Il y a quelques mois Jean Van Hamme annonçait
à la presse son souhait d'arrêter de scénariser
ses séries dans les cinq ans. Comment avez-vous
pris cette nouvelle ?
J'étais un peu vexé car il ne m'avait
pas consulté. Je lui ai téléphoné
et il s'est excusé. Il en est arrivé là
car il était un peu coincé par les journalistes.
C'est devenu par la suite un petit scandale. Jean est
un très bon ami et, en 25 ans de collaboration,
nous ne nous sommes jamais disputés. Donc, je
ne lui en veux pas.
Avez-vous planifié la reprise de Thorgal
par un autre scénariste ?
Nous avons encore quelques années devant nous.
Notre collaboration n'est pas encore finie ! Elle se
poursuivra au moins jusqu'au trentième album.
Quelqu'un comme Jean Dufaux pourrait reprendre
le flambeau. L'univers de La Complainte des
Landes Perdues n'est pas très éloigné
de Thorgal...
Jean Dufaux est déjà trop occupé
par ses propres séries. Mais j'ai reçu
beaucoup de propositions de scénaristes hyper-connus,
parmi les meilleurs. Nous n'avons actuellement fait
aucun choix.
Si un nouveau scénariste reprenait Thorgal
après Van Hamme, pourriez-vous avoir la même
complicité avec lui ? Cette série est
une création commune, c'est quelque chose d'assez
personnel...
Mais rien ne dit que ce serait moi qui continuerait
à la dessiner ! De mon côté, j'ai
des tas de projets que je souhaiterais voir aboutir.
Lorsque, comme un apprenti sorcier, on déclenche
ce phénomène de série à
succès sur une très longue durée,
avec des millions de lecteurs, il faut assumer cette
responsabilité. Même si je n'en ai pas
discuté avec Jean, je pense qu'il est du même
avis : on n'est plus vraiment propriétaire de
la série, c'est le public qui décide.
C'est lui qui en fin de compte approuve une reprise
ou pas. Il y a une convention entre Jean et moi : au
cas où un de nous se retire ou tout simplement
disparaît, l'autre peut choisir un autre collaborateur.
Certains auteurs ont une comportement égoïste,
que je n'approuve pas, en disant : "Après
moi, il n'y a plus rien, il ne faut rien changer, pas
toucher à mon personnage." Et quand
ils décèdent, les ayants droits essaient
de réanimer le truc, tout en protégeant
l'image et le souhait du créateur. Et on réchauffe
les vieux plats pendant des années.
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Tiens, ça nous rappelle quelque chose...
Je ne cite personne. Vous interprétez comme vous
voulez.
Je ne suis pas d'accord avec cette attitude, car en
tant qu'auteurs, nous sommes au service du public. D'un
point de vue moral, je n'ai pas le droit de le priver
de ce qu'il aime. Légalement, je peux bien sûr
m'y opposer. Mais où est la moralité dans
tout cela ? Il n'y en a pas ! Jean (Van Hamme) a des
principes moraux très forts, et il se rend très
bien compte du rôle de l'auteur, du créateur
et de l'artiste. Cela nous évite de nous poser
les questions existentielles comme : "Qui suis-je
? Où vais-je ?". Car on sait parfaitement
quel est le sens de notre vie : c'est tout le plaisir
que nous pouvons partager avec le public.
Avez-vous déjà pensé à
un successeur qui perpétuerait votre travail
?
Quelqu'un a dit que nous ne sommes pas immortels, mais
cela ne me concerne pas ! (Rires). Un successeur
? Non, je n'en ai aucune idée. Il me faut encore
en trouver un. Kas est probablement le dessinateur qui
est le plus proche de moi. Nous avons la même
sensibilité, la même tradition et la même
culture. Je suis comblé de l'avoir trouvé
pour reprendre Hans. Il a un style très lisible.
Il a su s'approprier le trait réaliste de la
série. Ce qui est beaucoup plus difficile que
pour des séries humoristiques comme les Schtroumpfs
ou Mickey. Il me faudrait un auteur comme Kas
pour prendre ma succession. Mais bon, je suis encore
bien vivant !
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