Ada Enigma |
Après trois histoires fantastiques
mettant en scène la charmante Ada
Enigma au début du XXe siècle,
vous nous proposez Barbara Wolf, un thriller contemporain.
C'est assez radical comme changement...
En effet, mais c'est cela qui me plaît. Je n'allais
pas faire du "sous Ada Enigma" pour
lancer une nouvelle série. Je sais qu'on est
très
vite catalogué dans ce métier, comme
dans d'autres, mais je ne veux pas tomber dans ce piège.
J'ai d'ailleurs d'autres projets qui n'ont rien à voir
avec l'univers d'Ada Enigma ou de Barbara
Wolf, une histoire
qu'on pourrait étiqueter comme de la science
fiction, une série pour enfant, une série
d'aventures romantiques ... C'est assez agréable
de changer de sujet. J'aime beaucoup un scénariste
comme Denis Lapière, qui écrit aussi
bien des scénarios pour les enfants, des séries
tout public, et des one-shots dans Aire Libre. J'aimerais
bien avoir une palette d'univers aussi large que la
sienne ...
Comment choisissez-vous les sujets de
vos scénarios
?
C'est difficile à dire. Je ne sais pas très
bien moi-même. Ca vient tout d'un coup, en regardant
la télévision, en jouant au tennis, en
conduisant la voiture... Je dois avoir un cerveau qui
fonctionne en permanence sur un mode "recherche
d'idées". Souvent, je laisse tomber ces
idées, car elle ne vont pas très loin.
Ou parce que d'autres que moi les ont déjà exploitées.
Mais, il y en a qui, après une période
de décantation qui peut atteindre plusieurs
semaines, voire plusieurs mois, sortent du lot. Ce
ne sont parfois que des vagues ambiances, des lieux,
des époques... Ou alors, des machinations diaboliques...
Les idées en nourrissent d'autres. Et finalement,
on arrive à une trame, un sujet, un résumé...
Reste alors à trouver le dessinateur adéquat,
et l'éditeur qui l'accepte.
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Le choix du dessinateur influence-t-il
le thème
ou la manière dont vous traitez une histoire
?
Oui, tout à fait. Tout d'abord, je ne conçois
ce métier que comme une œuvre de collaboration
entre scénariste et dessinateur. Mais bien évidemment,
il n'y a pas de règles : selon les personnalités
de chacun de "mes" dessinateurs, la collaboration
se fait de manière différente. Donc,
le thème, forcément, dépend du
dessinateur, de son style, de ses envies aussi. Je
ne pense pas, par exemple, que Bruno Marivain aimerait
dessiner une histoire de science-fiction, et, à mon
avis, son style actuel ne conviendrait pas. Par contre,
il est excellent dans du polar classique, et serait
sans doute aussi bon dans de l'historique.
Comment est né Barbara
Wolf ?
C’est le hasard qui m’a fait rencontré Bruno
Marivain au festival de Morlanwelz en Belgique. J’y étais
pour participer à un colloque, qui a failli
ne pas avoir lieu. Au cours du déjeuner, par
voisins interposés, nous nous sommes rendus
compte que l’un cherchait un scénariste
et l’autre cherchait des dessinateurs. Nous étions
faits pour nous entendre. J’ai découvert
le dessin de Bruno sur place en achetant les quatre
albums de La Mémoire des Ogres. Au
vu de son travail, j’ai tout de suite pensé que
son style conviendrait parfaitement à Crystal
Cathedal, un polar accepté par mon directeur éditorial,
mais dont le dessinateur initial avait préféré travailler
avec quelqu’un d’autre, plus connu que
moi. Rapidement, je lui propose le synopsis. Il se
dit intéressé. Il dessine une planche
d’essai. Et nous allons proposer ce projet à Paris à son
directeur éditorial. Alors que mon projet était
accepté par Glénat Bénélux,
le directeur de Bruno trouve que cela ne convient pas à la
collection Bulle Noire, collection où il veut
le publier. Je dois donc lui soumette un autre scénario,
plus polar. Je quitte les bureaux de Glénat
un peu désappointé. C’est dans
le train du retour vers Bruxelles, que je tombe sur
cette idée de meurtre sans mobile (apparent).
Mais écrire un polar demande une rigueur assez
stricte, que je n'avais pas avec Ada Enigma. Heureusement,
je suis en pleine veine d'inspiration, si j'ose dire.
En rentrant chez moi, j'ai déjà la trame
générale de cinq albums. J'ai passé deux
jours et deux nuits à fignoler l'histoire, à trouver
les séquences principales, les tenants et aboutissants,
les fausses pistes, les indices... Je passe d'ailleurs à trois
albums, en enlevant toutes les idées que je
considère comme des temps morts. Après
cela, je suis épuisé mais heureux. Je
mets sur papier mes idées, je les propose à Bruno,
ainsi qu'aux directeurs éditoriaux de Glénat
(le mien et celui de Bruno). Et cette fois, le récit
est accepté par tous. Ce qui est amusant, c'est
que c'est finalement mon directeur éditorial
qui prendra en charge la série, mais je ne regrette
rien. L'autre histoire resservira bien un jour, car
j'y tiens aussi, mais j'aime beaucoup Barbara Wolf,
car je me suis vraiment beaucoup amusé à tisser
cette intrigue. Et je m'amuse toujours autant.
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Le graphisme classique de Bruno Marivain
sert parfaitement le récit. Avez-vous discuté de la mise
en images ? ou laissez-vous une liberté totale
au dessinateur ?
Je trouve aussi que le dessin de Bruno colle parfaitement à cette
histoire. Comme je l'ai déjà dit, le
scénario a été construit de manière
très stricte, très rigoureuse, mais en
même temps j'essaie qu'il soit très compréhensible.
Il fallait un dessinateur qui ait cette même
rigueur, et en même temps une lisibilité parfaite.
Bruno est un très grand professionnel. Il dessine
vraiment pour que le lecteur comprenne du premier regard
ce que nous voulons dire. Tout en ayant un dessin certes
très classique, mais parfaitement efficace,
je pense qu'il a sa propre personnalité qui
s'affine d'ailleurs constamment. Pour revenir à ce
que vous appelez la mise en image, je donne au dessinateur
un découpage case par case. Mais il est totalement
libre de fusionner deux de mes cases en une, ou inversement,
de découper une de mes cases en deux. Je n'indique
aussi que très rarement les plans des dessins,
je laisse cela au dessinateur. La seule chose que je
demande et que la plupart des dessinateurs avec qui
je travaille acceptent et comprennent volontiers, c'est
qu'on ne reporte pas une case d'une page sur une autre,
ou qu'on modifie mes dialogues sans m'en parler avant.
Je suis bien sûr ouvert à toute discussion,
mais je n'aime pas, évidemment, qu'on change
dans mon dos.
Vous arrive-t-il d'avoir des déceptions lorsque
vous voyez le résultat final ? Je pense notamment à une
autre série sortie durant l'été...
Hum
... Vous abordez là un sujet délicat.
Disons que je n'ai jamais été déçu
avec Bruno Marivain, mais au contraire, ravi par ce
qu'il me proposait. Parfois, je suis surpris par ce
que je vois dessiné, car je n'avais pas la même
image en tête, mais cela ne nuit jamais au récit,
que du contraire. J'avais le même sentiment avec
Vincent Dutreuil, peut-être même en plus
prononcé, car son dessin, moins classique, est
moins prévisible que celui de Bruno. Mais en
général, je suis épaté.
J'aime ces dessinateurs qui prennent votre scénario,
se l'accaparent sans le trahir et le transcendent ...
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Etes-vous de ces scénaristes qui,
comme Jean Van Hamme, livrent un produit fini d'un
bloc
au dessinateur
?
Au début, c'est ce que je faisais. Je n'en ai
plus la possibilité pour l'instant, car je suis énormément
occupé. Actuellement, je fournis mes scénarios
au fur et à mesure. Je voudrais revenir à ma
méthode de travail initiale.
Il y a évidemment des avantages et des inconvénients
aux deux méthodes, mais pour un polar, c'est
un must. J'ai toujours peur avec Barbara Wolf d'oublier
un détail dans une scène, détail
indispensable pour la suite du récit. Une fois
que c'est dessiné, c'est délicat d’apporter
des modifications. Je vais en tout cas essayer de revenir à une
méthode où je fournis à mes dessinateurs
le scénario par blocs : par exemple par dix
planches. Pour l'instant, je travaille par séquence.
Mais avec le tome 2 de Barbara Wolf, je suis
un peu sur la corde raide... Je n'ai pas encore bloqué Bruno
parce qu'il n'avait plus de scénario, mais c'est
limite.
L'intrigue de "Meurtre
sans mobile" est
pleine de rebondissements. Il se passe beaucoup de
choses assez inattendues. Mais il y aussi beaucoup
de questions auxquelles vous devrez répondre
par la suite. Vous avez déjà toutes les
réponses ?
Oui, évidemment. On ne peut pas se lancer dans
un polar sans savoir ce qui va se passer. Je connais
exactement la fin, et toutes les grandes séquences
qui vont y mener. Bien sûr, je ne connais pas
les détails, mais les grandes lignes oui.
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Ada Enigma est une série qui, au sein de la
prestigieuse collection Carrément
BD, a recueilli
les faveurs des critiques et du public. Pourquoi ne
pas avoir produit un nouvel épisode avec Vincent
Dutreuil ? Est-ce déjà la fin pour cette
belle héroïne ?
Non, pas du tout, du moins je l'espère. Il se
fait que Vincent avait fort envie de travailler sur
un projet en solo, envie que je comprends aisément.
Il m'a donc demandé si je voyais un inconvénient à ce
qu'on interrompe un moment notre collaboration. Ce
qui d'ailleurs est très courtois, car évidemment
il pouvait se passer de mon autorisation, si je peux
dire. Bien entendu, c'est une petite déception,
dans le sens que perdre, même momentanément,
un dessinateur avec qui je m'entends si bien tant au
point de vue professionnel qu'amical est toujours dommage,
mais en même temps, c'est une démarche
tout à fait normale dans le chef de quelqu'un
qui a des talents indéniables de dessinateur
ET de scénariste. Il me fait d'ailleurs le plaisir
de me montrer les planches de son prochain album "Racines" au
fur et à mesure de leur réalisation.
Je peux vous dire que cela sera très différent
d'Ada Enigma, mais c'est superbe.
J'espère que d'ici quelques mois, on se remettra à travailler
ensemble. C'est une très forte envie, qui, je
l'espère, est partagée.
En tant qu'auteur, quel est votre rêve,
votre objectif au niveau professionnel ? Travailler
avec
X, être édité par Z, être
acclamé partout
?
Ah, je veux bien être acclamé de partout,
que les filles se jettent sur moi, et être couvert
d'argent ... comme dans la chanson de Daniel Balavoine,
oui ! Je n'ai aucun complexe vis-à-vis de cela,
mais je pense que je devrais probablement faire autre
chose que de la BD... Sinon, je suis très content
d'être édité chez Glénat,
et les relations que j'ai avec Dupuis sont excellentes
aussi. Mais je n'ai aucune exclusive. Si on me propose
de travailler chez d'autres éditeurs, pourquoi
pas ? Tout est question d'opportunité (je n'ai
pas dit d'opportunisme), parfois certains projets sont
plus facilement défendu chez tel éditeur
que chez tel autre. J'attache aussi beaucoup d'importance
aux contacts humains. Au niveau des gens avec qui je
voudrais travailler, il y en a beaucoup, mais comme
eux-mêmes ne le savent pas toujours, je ne vais
rien dire ici. Maintenant que j'ai deux ou trois séries
et que je suis un peu plus connu dans le milieu, je
vais peut-être commencer à oser contacter
certains dessinateurs avec qui j'aimerais vraiment
bien travailler. Wait and see ...
François Maingoval en
repérage
en Floride, sous l'objectif de notre envoyé spécial |
Quand on lit les quelques scénarios
que vous avez produit pour l'instant, on a l'impression
que
vous aimez voyager et qu'à travers vos histoires,
vous nous emmenez à la découverte du
monde.
Votre impression est correcte : j'adore
voyager. Ada Enigma est allée en Egypte, en
Indonésie,
et aux Etats-Unis. Je suis allé un mois en Egypte,
deux mois en Indonésie, et une quinzaine de
fois aux Etats-Unis. Une des dernières fois,
j'ai parcouru l'Ouest américain en prenant des
photos par centaines, que j'ai transmises à Vincent
Dutreuil pour le tome 3 d'Ada. Je suis même retourné une
seconde fois, en Californie, à San Diego, où je
suis tombé sur un vieux cimetière de
cow-boys qui m'a servi de référence pour
ce même album. Pour Barbara Wolf, c'est un peu
différent, elle voyage moins, en tout cas pour
l'instant. Quand je voyage, j'essaie si possible de
sortir hors des sentiers battus. Je réserve
mes billets d'avions aller/retour, et c'est tout, je
pars un peu à l'aventure. En Indonésie
par exemple, où je suis allé avec ma
femme, nous avons vu des choses que peu de gens voient.
Un indigène nous a ainsi emmenés voir
les varans de Komodo, en liberté sur leur île.
Nous avons pénétré dans le cratère
d'un volcan, le Papandayan, que vous ne trouverez sur
aucun circuit touristique. J'en frémis d'ailleurs
encore : c'est un volcan d'où sortent de gaz
inodores, incolores et insipides ... mais qui vous
tuent en quelques secondes. Nous y sommes allés
avec un guide qui connaissait soi-disant parfaitement
les lieux, mais qui nous a avoué au retour que
c'était la première fois qu'il s'y rendait
!!! J'ai des photos de ma femme et moi, dans le cratère
même, au milieu des fumerolles... De l'inconscience
pure, nous ont dit par après des volcanologues.
Il y a quelques mois, j'ai appris que le volcan était
entré à nouveau en éruption ...
Mais enfin, je ne regrette rien, cela laisse de bons
souvenirs. Un de mes prochains récits devrait
se passer dans ce qui est aujourd'hui la Jordanie,
pays que j'ai aussi visité, et où j'ai
trouvé les gens tout à fait charmants.
Un autre au Maroc ... En principe, l'an prochain je
me rends au Japon. Cela fait des années que
je veux visiter ce pays, cette fois-ci une amie y allant
pour trois ans m'a invité à la rejoindre.
Il y a encore la Chine qui me fascine. Enfin, tant
d'autres pays. Cette passion des voyages, ou plutôt
devrais-je dire, de la découverte d'autres cultures,
d'autres modes de pensée, d'autre systèmes
de relations sociales, j'essaie en effet, sans que
cela soit mon but principal, de la faire passer dans
mes récits. Rien ne me rend plus heureux lorsque
quelqu'un me dit qu'il a visité le vieux Caire,
et qu'il a trouvé dans "Les Spectres
du Caire" l'ambiance qu'il a ressentie. Ou à l'inverse,
quand quelqu'un qui a lu "La double vie d'Ada
Enigma" me dit que cela lui donne envie de
se rendre en Indonésie. Peut-être que
la lecture de Barbara Wolf donnera l'envie
aux lecteurs d'aller visiter Saint-Malo, où se
passe une partie de l'action...
Vous parliez de Denis Lapière précédemment.
Il y a justement une rumeur qui semble vouloir dire
que vous aller travailler avec lui. Qu'en est-il ?
C'est exact. Nous travaillons ensemble sur le scénario
du tome 5 de la Clé du Mystère, série
qui paraît chez Dupuis, et qui est dessinée
par Alain Sikorski. L'album est prévu pour 2004.
C'est Denis qui m'a demandé si j'étais
intéressé à travailler avec lui
sur cette série. Nous avons commencé par
un récit de huit pages qui va paraître
dans le journal de Spirou, et à présent
nous travaillons sur l'album. Je dois dire que c'est
assez formidable de travailler ainsi avec lui : il
a tellement de métier, il m'apprend beaucoup
de choses. En plus, je réalise aussi un de mes
rêves ; être publié dans le journal
Spirou. Je ne peux vous en dire plus sur le récit
sur lequel nous travaillons, mais je peux vous promettre
beaucoup de surprises ! Vous verrez, vous serez étonné,
et je pense qu'on en parlera de cet album !
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Avez-vous d'autres projets en cours de
réalisation
?
Oui, évidemment. J'ai un projet assez bien avancé,
un one-shot de 120 pages, réalisé avec
un jeune dessinateur, Franckie Alarcon. J'espère
le réaliser chez Glénat, dans la collection
Carrément 20/20, mais rien n'est encore signé à l'heure
actuelle. Je croise les doigts. J'ai aussi un projet
de nouvelle série, "Mensonge d'une
nuit d'été", avec Jean-François
Solmon, qui travaille pour des éditeurs comme
Bayard, etc. Plus des courts récits en cours
de réalisation. Tout cela prend du temps, cela
n'avance jamais aussi vite qu'on ne le voudrait. J'espère
pouvoir vous en dire plus prochainement.
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