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Entretien avec Bruno Gazzotti

Bruno Gazzotti - autoportrait
« Avec Seuls, nous voulions faire la BD pour laquelle on aurait kiffé quand on était gosses. »

À l'occasion de la sortie du Clan du Requin, tome 3 de Seuls, nous avons rencontré Bruno Gazzotti, coauteur de cette remarquable série avec le scénariste Fabien Vehlmann (Dupuis). C'est en routard de la bande dessinée d'à peine 37 ans que Bruno Gazzotti se soumet au jeu des questions-réponses. Rencontre…

Le grand public vous connaît évidemment pour Soda, dont vous aviez repris le dessin du haut de vos 19 ans. Un peu moins de 20 ans plus tard, qu'est-ce qui a changé pour vous ?
J'ai plus d'albums à mon compteur, évidemment. Et puis j'ai aussi commencé une nouvelle série qui s'appelle Seuls, avec Fabien Vehlmann au scénario.  Nous nous étions rencontrés sur le collectif Des lendemains sans nuages. Fabien est revenu vers moi quelques années plus tard pour prolonger l'expérience.

Seuls - extrait du tome 2

Vous souvenez-vous de l'idée originelle développée par Fabien Vehlmann ?
Oui, parfaitement. Fabien m'a présenté le synopsis et je lui ai dit « go ! » Je me suis dit qu'il serait intéressant d'alterner les deux séries : Soda avec Philippe Tome au scénario, et Seuls  avec Fabien. Nous partageons beaucoup de choses avec Fabien : nous avons le même âge, le même vécu, les mêmes références, les mêmes lectures, les mêmes goûts. Nous avons lu bouquins d’Asimov, nous avons vu les films des studios Pixar. Pour ma part, je suis un véritable omnivore de cinéma – ou plutôt de DVD. Ça nourrit mon travail. Dodji, Leïla, Camille, Yvan et Terry qui se réveillent seuls au monde, ça évoquait chez nous deux le Survivant avec Charlton Heston. Sur le thème, Fabien m'a fait découvrir Sa majesté des Mouches. Et puis nous avions en tête une série comme la Ribambelle… Tout cela est restitué dans Seuls.  C'était l'idée : retrouver dans le Journal de Spirou une série d'aventure avec des gosses comme héros. Tous deux, nous trouvions que ça manquait dans Spirou. On voulait tout simplement faire la BD pour laquelle on aurait kiffé quand on était gosses.

Seuls T1 Seuls T2 Seuls T3

Dans Seuls, vous osez : un récit intelligent, des thèmes sérieux pour un lectorat plutôt jeune… Pensons ici à la sexualité, ou au pouvoir, à la violence.
Il ne faut pas prendre les enfants pour des imbéciles. Ils ont des connaissances souvent insoupçonnées de leurs parents. Nous voulions une histoire d'aventure, mais une histoire intelligente. Nous avons voulu raconter des histoires avec ces cinq enfants, et pas seulement sur le thème de la disparition : nous allons lever le voile sur cela dans le tome 5. Mais ce n'est pas pour autant que les aventures des héros de Seuls vont s'arrêter. L'idée est de voir comment ces cinq-là se débrouillent, les interactions entre eux, mais aussi avec le monde extérieur. Vous aurez remarqué que pour ces gosses, la question de la disparition devient vite secondaire : ce qui compte pour eux, c'est de vivre leur histoire.

Vous avez aussi confié le rôle principal à un gamin noir, qui occupe la couverture du tome 1. Il y avait bien eu Dizzy dans la Ribambelle de Jean Roba…
Dizzy était plus un stéréotype qu'un personnage étoffé : il jouait de la trompette, faisait du jazz. Est-ce qu'il prononçait les « r » ?… Dans Seuls, Dodji est un personnage complexe, qui a un passé, un rapport difficile aux autres. Je crois que le premier tome Seuls présente la première couverture chez Dupuis mettant en scène en enfant noir. Franchement, j'en suis plutôt fier.

Seuls - extrait du tome 1

Comment se répartit le travail entre Fabien et vous ?
Fabien travaille beaucoup la psychologie des personnages, et je m'occupe de la forme. Ce mode de travail fonctionne de mieux en mieux : je trouve que ce 3e épisode de la série est le plus abouti. Personnellement, j'ai dû beaucoup me documenter sur les parcs d'attractions, sur les pirates, à la demande de Fabien. Nous avons la chance de travailler en confiance, avec une compréhension immédiate. On ne se téléphone pas tous les jours, mais ce sont des échanges longs, avec beaucoup d'intensité. Seuls est un peu le reflet de nos deux vécus. On interagit évidemment : je réagis au scénario de Fabien, on en discute, notamment de la logique des personnages. Et  Fabien fait pareil avec mes dessins. Il s'agit d'un reflet commun.

Le travail serait-il différent avec Tome ?…
Sur Soda, cadrages et mises en scène sont assurés directement par Tome. Tandis que Fabien Vehlmann assure le pré-découpage et me laisse le soin d'assurer les cadrages. Aujourd'hui, le dessin me pose moins de problèmes, ce côté cadrage et mise en scène constitue une contribution supplémentaire de ma part. J'en tire une belle satisfaction. Si Soda m'a beaucoup appris, en termes de lisibilité et de force, il ressemble plus à Tome. Seuls est une œuvre plus collective.

Seuls - extrait du tome 1

Travaillez-vous déjà sur le tome 4 de Seuls ?
Oui. Un album de la série Seuls représente une année de travail. Quand j'ai terminé un album, je m'arrête un peu : un mois, pendant lequel je vais me documenter sur le suivant. Puis je redémarre : comme un diesel ! Lentement d'abord, même si je fais du travail quotidien. Maintenant, je suis plongé dedans et je me réjouis de dessiner les scènes que Fabien m'envoie. C'est plutôt bon signe, je pense.

Aujourd'hui, qu'est-ce qui vous plaît en bande dessinée ?
J'aime beaucoup ce que fait Jirô Tanigushi, Quartier lointain ou l'Homme qui marche. Pilule Bleue de Frederik Peeters aussi. Ah oui, je m'en voudrais d'oublier tout ce que fait Matthieu Bonhomme !…

Propos recueillis par Benoît Dorthu en juillet 2008
Rewriting : Benoît Dorthu et Brieg F. Haslé
Tous droits réservés. Reproduction interdite sans autorisation préalable
© Benoît Dorthu / Auracan.com
autoportrait de l’auteur © Bruno Gazzetti
visuels © Gazzotti - Vehlmann / Dupuis

Le blog de Bruno Gazzotti consacré à la série Seuls : http://seuls.over-blog.org

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Benoît Dorthu
25/08/2008