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La première aventure d'Harry,
Urkanika, fut publiée aux
éditions Claude Lefrancq. Qu'est-ce qui vous
a poussé vers l'auto-édition ?
Les éditions Lefrancq ont tardé à
publier l'album qui était en préparation
(La Conquête). D'un commun accord, nous
avions convenu de le publier en noir et blanc, pour
restreindre les coûts. J'avais utilisé
la technique du lavis pour le réaliser. L'éditeur
n'a pas tenu ses promesses et ne l'a pas publié.
J'ai donc entamé une procédure juridique
à leur encontre...
Vents d'Ouest et P&T Productions étaient
intéressés par la reprise de ma série.
Mais les éditions Lefrancq n'ont pas été
fort courtoises. Si bien que ces éditeurs en
ont été dégoûtés.
J'ai récupéré les droits de la
série quatre ans après avoir entamé
la procédure, et seulement deux mois avant la
faillite de l'éditeur
Une période de réflexion s'imposait :
le tirage de la série avoisinait les cinq milles
albums par titre. Il n'était donc pas très
viable pour un éditeur de publier mes albums
surtout s'il voulait s'y retrouver financièrement
dans un temps raisonnable. J'ai donc opté pour
l'auto-édition.
Vous êtes un auteur relativement confidentiel,
malgré l'estime que vous porte bon nombre d'auteurs
et de libraires
J'ai effectivement un bon accueil dans la profession.
Mais j'avoue avoir été déçu
par l'accueil des libraires pour le dernier Harry.
Je ne suis pas passé par un distributeur pour
la France. J'ai écris une lettre aux quarante
principaux libraires français. Le résultat
fut décevant : je n'ai reçu que deux commandes
Comme à l'accoutumée, j'ai tiré
La Force de l'éclair à mille exemplaires,
tous signés. D'habitude, je vends les trois quarts
de mon tirage en quinze jours.
On parle tout doucement d'un prix unique du livre en
Belgique, comme cela se passe en France depuis de nombreuses
années. Je pensais que les libraires spécialisés
seraient intéressés par distribuer des
petits éditeurs. Ceux-ci publient des livres,
généralement introuvables à la
FNAC ou en grande surface.
La raison de ce manque d'intérêt,
n'est-il pas ces quatre d'années d'incertitudes,
sans nouveauté de votre part
Je ne sais pas. Les seuls libraires qui plaçaient
correctement mes albums dans leurs librairies, me sont
toujours restés attachés. En fait, je
crois que mon style plaît ou déplaît
profondément. J'ai d'ailleurs une anecdote à
ce sujet. Un jour, je montais une exposition dans une
librairie. Un passant regarde les quelques planches
déjà pendues au mur et s'offusque auprès
du commerçant: " Mais c'est horrible,
comment pouvez-vous présenter de tels dessins
! "
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Pourtant, on vous place parmi les grands : le
Centre Belge de la Bande Dessinée a exposé
vos planches à côté de celles d'Alex
Raymond, lors de son exposition, en 2001
Tout cela est faussé ! Le CBBD a sélectionné
certains dessinateurs dont le style pouvait rappeler
celui d'Alex Raymond. C'est un très grand
maître et, à vrai dire, j'étais
honteux d'avoir mes dessins à côté
des siens. Il y a tellement d'autres auteurs, dont le
style s'apparente plus au sien !
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Peut-être qu'en travaillant aux Etats-Unis,
vous auriez plus de succès
Il ne faut pas croire que les histoires d'Alex Raymond
y ont eu du succès si longtemps que çà.
Il a travaillé essentiellement pour la presse.
Il a créé Flash Gordon (en 1934)
et, en 1946, une série policière Rip
Kirby pour King Features Syndicate. Ces séries
étaient publiées dans des journaux, vendus
pour la plupart à des millions d'exemplaires.
Les lecteurs étaient bien entendu estomaqués
en contemplant le travail de l'auteur. Mais quelques
années plus tard, ceux-ci ne s'y sont plus intéressés.
Des livres regroupant ses histoires y ont été
publiés à la fin des années '60,
mais ils n'ont eu du succès qu'auprès
d'une certaine tranche du lectorat : les personnes qui
appréciaient les beaux dessins.
Il y a eu dernièrement une réédition,
en France, après celle parue en anglais chez
Kitchen Sink Press des Flash Gordon, par la maison
d'éditions Soleil. Mais ce fut un échec
commercial
Pour ma part, je ne me leurre pas. Je ne toucherai malheureusement
pas plus de lecteur en travaillant là-bas
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Pourtant, bon nombre de dessinateurs viennent
vous rencontrer. Ils pensent que vous êtes un
Maître à dessiner
Ils pensent peut-être que je suis un vieil homme
(Rires) ! Il y a un malentendu. Mon style s'apparente
à une école ancienne, celle des auteurs
anglais et américains du début du 20e
siècle. Mais le niveau de mon graphisme est tellement
en dessous de ces maîtres, que je ne comprends
pas très bien ce qui peut toucher ces jeunes
auteurs
J'ai, sans doute, modernisé la mise en page et
le scénario. La raison en est simple, il y a
eu beaucoup de grands auteurs et de bonnes bandes dessinées
depuis les premières décennies du siècle
dernier. La narration a donc évolué. J'essaie
également de rendre plus vivant l'académisme,
qui est souvent fort raide. Mais un dessinateur tel
que Frazetta y arrivait tellement mieux que moi.
Je ne suis qu'une petite branchette de ce mouvement
du début de siècle et de celui des années
'50 à '60.
Voyons, il doit bien y avoir une raison
Je ne me considère pas comme un grand dessinateur.
Chaque fois que je feuillète des livres en contemplant
le travail de certains illustrateurs, je suis terriblement
complexé. Je suis très honnête en
vous disant cela, et je ne pense pas l'avoir dit à
beaucoup de monde. Je me mésestime souvent. Et
je suis souvent malheureux en voyant les erreurs sur
mes planches ou des choses inabouties.
Les grands artistes disent souvent la même
chose
Regardez Franquin ou Gotlib !
Je peux comprendre que des dessinateurs, qui sont plus
doués que moi, aient sombré dans une certaine
mélancolie en regardant leur travail. André
Franquin était honnête lorsqu'il
disait que son travail des années '50 et '60
lui plaisait le moins. Alors que nous estimons que c'est
tout le contraire
Heureux sont ceux qui ne vivent pas ce genre de problème.
C'est aussi une des raisons pour lesquelles je produis
moins qu'avant.
Quelles sont les raisons de votre style graphique,
"à l'ancienne" ?
Mes grands-parents ne possédaient pas de bandes
dessinées modernes. Il était hors de question
d'avoir un Pilote à la maison ! J'ai donc
été nourri avec des bandes dessinées
issues de l'école belge ou française.
Mon père avait également quelques journaux
américains, comme par exemple, MAD. Et
puis, mon grand-père possédait de nombreux
livres sur les peintres et illustrateurs américains.
Je songe à Norman Rockwell ou Frédéric
Remington
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Votre père était artiste ?
Oui. Ma famille a toujours cultivé une fibre
artistique. Mon arrière-grand-père, Fernand
Séverin, était poète de métier,
puis fut, à la fin de sa vie, peintre et illustrateur.
Nous avons des toiles et des gravures extrêmement
jolies d'un style pré-raphaélique, comme
il en était coutume à l'époque.
Son fils, Marc Séverin, a des milliers d'uvres
à son actif. Il fut affichiste dans les années
'30, illustrateur pour des revues, publicitaire, et
enfin graveur. Un livre a même été
publié sur son travail.
Enfin, mon père, Erik Séverin, est également
dessinateur. Il a travaillé pour la publicité,
à l'époque où Volkswagen faisait
encore sa coccinelle. Il a notamment travaillé
pour, D'Ieteren, l'importateur belge de cette voiture
en réalisant des strips de trois cases pour le
journal de la société.
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Votre grand-père et votre père
ont façonné votre propre style graphique
en aiguisant votre curiosité vers certaines choses
Ils étaient gentiment critiques. A l'âge
où les parents s'extasient devant les dessins
de leurs enfants, eux me faisaient déjà
part de toutes les erreurs de perspectives et d'anatomies.
C'était assez dur pour un môme de douze
ans ! Ils me donnaient des conseils, même si j'étais
trop jeune pour les apprécier à leur juste
valeur. Mais en les regardant dessiner, je comprenais
certaines techniques.
J'ai également appris beaucoup en compulsant
leurs livres d'illustrations. J'étais épaté
par les livres sur Norman Rockwell. Je voulais essayer
d'arriver à sa cheville. Comme dans ma famille,
on travaillait sans document, je pensais que les illustrateurs
et peintres, que j'appréciais, faisaient de même.
J'ai compris plus tard, que s'ils étaient arrivés
à une telle maturité graphique, ils devaient
beaucoup à leur documentation.
Je me suis toujours efforcé de ne jamais utiliser
de document. Tout ce que je dessine, doit l'être
grâce à mes souvenirs. Même si je
dois réaliser des centaines de croquis avant
de parvenir à dessiner un éléphant,
afin de cerner son anatomie.
Hermann me disait qu'un dessinateur doit être
capable de tout représenter, à partir
du moment où on lui confie une documentation.
Il y a plusieurs écoles. Albert Dorne,
aux Etats-Unis, ne s'est jamais inspiré de documents.
C'est l'illustrateur qui a d'ailleurs la réputation
d'avoir fait le plus de visages différents.
En bande dessinée, Tabary, par exemple,
dessine sans document. C'est bien sûr un autre
style, mais il ne faut pas oublier les très beaux
albums de Totoche, réalisé avec
beaucoup de soins pour les décors.
C'est tout simplement une question de sportivité
et de challenge. C'est sans doute pour cette raison
que l'anatomie de mes personnages et autres animaux
ne sont pas tout à fait justes. Je me la suis,
en partie, recréée. Je triche un peu
Mais il faut parfois savoir tricher lorsque l'on
dessine, non ?
Je ne suis pas contre le fait de tricher. Il faut même
parfois tricher avec des choses plus réelles
qu'un dessin : prenez quelques photographies. Retournez-les.
Vous verrez fréquemment que les personnages semblent
tomber à terre. L'observateur a une impression
visuelle de la photographie faussée : celle-ci
semble tomber plus à gauche, ou à droite.
En bande dessinée, si vous prenez un dessin de
Dany ou de Roba, et que vous procédez
de la même manière, vous vous apercevrez
qu'il ne ressemblera plus à rien. Leurs illustrations
ont eux aussi tendance à partir à gauche
ou à droite
Alors que leur style est techniquement
parfait !
Donc, décalquer une photographie ne sert
pas à grand chose : le dessinateur en reproduira
les défauts ?
Oui. Toujours est-il que travailler d'après un
document, c'est aussi une forme de sportivité.
Mais ma manière de travailler est tout autre.
Je suis peut-être un peu fou !
Certains dessinateurs parviennent à utiliser
au mieux la photographie, comme par exemple Tardi. Il
prend des clichés et ré-encre dessus
Cela donne un résultat magnifique.
Si l'auteur prend lui-même le cliché,
cela constitue une démarche artistique. Le cadrage
lui sera propre
Cela peut correspondre à son crayonné.
Il est vrai que cela demande beaucoup de courage d'aller
sur place et de trouver le bon angle. Si un auteur copie
une photo d'un bouquin, cela constituera également
un travail artistique, car il va la reproduire avec
sa propre vision. Mais il ne faut pas que ce décalquage
soit trop visible, sinon cela en devient dérangeant
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