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Entretien avec Patrick Weber

Patrick Weber
Patrick Weber © Marc Carlot / Auracan.com

« J'ai appris à aimer la bande dessinée à travers la ligne claire. »

Romancier, journaliste, scénariste, Patrick Weber est un auteur multimédia. Il participe à l’émission C’est du belge, de Thomas Van Hamme – le fils de Jean– sur la RTBF. Il est aussi chroniqueur dans 50° Nord sur Arte. En BD, il scénarise notamment les Fils de la Louve et plusieurs séries de Jacques Martin – Loïs, Alix, Lefranc.  Côté romans, Cathares, la suite de Vikings, sort en octobre 2008, tandis qu’il termine un essai sur les monarchies européennes prévu pour la fin de l’année.

Vous scénarisez plusieurs séries de Jacques Martin. Après Loïs, vous avez élaboré des histoires pour Lefranc et Alix. Comment en êtes-vous arrivé là ?

C’est par la série Trust, publiée chez Casterman, que j’en suis arrivé à travailler dans l’équipe Martin. J’avais confié à mon éditeur que j’étais un grand amateur notamment d’Alix, et, de fil en aiguille, il a trouvé que je pouvais prendre en charge l’une ou l’autre histoire.

L'Ibère
Alix T26 : l'Ibère © Simon
Weber - Martin / Casterman

Les aventures d’Alix ont-elles eu une influence sur le choix de vos études, l’archéologie et l’histoire de l’art ?

J’ai appris à aimer la bande dessinée à travers la ligne claire de l’école de Bruxelles, à savoir la sainte trilogie Hergé-Martin-Jacobs. Je me rends compte qu’Alix a eu un impact considérable dans ma vie, même si je n’en ai pas toujours été conscient. Non seulement cela a influencé le choix de mes études, mais cela peut se voir dans mes livres, et dans le fait que je me suis installé en partie à Rome.

Loïs
Loïs T3 : le Code Noir © Pâques
Weber - Martin / Casterman

Vous avez repris plusieurs histoires en cours de réalisation. N’est-ce pas compliqué de travailler ainsi ?

Ce n’est pas facile. Et je n’ai pas toujours été pleinement satisfait du résultat. Le Code noir (Loïs) n’était pas très engagé, j’ai donc pu aisément me l’approprier. La Momie bleue (Lefranc) et l’Ibère (Alix) étaient beaucoup plus avancés. Je suis nettement plus content du Démon du Pharos, qui sort pour le 60e anniversaire d’Alix. Christophe Simon a réalisé du très bon travail. C’est un Alix à grand spectacle. Il y a des décors, Alix voyage. Il se passe des choses. On retrouve Cléopâtre et, en filigrane, César. J’espère avoir pu apporter un peu de profondeur psychologique aux personnages principaux et secondaires.

Quel est encore l’apport de Jacques Martin dans les récits que vous créez pour ses séries ?

Je travaille toujours sur la base de synopsis de Jacques Martin. C’est un auteur curieux de tout. Il a continuellement des idées. Ses synopsis peuvent être très courts, juste un thème. Parfois, c’est plus détaillé. Pour moi, je trouve important d’avoir cette marche d’accès à l’histoire que je développe ensuite.

Pour gérer l’ensemble des séries Martin, il y a le fameux comité composé des deux enfants de Jacques Martin, et des éditeurs Arnaud de La Croix et Jimmy Van den Hautte. Quel est son rôle dans le processus de création ?

Ce comité veille à la cohérence éditoriale. Ses membres ont une vision d’ensemble des univers Martin. Ils sont à l’origine de tous les projets : qui fait quoi, avec qui, quand… Je passe régulièrement les voir. Les enfants Martin ont un regard plus proche du lecteur. Cela donne un autre regard sur notre travail. Jimmy et Arnaud agissent comme des éditeurs. C’est assez intéressant de les rencontrer. Mais, évidemment, nous ne sommes pas toujours d’accord. Nous avons déjà eu des discussions assez vives.

La Momie Bleue
Lefranc T18 : la Momie Bleue © Carin
Weber - Martin / Casterman
Où en sont les albums en préparation ?

Pour Loïs, j’ai bâti une intrigue sur l’histoire des poisons. Intitulé Monsieur, frère du Roi, ce polar historique se passe essentiellement à Versailles. J’ai été tenté d’en faire un huis-clos, car j’aime bien cette logique du lieu unique. Finalement, j’ai intégré des séquences à Saint-Cloud et à Paris. Pour l’histoire suivante, Loïs partira voyager. La destination n’est pas fixée, mais on pense beaucoup à Rome. L’avantage, c’est qu’Olivier Pâques pourrait aller travailler sur place. Comme moi, il travaille beaucoup d’après repérages.
Pour Alix, il y a le Démon du Pharos dont je vous ai déjà parlé. Ferry travaille, quant à lui, sur la Cité engloutie. L’histoire nous mènera en Gaule, dans la nature, les forêts. J’essaie de varier les décors d’un épisode à l’autre pour dépayser le lecteur.
Pour Lefranc, j’avais commencé une histoire d’aviation mêlant deux époques, avec un côté rétro ramenant au début du XXe siècle. Cela aurait très bien convenu à Francis Carin. Maintenant qu’il a abandonné la série, il faut un nouveau dessinateur. Le projet est donc attente.

Vous publiez bientôt un entretien avec Jacques Martin. De quoi s’agit-il ?

Les carnets de guerre traitent du service du travail obligatoire, le STO. Comme d’autres, Jacques Martin a dû partir travailler en Allemagne. Il était chez Messerschmitt. Le livre s’articule sur trois parties. Une historienne explique ce qu’était ce travail obligatoire, qui y allait, pourquoi, dans quelle condition… Ensuite, à travers un entretien, Jacques Martin raconte « son » STO. Enfin, il y a ses dessins, une cinquantaine, réalisés en cachette sur du papier volé aux Allemands. Des scènes de la vie quotidienne pour ces hommes déracinés. Tout cela est rassemblé dans un beau livre à l’italienne, un format bien adapté pour ces dessins. Cet ouvrage ravira les fans, bien sûr, mais est aussi un témoignage intéressant au niveau historique.

Les Fils de la Louve - T4
Les Fils de la Louve T4
©
Pasarin - Weber / Le Lombard
Le quatrième tome des Fils de la Louve est paru. À l’instar de Jean Dufaux, vous aimez jouer avec les trous de l’Histoire…

Je trouvais étonnant que Napoléon, le roi de Rome, n’ait jamais mis les pieds dans sa ville. J’ai donc imaginé cette histoire d’enlèvement d’enfant. C’était aussi l’occasion de mettre en relief le rapport un peu compliqué entre les Italiens et les Français durant la période napoléonienne.

Où nous emmenez-vous dans le cinquième et dernier volume de cette série dessinée par Pasarin ?

Une partie se situe dans l’Italie fasciste des années 30. À cette époque, Mussolini souhaitait exalter la grandeur de Rome. Pour lui, cette grandeur était liée l’Antiquité, l’Empire principalement, César aussi. Il a donc lancé des fouilles pour mettre au jour les vestiges de cette période. Les archéologues de l’époque n’adhéraient pas forcément au régime. Mais, en même temps, on leur offrait la possibilité de travailler avec des moyens comme ils n’en avaient jamais eu… pour autant qu’ils servent la propagande. Le propos du récit est là : jusqu’où vont-ils aller, ou plutôt ne pas aller, pour servir la propagande du fascisme. La collaboration avec Pasarin s’arrêtera après cet album, car il est déjà sollicité pour d’autres projets.

Vous préparez également un one-shot au Lombard…

1066 est l’adaptation en bande dessinée de ce que je considère comme la première BD : la tapisserie de Bayeux. Le dessin sera assuré par le dessinateur vénitien Emanuele Tenderini, avec qui j’avais travaillé sur Œil de Jade aux Humanos. Cet été, j’ai écrit le premier jet du scénario, qui devrait tenir sur 64 planches. L’histoire de la tapisserie de Bayeux est extraordinaire. Elle comporte des zones d’ombre que je peux m’amuser à combler. Mais je veux le faire avec l’accord des historiens, notamment la conservatrice en chef de la tapisserie. Je ne voudrais pas commettre d’anachronisme ou d’erreur grossière. Il ne s’agit pas de faire du didactique, je veux raconter une épopée. L’album sortira en français et en anglais. Car il y a beaucoup d’Anglo-Saxons qui sont en quête de leurs origines et qui sont persuadés qu’un de leurs ancêtres était sur un des bateaux de Guillaume le conquérant. Pour ce qui est de la sortie de l’album, je ne peux pas m’avancer. Rien ne presse. Emanuele a réalisé des essais très convaincants, mais il faut qu’il vienne avec moi sur place en Normandie. Pour s’inspirer de la tapisserie, pour s’imprégner de son atmosphère.

Trust T1
Trust T1 : Shanghai Fusion © Salvatori
Faina - Fleuriet - Weber / Casterman
Ne devait-il pas y avoir une adaptation de votre roman Vikings en BD ?

C’est prévu chez Soleil Productions, mais l’éditeur cherche un nouveau dessinateur, car celui qui était pressenti n’est plus disponible. Parallèlement, toujours dans le domaine des vikings, j’ai proposé un synopsis pour un spin-off de Thorgal qui a été validé, mais nous n’avons pas de dessinateur. Je m’orienterais plus sur quelque chose d’historique, plus proche des Vikings. Il est vrai que ce sujet est devenu une véritable passion. Je sors d’ailleurs un roman en jeunesse sur cette thématique en 2009. J’ai également une idée de recomposer une saga viking sous forme de vieux grimoires. Il ne s’agit pas de bande dessinée, mais d’illustrations. Le dessinateur est un passionné qui réalise des choses splendides. Mais cela n’en est encore qu’au stade du projet.

Qu’en est-il de votre série financière Trust ?

Nous allons redémarrer sur de nouvelles bases avec un autre dessinateur. L’idée est toujours de partir d’un mécanisme financier pour construire l’histoire, mais sans être trop didactique. Le synopsis du deuxième volume est écrit. Cette fois, il ne s’agit plus de coécriture. Le financier n’intervient que comme conseiller, tandis que j’écris le scénario en entier. On garderait Chan et une bonne partie du casting, mais il y aurait beaucoup plus de personnages secondaires pour former une sorte d’agence autour d’elle. Ce serait toujours de récit en un volume, avec un fil rouge développé sur plusieurs albums.

Arthur et les Minimoys
Arthur et les Minimoys © N'Guessan
Besson - Weber / Soleil, TF1 Éditions
Par ailleurs, vous sortez un album sur l’alpinisme chez Emmanuel Proust…

Sagaramatha vient alimenter la collection Atmosphère de cet éditeur en novembre 2008. Je suis très content de la rencontre avec Renaud Penelle, le dessinateur. Emmanuel m’a donné l’occasion de travailler avec un auteur qui sort du style classique dont j’ai l’habitude. Nous avons mis en scène un père et son fils qui se retrouvent lors de l’ascension de l’Everest. Le père est guide au Népal, une région que je connais un peu. Nous avons pu bénéficier de l’appui de Serge Koenig, qui travaille au ministère français de la Jeunesse et des Sports. Il connaît très l’alpinisme et a travaillé dans la région. Il a servi de conseiller scientifique, ou plutôt sportif, sur l’album. C’est un récit assez intimiste avec des décors à couper le souffle. Le dessinateur et moi-même aimerions beaucoup retravailler ensemble.

Un ultime volume d’Arthur et les Minimoys n’était-il pas prévu ?

Actuellement, nous avons produit un inédit et trois adaptations des romans. Le quatrième est à moitié dessiné. Le premier tome est sorti en même temps que le film, ce qui a bien poussé les ventes. Malheureusement, les suivants n’ont pas enregistré le même score, même si, pour une BD, cela reste très honnête. Mais, compte tenu des royalties à payer en plus du duo scénariste-dessinateur, cela pose un problème de rentabilité pour l’éditeur. J’espère que la sortie du deuxième film va débloquer un peu les choses. D’autant que Luc Besson avait l’air content de notre travail. Aujourd’hui, le dossier est dans les mains de TF1, de Soleil Productions et de Luc Besson.

Et vous avez aussi une actualité dans le roman...

Le Diable de Rome, quatrième épisode des aventures de Pieter Linden, le jeune peintre (c’est un apprenti) de la Renaissance, est sorti au Masque il y a quelques semaines. Les livres précédents de la série commencent à être réédités avec de nouvelles couvertures. La Vierge de Bruges est sorti en même temps que le T4. La réédition de l’Ange de Florence est prévue pour 2009.


Le Diable de Rome
© Weber / Le Masque

Cathares
© Weber / Timée

Cathares
paraît fin octobre chez Timée. C’est la suite de Vikings. Il s’agit du deuxième tome de la trilogie les Racines de l’Ordre noir. C’est un gros bouquin de 400 pages. J’ai adoré l’écrire. J’ai adoré la découverte des Cathares. Le troisième paraîtra en 2010.
Puis, il y a deux petits Librio, qui font suite à Histoire de l’Art et des Styles : Histoire de l’architecture, et Histoire de la sculpture. Le premier a été un best-seller ; du coup, je décline le thème en l’orientant vers d’autres disciplines artistiques.
Je termine aussi un livre un peu atypique, Vive les rois, qui sortira en fin d’année chez Lattès. C’est un essai un peu polémique sur la monarchie, un comparatif monarchie-république. En gros, j’ai envie d’expliquer aux Français que démocratie ne rime pas avec république, loin de là. Et qu’il y a peut-être des leçons de démocratie à prendre dans les monarchies européennes. L’idée est d’expliquer comment une monarchie fonctionne, qui sont les rois en Europe aujourd’hui, leurs pouvoirs, pourquoi la monarchie coûte moins cher que la république… C’est à la fois un guide des monarchies européennes et un essai pamphlétaire. C’est un peu politiquement incorrect. J’essaie d’y mettre de l’humour.

Propos recueillis par Marc Carlot en septembre 2008
Photo de Patrick Weber ©  Marc Carlot
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©  Marc Carlot / Auracan.com

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Marc Carlot
30/09/2008