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Entretien avec Frédéric Ploquin

Frédéric Ploquin
Frédéric Ploquin © John Foley / agence Opale - Fayard

« Donner vie au grand banditisme en BD »

Journaliste à l’hebdomadaire Marianne, Frédéric Ploquin s’est taillé une solide réputation dans la connaissance des milieux mafieux. Premier Prix national de criminologie, il sort un livre par an depuis 1997. Aujourd’hui, il se lance avec passion dans une adaptation en bande dessinée de sa saga Parrains et Caïds sur le grand banditisme français. Ses deux premiers albums sortent à la rentrée chez 12 bis. Découverte d’un nouvel entrant dans le 9e art, amateur de Corto Maltese


© Ploquin / Fayard
Comment votre projet de bande dessinée est-il né ?
Je suis journaliste depuis 1982. Depuis cette date, je me passionne pour les faits divers et les histoires de gangsters. Je suis intéressé par le demi-monde, par la face cachée de l’homme, la mauvaise face, celle que chacun d’entre nous cherche à oublier ou à cacher. Le bandit est à l’homme ordinaire ce que le revers est au veston. En étudiant ces personnalités fortes, on en apprend beaucoup sur les hommes. En 2005, j’ai publié chez Fayard une sorte de Who’s Who du grand banditisme français : Parrains et Caïds 1 : le Grand Banditisme dans l’œil de la PJ. Puis, deux ans plus tard, chez le même éditeur, j’ai publié une saga des évasions de prison les plus spectaculaires : Parrains et Caïds 2 : Ils se sont fait la belle. Ces personnages, ces histoires sont trop vrais pour être portés à l’écran, mais il m’est apparu comme une évidence que de bons dessinateurs de BD pourraient leur donner vie, qu’ils pourraient s’approprier ces individualités sans les trahir.


© Ploquin / Fayard
Et votre projet est soutenu par la jeune maison d’édition 12 bis...
Voir ces voyous en chair et en os se réincarner sous la forme de personnages de BD restait de l’ordre du rêve. C’est devenu une évidence dés ma première rencontre avec Dominique Burdot et Laurent Muller, les courageux fondateurs de la maison 12 bis. En lisant les deux ouvrages dont je parlais, ils avaient vu des planches et des images. En moins d’une heure, dès notre première entrevue, ils m’ont transmis le virus. La seule chose à laquelle je tenais vraiment, c’était de garder un pied dans le registre journalistique qui est le mien : que nos personnages, mi-fictifs mi-réels, restent crédibles. En même temps, l’autre pari, c’était que tous ceux qui travailleraient avec moi, scénaristes et dessinateurs, s’approprient ces bandits à leur façon. Dès que j’ai vu les premières planches, j’ai compris que c’était gagné.

Vous effectuez un tournant dans l’écriture vers la fiction…
C’est la première fois que la porte de la BD s’ouvre pour moi. Quelque part, cela coïncide avec mon désir de glisser doucement vers la fiction, tout en gardant un pied dans le vrai, à l’image de ces séries américaines co-écrites par des journalistes, des flics et des avocats. Il y a quelques années, j’ai travaillé sur plusieurs séries policières pour la télévision. La BD était la meilleure façon de renouer avec l’image. De plus, il y avait un manque cruel : pourquoi les bandits français échapperaient-ils à cette mise en images à laquelle leurs homologues américains, pour ne citer qu’eux, sont habitués ?

Les éditeurs de 12 bis ont eu l’idée de vous faire rencontrer Pierre Boisserie.
L’idée est de monter trois ou quatre séries de BD mettant en scène les différents « milieux » présentés dans le livre Parrains et Caïds. Aux yeux de Pierre Boisserie, il semblait évident de travailler sur le banditisme actuel, celui qui monte depuis une vingtaine d’années à partir des cités. Cet univers n’a jamais vraiment eu, du moins sous cet angle, l’honneur d’une BD. Ce sont ces personnages, plus que les manouches ou les bandits corses, qui avaient retenu son attention. Par ailleurs, Pierre a également été sollicité pour travailler sur l’album consacré aux évasions, dont je vous parlerai plus loin. Là encore, il a opté pour l’évasion d’un jeune bandit des cités.


extrait de la planche 1 du Temps des Cités T1
© Brahy - Boisserie - Ploquin / 12 bis
Vous vous trouvez des points communs, le goût pour l’actualité, l’attrait de séries américaines comme Sur écoute, la gourmandise… Habitué à la co-écriture, notamment avec Éric Merlen, vous appréciez immédiatement le fonctionnement de Pierre Boisserie.
Nous travaillons à partir des personnages du livre, auxquels nous attribuons de nouvelles identités et des visages n’ayant rien à voir avec ceux qu’ils ont sur les photographies de l’identité judiciaire. À partir de là, nous créons un univers, une famille, un quartier autour d’eux, en nous inspirant d’anecdotes tirées de la réalité. Nos imaginations respectives font le reste. C’est un dialogue permanent. J’apprécie particulièrement l’ouverture d’esprit, la tolérance de Pierre, ce savant dosage qui rend possible la création à deux. J’ai une certaine expérience dans ce domaine, ayant coécrit un certain nombre de livres, et je puis vous dire que cela ne fonctionne pas avec toutes les personnalités. Avec lui, c’est à la fois facile et agréable. Par ailleurs, nous avons un point commun essentiel à la bonne marche de notre « couple » : il est ponctuel, et quand il dit qu’il va faire, il fait. Ce rythme me va : en près de trente ans, je n’ai jamais remis un article en retard à ma rédaction en chef. Nous nous sommes tellement pris au jeu que le deuxième tome est déjà sur les rails…

En pratique, Pierre Boisserie réalise le découpage du scénario que vous construisez ensemble…
Nous nous asseyons autour d’une table, en général pour l’après-midi entier, et nous faisons vivre nos personnages. D’abord, nous brossons les grands traits de l’histoire, puis, la séance suivante, nous affinons. Nous laissons reposer, puis Pierre revient avec toutes les notes – pour une fois, je ne tiens pas la plume – et nous détaillons encore. Ensuite, Pierre passe au stade magique de la mise en bulles et en pages, une étape durant laquelle je ne lui suis d’aucune aide, n’ayant pas la moindre expérience dans ce domaine. Nous communiquons pour les étapes suivantes par mail.


extrait de la planche 26 du Temps des Cités T1
© Brahy - Boisserie - Ploquin / 12 bis
Le premier album ouvre la collection Mafias & Co. Ils se sont évadés est un album collectif qui paraîtra chez 12 bis le 25 septembre. Jean-Yves Delitte y signe un récit complet, de même que Sylvain Vallée (1). Pierre Boisserie y cosigne deux récits dessinés par Éric Lambert d’une part et Luc Brahy d’autre part. Jean-Claude Bartoll coécrit trois récits illustrés respectivement par Sébastien Portet dit Espe, par César Piette et par Alfio Buscaglia.
Nous allons sortir une adaptation du livre sur les évasions de prison. Nous avons retenu une quinzaine d’évasions, chacune dans un registre différent, que nous avons présentées à plusieurs scénaristes et dessinateurs. Chacun s’en est approprié une, ce qui, au final, donnera un album particulièrement riche. Les gangsters seront appelés par leur vrai nom. Pierre Boisserie a travaillé sur l’évasion spectaculaire d’Antonio Ferrara, dit Nino, qu’une dizaine de garçons sont venus arracher à la prison de Fresnes à coup d’explosifs et de kalachnikovs. Cette histoire est particulièrement dans l’actualité : Ferrara et ses complices présumés doivent comparaître devant une cour d’assises durant tout le mois d’octobre. La BD rejoindra la réalité dans le box…

Le deuxième album, le Temps des Cités, sort début octobre chez 12 bis. Il est mis en images par Luc Brahy...
Le Temps des Cités raconte comment, en une trentaine d’années, des personnages capables de rivaliser avec le banditisme français traditionnel ont émergé. Ce sont les héritiers du milieu à l’ancienne. En région parisienne, cette émergence s’est faite dans un coude à coude assez original entre milieu manouche et jeunes issus de l’immigration maghrébine. Nous racontons ces alliances sans tabou, et suivons l’évolution au fil des années d’une petite équipe, à laquelle se mêle également un jeune d’origine africaine. On les voit servir les anciens, puis prendre leur place sur le pavé parisien. On suit leur ascension, laquelle se terminera mal, forcément !


extrait de la planche 1 du Temps des Cités T1
© Brahy - Boisserie - Ploquin / 12 bis
Et ce sont là des premiers titres qui en annoncent d’autres…
Avec 12 bis, nous avons plein de projets en tête. Nous voulons faire vivre cette collection Mafia & Co. À part ça, je travaille à la rédaction du troisième tome de ma saga Parrains et Caïds. Je n’en dis pas plus pour l’instant, mais je suis certain que nous déboucherons sur de nouvelles BD, adaptées de ce troisième volume…

Propos recueillis par Manuel F. Picaud en juillet 2008
© Manuel F. Picaud / Auracan.com
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(1) Découvrez sur le blog de Sylvain Vallée plusieurs extraits de Ils se sont évadés

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Manuel F. Picaud
12/08/2008