me permettre, avec toujours en toile de fond certaines questions sur la foi.
Hervé Richez : Un chercheur américain vient de mettre au point un ordinateur quantique. Ce chercheur, juif très pratiquant, travaille sur le programme de recherche cryptographique de l’armée américaine et a pour mission de mettre au point un code de communication inviolable. Il décide de tester son invention sur un code secret supposé, le plus troublant de la création : celui qui serait présent dans les cinq livres de base de La Bible. En effet, des messages cachés seraient censés être présents dans La Bible mais, jusqu’alors, ils n’étaient constatés qu’a posteriori de la survenance des événements décrits dans les livres saints. Ce faisant, il est face à quelque chose qui va le dépasser totalement : il réussit à décoder le cryptogramme des livres saints qui commencent à lui délivrer des messages sur l’avenir. Et un de ces messages concerne Gabriel, le prêtre qui est le personnage principal de cette série.

Justement, il est assez original d’opter pour un prêtre comme personnage principal d’une série BD…
Hervé Richez : Dernièrement, je me suis aperçu que j’ai été très marqué par mon service militaire, en 1991, puisqu’au moins trois de mes séries y trouvent leur origine. Il y avait dans mon escadron de chasse un commandant d’escadrille qui, de retour de la guerre du Golfe, a décidé de tout quitter pour entrer dans un monastère. Cet homme a tout laissé derrière lui, donnant tous ses biens matériels à qui en voulait ou en avait besoin. J’ai eu le sentiment que ce pilote qui avait participé à l’opération Daguet rejoignait les ordres par rédemption, pour se faire pardonner d’avoir mené des missions de bombardement. Ça m’a impressionné. Je me suis donc tourné vers un personnage qui entre lui aussi dans les ordres pour y trouver une forme de pardon. La différence est que Gabriel est un ancien garde du corps qui entre en religion après avoir tué accidentellement un enfant. De plus, ce n’est pas un hasard si Gabriel au début de ce second cycle entre lui aussi dans un monastère.

Le Messager s’inscrit dans le registre des séries évoquant la religion catholique et les soubresauts de l’administration vaticane. Quels éléments vous ont donné envie d’aborder ces thématiques ?
Mig : On a souvent dit que Le Messager était un prétexte à surfer sur la vague de la thématique ésotérique mais je n’étais pas dedans. Je suis plus un lecteur de manga, de comics et de BD qui laisse une bonne part à la fantaisie et au délire. J’ai lu Le Triangle secret pendant que je dessinais le T2. Si j’ai accepté de dessiner Le Messager, c’est pour l’intérêt que je porte à la théologie. Bien qu’amateur dans cette discipline, j’aime apprendre le parcours des religions qui suivent l’histoire des hommes, voir comment elles se sont développées. Le côté mystique et ésotérique y est aussi pour quelque chose dans ce choix. Et surtout, le personnage de Gabriel a été déterminant. Toute l’ambiguïté du personnage, qui a le sang qui bout dès qu’un enfant est en danger, alors qu’il est lui-même le meurtrier involontaire d’un petit spectateur…
Hervé Richez : À l’origine, je souhaitais très clairement revisiter la parabole de l’Annonciation, le sujet du premier cycle. Cette parabole m’a toujours fasciné. Je voulais donc montrer qu’un personnage pouvait de nos jours, à l’instar de l’archange Gabriel il y a plus de deux mille ans, tenir le destin de sa religion entre ses mains. Sauf que mon Gabriel à moi est un homme avec des failles.

Extrait de la page 4 du Messager T4
Extrait de la page 4 du Messager T4

Mig, pourquoi avoir arrêté de dessiner l’autre série que vous réalisiez avec Hervé, Sam Lawry, dont vous avez dessiné deux tomes avant de passer le flambeau à Chetville ?
Mig : Je ne voyais pas la suite de Sam Lawry ainsi. Je n’arrivais pas à l’envisager car elle me posait trop de problème : le fait que Sam soit effacé et accepte tout ce qui lui arrive, que son rôle soit un peu trop passif à mon goût. Je le voyais plus combatif, hargneux et très détaché des gens, quitte à ce qu’il joue avec eux à l’aide de son don. En même temps, j’aurais préféré une tournure plus fantastique et noire, mais le ton de la série n’aurait peut-être pas été le même !

Hervé, comment conciliez-vous vos activités professionnelles aux éditions Bamboo où vous êtes directeur de la collection « Grand Angle » et vos travaux de scénariste ?
Hervé Richez : J’ai un peu moins de temps pour écrire, mais je ne le regrette pas. J’ai été pendant douze ans cadre en entreprise. J’en ai gardé le besoin de développer des projets, d’accompagner des personnes, et, si je le peux, de transmettre : la direction de collection s’inscrit dans cette dynamique. Ceci étant, j’ai pour ligne de conduite d’avoir au minimum un tome d’avance sur mes coauteurs. Je ne supporte pas l’idée qu’un de mes collègues dessinateurs puisse manquer de pages, et du coup c’est le moteur qui continue à me pousser à écrire à un moment où la direction de collection aspire une grande partie de mon temps. D’un point de vue plus « éthique », je suis directeur de collection indépendant et non salarié. Il est évident que je suis très attaché à Bamboo car j’en fais partie depuis le tout début en tant qu’auteur, que j’aime l’esprit qui y règne et les gens qui y travaillent. Mais je tenais quand même à garder une forme de liberté. C’est un peu psychologique car plus des deux tiers de ma production est publiée chez Bamboo, mais j’ai besoin de ce sentiment d’indépendance. Je ne travaille donc en scénario réaliste que pour Bamboo et la collection que j’accompagne. Par contre, je peux m’exprimer où je veux dans le domaine humoristique.

Quelles sont vos autres actualités ?
Hervé Richez : J’ai deux albums de la série des Fondus coécrits avec Christophe Cazenove qui viennent de sortir, un avec Pierre Seron et l’autre avec Richard Di Martino, et le T5 de L’Effaceur avec mon compère Henri Jenfèvre en juin. Devraient venir ensuite en octobre le T5 de Sam Lawry avec Denis Chetville, et ensuite, en sortie simultanée, les tomes 3 et 4 de Groom Lake avec Jean-Jacques Dzialowski. Côté éditorial, j’ai pas mal de projets et notamment le lancement à la rentrée de la collection « Focus ». Nous y accueillerons Stephen Desberg qui a coécrit avec son frère Philippe une histoire pour Denis Chetville, puis Rodolphe qui anime une série avec Bertrand Marchal.
Mig : J’espère pouvoir sortir la suite du Messager assez rapidement ! J’ai d’autres projets plein la tête, il va falloir que je la vide ! J’aurai sûrement des projets en solo, aussi bien au scénario qu’au dessin, dans un style assez différent. J’ai aussi des idées de scénarios dessinés par quelqu’un d’autre, on en reparlera en temps voulu…

Vues de la prison en 3D
La prison en vues 3D
Propos recueillis par Brieg F. Haslé en mars 2008
Entretien initialement publié, sous une forme différente, dans [dBD] n°22
© Brieg F. Haslé / Tous droits réservés
Visuels © Mig - Richez / Bamboo
Photos des auteurs © Bamboo - DR

Le Messager sur auracan.com :

Le Messager T2 Le Messager T4
Partager sur FacebookPartager
Brieg F. Haslé
27/05/2008