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Entretien avec Daniel Maghen

Daniel Maghen (c) Manuel F. Picaud

« Devenir éditeur, l’aboutissement de ma passion pour la bande dessinée. »

Daniel Maghen, galeriste parisien spécialisé dans la vente d’originaux de BD, est tombé dans la bande dessinée adulte vers l’âge de 16 ans, quand il découvre les grands auteurs que sont Hugo Pratt, Bourgeon, Tardi et autres Juillard. Étudiant en droit, au début des années 1990, il passe une grande partie de son temps dans les festivals, conventions et autres temps forts du milieu. Quand il rencontre Arno, qui lui montre ses originaux, c’est le coup de foudre : pourquoi s’entêter à acquérir des albums s’il est possible d’acheter des originaux ? Et hop, un prêt étudiant plus tard, le voilà avec ses premiers originaux en poche.

Dès lors, Daniel Maghen n’a de cesse de rencontrer des auteurs et de leur proposer ses services : sa passion est en train de devenir un métier. Pour l’heure, ce métier n’existe encore qu’à peine. En 1996, il ouvre une librairie-galerie à Paris : il apprend les ficelles du libraire, mais reconnaît que c’est difficile de cumuler les deux activités. Il file quelque temps en Belgique, le temps de tenir une galerie une année, et, après quelques soucis, revient à Paris en 1998. Il s’installe quai des Grands Augustins, près de Saint-Michel, où il ouvre sa galerie actuelle.

Cette fois, c’est la bonne, et le concept prend : les auteurs lui font confiance, Daniel Maghen se constitue un fonds, parmi les plus importants en Europe, pas moins de 8000 originaux de 300 auteurs différents. Il organise des expositions régulières, développe un réseau de collectionneurs, lance son site de vente à distance. Puis une nouvelle idée se fait jour, devenir éditeur, pour boucler la boucle : le passionné veut éditer ses auteurs. Après avoir commencé par des livres d’illustrations en 2005, le voici qui édite des albums.

Une belle occasion pour le rencontrer.

Ewen

Vous êtes devenu l’un des principaux galeristes spécialisés sur la bande dessinée. Vous vous êtes déjà lancé dans une première diversification il y a quelque temps, avec de beaux livres sur des auteurs. Et des albums à présent. Pour quelle raison ?
Les éditions Daniel Maghen ont été lancées en 2005, comme l’aboutissement de ma passion pour la bande dessinée. Publier un livre sur un auteur permet de le comprendre et de mieux le connaître, lui et son œuvre. Je suis avant tout un fan de dessin, j’ai donc voulu faire des ouvrages qui reflètent vraiment tout le talent et la richesse artistique des auteurs que j’aime. Nous avons d’abord lancé deux collections : « Livres d’illustrations » (l’Univers féerique d’Olivier Ledroit, les Voyages d’Anna d’Emmanuel Lepage…), et « Biographies en images » (Écho de Cosey, Entracte d’André Juillard et Virages de Laurent Vicomte). Aujourd’hui, nous lançons « Bande dessinée », des albums avec des auteurs contemporains, certains connus du grand public, d’autres moins, mais avec un dénominateur commun : un graphisme soigné et original. Je ne suis pas dessinateur ni scénariste, mais devenir éditeur est un moyen extraordinaire de rentrer dans l’univers du 9e art dont je suis un amoureux et un inconditionnel.

Quand on voit les difficultés du marché, même pour les gros éditeurs, le risque en vaut-il la chandelle ?
Oui. C’est vrai que le marché n’a jamais été aussi difficile, mais avec les auteurs et mon équipe, nous avons pris le temps et nous sommes donnés les moyens nécessaires pour faire des ouvrages de qualité. J’espère que les albums vont rencontrer le succès attendu. En tout cas, nous y croyons !

Crayonné par Arinouchkine
Crayonné pour Ewen © Arinouchkine

Comment avez-vous trouvé des auteurs ?
C’est avant tout une histoire de rencontres. Arinouchkine est venu me proposer ses originaux à la galerie il y a déjà quatre ans. J’ai eu un coup de cœur pour son travail. Au départ, je vendais ses planches, puis nous avons lancé le projet d’Ewen, qui voit enfin le jour maintenant. Didier Eberoni est lui aussi venu à la galerie. Au début, il me faisait des illustrations sur commande. J’aime son graphisme, et lui rêvait de mettre en images un polar futuriste. Nous avons donc lancé l’idée de Deux Vies, qui paraîtra dans quelques mois. La rencontre avec Régis Penet s’est faite par hasard. Il voulait lancer une série en solo depuis longtemps, et, quand j’ai lu le scénario des Nuits écorchées, j’ai été séduit, il a un énorme potentiel. Quant aux autres auteurs, comme Amar Djouad, Patrick Prugne, Enrique Corominas ou Ana Koehler, certains sont venus après avoir vu nos premières collections de beaux livres, d’autres avaient été exposés à la galerie ; il y a aussi ceux qui arrivent par le bouche-à-oreille, par d’autres dessinateurs, les clients, les amis… La collection « Bande dessinée » est construite autour du dessinateur. Ses envies et son talent sont au cœur de nos projets éditoriaux. Nous éditons moins d’ouvrages que les grandes maisons, mais nous avons du temps pour les soutenir. Pour l’instant, je suis disponible pour les auteurs qui viennent directement me voir à la galerie.

Les nuits écorchées T1

Quels moyens, techniques et financiers, mettez-vous en place pour soutenir votre politique éditoriale ? Comment organisez-vous l’impression ? La diffusion ?
L’activité de la galerie, avec la vente d’originaux, me permet de financer les éditions. De plus, nos précédents ouvrages se sont vendus avec succès : le premier tirage d’Entracte (Juillard) a été épuisé en seulement deux mois, l’Univers féerique (Ledroit) en est bientôt à sa quatrième réimpression et plus de 18.000 exemplaires ont été vendus. Écho (Cosey) et l’Univers des dragons (ouvrage collectif), sortis en 2007, ont également été très bien accueillis par le public. Nos éditions trouvent donc peu à peu leur place dans le secteur et sont très appréciées par les professionnels, les libraires et la presse. C’est un soutien important. L’investissement est bien sûr important et risqué pour une petite structure comme la mienne. Nous dépendons vraiment de l’accueil des lecteurs, ce sont eux qui décideront. Pour l’impression, je suis personnellement de très près toutes les étapes de la fabrication, avec Vincent Odin, mon directeur artistique. Nos ouvrages sont diffusés par La Diff/Volumen.

Quelles sont vos ambitions ?
Mon ambition est de faire découvrir mes auteurs au plus grand nombre de lecteurs. Dans les parutions à venir, certaines idées ont été déjà vues, d’autres sont complètement novatrices. Je compte sur la qualité graphique bien sûr, mais aussi sur les objets eux-mêmes : les albums sont en grand format, et certains auront des pages en bonus, comme c’est le cas d’Ewen, l’album d’Arinouchkine, qui comporte un cahier de 32 pages de crayonnés et de dessins inédits. Je consacre aussi un budget important à la promotion des albums (publicités, bandes-annonces…).

À quel rythme allez-vous publier ?
Cela dépendra de l’avancement des projets. Je m’adapte aux dessinateurs, qui, pour la plupart, travaillent en couleurs directes. C’est un travail lent et laborieux qui prend beaucoup de temps. Après les deux premiers albums sortis le 19 juin (Ewen et les Nuits écorchées), deux autres arriveront en septembre (Deux Vies et Apocalypse), puis le deuxième volet des Nuits écorchées sera en librairie en novembre. En 2009, nous publierons une dizaine de BD. En attendant, je continue à étudier d’autres propositions.

Daniel Maghen et ses auteurs
Andreï Arinouchkine, Daniel Maghen et Régis Penet
Propos recueillis par Mickael du Gouret en juin 2008
Tous droits réservés. Reproduction interdite sans autorisation préalable.
© Mickael du Gouret / Auracan.com
photos © Philippe Cauvin
visuels © Arinouchkine & Oger - Penet / Éditions Daniel Maghen
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Mickael du Gouret
30/06/2008