Olivier, peux-tu revenir sur ton parcours ?
Je suis le dessinateur de la série de piraterie « Kucek » parue chez Vents d'Ouest et de divers albums d'humour comme « Arthur et les pirates », un album sur l'animateur et son émission de radio. Si cette expérience s'est assez bien passée au début, je ne suis pas très satisfait de cet album trop rapidement réalisé.
Ton parcours est indissociable de celui de Georges Abolin.
En effet, on se connaît depuis l'âge de dix ans, on a tous les deux une formation de dessinateur. Nous avons commencé par le dessin animé. Avec Georges, nos rôles sont interchangeables. Nous écrivons nos scénarios ensemble, à quatre mains, et l'un des deux dessine. Ainsi, j'ai dessiné « Kucek » et les deux parties de « Où le regard ne porte pas. », tandis que Georges dessine « Total maîtrise », une série de gags en une page mettant en scène des jeunes surfeurs des neiges.
Comment est né le diptyque « Où le regard ne porte pas. » ?
C'est maintenant un vieux projet. Lorsque nous avons achevé la série « Kucek » qui, avouons-le, est restée assez confidentielle, Georges et moi nous sommes demandé ce que nous allions faire. On se sentait à l'étroit dans le format du 46 planches, nous avions envie de choisir une pagination plus grande pour pouvoir avoir des pages où il ne se passe pas grand-chose, pour ne pas à avoir à trop condenser l'intrigue. Nous nous sommes alors décidés à raconter une histoire en deux tomes de près de cent pages chacun pour, justement, avoir le temps de la raconter comme nous le désirions. J'avais envie de ces deux intrigues qui se chevauchent, j'avais envie de bords de mer. Lors de ce que j'appelle « nos parties de ping-pong », chacun donne ses envies et l'autre rebondit dessus. Pour le découpage, c'est celui qui assume de dessin qui s'en charge afin de mieux s'approprier l'univers. Je le fais au fur et à mesure que je réalise l'album. Alors que je dessine les planches d'une séquence, je prépare l'étape suivante.
En lisant le premier tome, on ne peut s'empêcher de penser à « Jean de Florette ».
C'est amusant, tout le monde nous l'a dit lors de la sortie de l'album. Mais, ni pour Georges, ni pour moi, il ne s'agissait d'une référence consciente. J'ai grandi à côté de Nice, je me suis documenté sur l'Italie du début du siècle, sur la Corse aussi, pour bien maîtriser ses couleurs, ses lumières. Je régurgite inconsciemment des endroits, des ambiances que j'ai connus. Il s'agit sûrement de réminiscences inconscientes.
Comme pour la couverture du tome 1, qui peut rappeler celle du premier tome de « La Quête de l'Oiseau du Temps » avec ce principe de personnages assis, les pieds dans le vide, sur une proéminence rocheuse.
Ah. Je n'y avais pas pensé. Mais c'est vrai, il y a une parenté. Le dessin de Régis Loisel a marqué un grand virage dans ma découverte de la bande dessinée. A l'adolescence, les cadrages cinématographiques de Loisel m'avaient vraiment impressionné.
Pourquoi avoir réalisé ces deux couvertures où les noms des auteurs n'apparaissent pas ?
Les couvertures fonctionnent de la même façon, on y voit les deux protagonistes, William et Lisa, sur un rocher. Nous avions cette volonté de couvertures épurées. La place du titre nous importait beaucoup, c'est pour cela que nous n'avons pas mis nos noms. L'éditeur a bien joué le jeu.
Bien que son logo apparaisse.
Oui, mais c'est un gage de qualité pour le lecteur. Nous n'allions tout de même pas nous tirer une balle dans le pied en ne mettant pas le logo « Dargaud » en couverture !
Combien de temps t'a pris la réalisation de ce diptyque ?
C'est un projet qui a doucement mûri, mais c'est le dessin qui a pris le plus de temps. Il m'a fallu six ans pour réaliser les deux albums. Entre-temps, nous avons retravaillé le scénario : arrivé à la fin du premier tome, nous avons carrément changé le scénario du tome 2 qui ne nous convenait plus. Plus le temps passait, plus mon style évoluait. J'ai dû refaire pas mal de pages ! Je pensais que quatre ans suffiraient pour dessiner les deux tomes. Mais arrivé à la fin du premier, alors que j'attaquais le second, j'ai traversé une petite période dépressive : nous avons modifié le scénario de la seconde partie, les 15ères planches du tome 2 ont dû être refaites ainsi que les planches en flash-back de la première partie. J'ai perdu un an. Je suis content d'avoir tenu pendant six ans sans retour sur ce que je faisais. Au bout du compte, ça valait le coup d'attendre pour sortir les deux tomes presque en même temps.
Pourquoi avoir eu cette volonté de publier les deux tomes en moins d'une année ?
En tant que lecteur, cela me frustre toujours de devoir attendre une année, si ce n'est plus, pour lire la suite des séries que j'affectionne. Dès le début, pour cette raison, nous avons opté pour ce format. Cela permet aussi une narration plus proche de celle d'un roman, de développer les caractères des personnages. Nous voulions que les deux tomes paraissent de façon consécutive. Ça a été un bras de fer avec l'éditeur qui nous proposait d'en faire quatre tomes. Nous avons tenu bon pour obtenir ces deux objets-là.
Si les deux tomes sont très liés, on peut les lire indépendamment l'un de l'autre.
Peut-être, mais ce n'est pas notre but. Même s'il y a deux parties très distinctes, très différentes, dont les actions sont séparées par vingt années, les deux sont liées l'une à l'autre, et ne peuvent fonctionner séparément
Quels ont été les apports de ton expérience dans le dessin animé ?
J'y ai travaillé pendant cinq ans, cela m'a permis de faire d'énormes progrès. Je conseille ce type d'expérience à toute personne désirant dessiner, faire de la bande dessinée. Quand on dessine un personnage, on nous demande de pouvoir le faire sous tous les angles, sous toutes les positions, on ne peut pas tricher, le dessin animé est très formateur. Comme j'ai travaillé sur des longs-métrages animés, cela m'a appris la narration, le découpage, le cadrage. Je suis un passionné de cinéma.
Pourquoi avoir confié la mise en couleurs à Jean-Jacques Chagnaud ?
Premièrement, pour une question de calendrier. J'avais déjà passé six ans à dessiner les deux tomes. J'avais envie qu'un coloriste apporte ce que je n'aurais peut-être pas été capable d'apporter moi-même. Nous avons alors cherché un coloriste, nous avons fait passer des essais, tel un réalisateur qui fait passer des castings. Ce n'était pas simple de coller à mon trait, de coller avec l'univers de notre histoire. Et nous avons trouvé Chagnaud, mais ça n'a pas été simple : nous avons beaucoup travaillé ensemble dans d'incessants allers-retours. Cela c'est bien passé, mais j'ai beaucoup de mal à déléguer.
Malgré le succès critique et public que tu rencontres avec « Où le regard ne porte pas. », tu as annoncé vouloir mettre la bande dessinée de côté.
J'essaie toujours de suivre mes envies. Je vais essayer de faire du cinéma, du court-métrage. Pour le moment, je mets la bande dessinée de côté, et après, on verra pour la suite. Le cinéma est une activité longue, encore plus compliquée que la bande dessinée. Je vais voir ce que ça donne. Georges, lui, continue à travailler dans le dessin animé. Nous continuons la série de gags « Total maîtrise » ensemble pour laquelle j'écris avec lui les scénarios. Je n'ai pas envie de dessiner en ce moment, de refaire ce que j'ai déjà fait parce que le succès est là, donc je vais vers autre chose. Je préfère aller dans le sens de mes envies.
Rencontre à Chambéry
de gauche à droite : Brieg Haslé, Olivier Pont et Gilles Ratier |
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