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Alec Séverin  -  Photo : (c) Nicolas Anspach / Auracan.com

Digne héritier des grands illustrateurs du début du siècle, Alec Séverin se consacre entièrement à Harry, son personnage fétiche. Il nous parle avec passion de son métier, de sa structure éditoriale et de ses héros de papier.

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La première aventure d'Harry, Urkanika, fut publiée aux éditions Claude Lefrancq. Qu'est-ce qui vous a poussé vers l'auto-édition ?
Les éditions Lefrancq ont tardé à publier l'album qui était en préparation (La Conquête). D'un commun accord, nous avions convenu de le publier en noir et blanc, pour restreindre les coûts. J'avais utilisé la technique du lavis pour le réaliser. L'éditeur n'a pas tenu ses promesses et ne l'a pas publié. J'ai donc entamé une procédure juridique à leur encontre...
Vents d'Ouest et P&T Productions étaient intéressés par la reprise de ma série. Mais les éditions Lefrancq n'ont pas été fort courtoises. Si bien que ces éditeurs en ont été dégoûtés. J'ai récupéré les droits de la série quatre ans après avoir entamé la procédure, et seulement deux mois avant la faillite de l'éditeur…
Une période de réflexion s'imposait : le tirage de la série avoisinait les cinq milles albums par titre. Il n'était donc pas très viable pour un éditeur de publier mes albums surtout s'il voulait s'y retrouver financièrement dans un temps raisonnable. J'ai donc opté pour l'auto-édition.

Vous êtes un auteur relativement confidentiel, malgré l'estime que vous porte bon nombre d'auteurs et de libraires…
J'ai effectivement un bon accueil dans la profession. Mais j'avoue avoir été déçu par l'accueil des libraires pour le dernier Harry. Je ne suis pas passé par un distributeur pour la France. J'ai écris une lettre aux quarante principaux libraires français. Le résultat fut décevant : je n'ai reçu que deux commandes… Comme à l'accoutumée, j'ai tiré La Force de l'éclair à mille exemplaires, tous signés. D'habitude, je vends les trois quarts de mon tirage en quinze jours.
On parle tout doucement d'un prix unique du livre en Belgique, comme cela se passe en France depuis de nombreuses années. Je pensais que les libraires spécialisés seraient intéressés par distribuer des petits éditeurs. Ceux-ci publient des livres, généralement introuvables à la FNAC ou en grande surface.

La raison de ce manque d'intérêt, n'est-il pas ces quatre d'années d'incertitudes, sans nouveauté de votre part…
Je ne sais pas. Les seuls libraires qui plaçaient correctement mes albums dans leurs librairies, me sont toujours restés attachés. En fait, je crois que mon style plaît ou déplaît profondément. J'ai d'ailleurs une anecdote à ce sujet. Un jour, je montais une exposition dans une librairie. Un passant regarde les quelques planches déjà pendues au mur et s'offusque auprès du commerçant: " Mais c'est horrible, comment pouvez-vous présenter de tels dessins ! "
(c) Alec Séverin

Pourtant, on vous place parmi les grands : le Centre Belge de la Bande Dessinée a exposé vos planches à côté de celles d'Alex Raymond, lors de son exposition, en 2001…
Tout cela est faussé ! Le CBBD a sélectionné certains dessinateurs dont le style pouvait rappeler celui d'Alex Raymond. C'est un très grand maître et, à vrai dire, j'étais honteux d'avoir mes dessins à côté des siens. Il y a tellement d'autres auteurs, dont le style s'apparente plus au sien ! <

Peut-être qu'en travaillant aux Etats-Unis, vous auriez plus de succès…
Il ne faut pas croire que les histoires d'Alex Raymond y ont eu du succès si longtemps que çà. Il a travaillé essentiellement pour la presse. Il a créé Flash Gordon (en 1934) et, en 1946, une série policière Rip Kirby pour King Features Syndicate. Ces séries étaient publiées dans des journaux, vendus pour la plupart à des millions d'exemplaires. Les lecteurs étaient bien entendu estomaqués en contemplant le travail de l'auteur. Mais quelques années plus tard, ceux-ci ne s'y sont plus intéressés.
Des livres regroupant ses histoires y ont été publiés à la fin des années '60, mais ils n'ont eu du succès qu'auprès d'une certaine tranche du lectorat : les personnes qui appréciaient les beaux dessins.
Il y a eu dernièrement une réédition, en France, après celle parue en anglais chez Kitchen Sink Press des Flash Gordon, par la maison d'éditions Soleil. Mais ce fut un échec commercial…
Pour ma part, je ne me leurre pas. Je ne toucherai malheureusement pas plus de lecteur en travaillant là-bas…
Harry (c) Alec Séverin

Pourtant, bon nombre de dessinateurs viennent vous rencontrer. Ils pensent que vous êtes un Maître à dessiner…
Ils pensent peut-être que je suis un vieil homme (Rires) ! Il y a un malentendu. Mon style s'apparente à une école ancienne, celle des auteurs anglais et américains du début du 20e siècle. Mais le niveau de mon graphisme est tellement en dessous de ces maîtres, que je ne comprends pas très bien ce qui peut toucher ces jeunes auteurs…
J'ai, sans doute, modernisé la mise en page et le scénario. La raison en est simple, il y a eu beaucoup de grands auteurs et de bonnes bandes dessinées depuis les premières décennies du siècle dernier. La narration a donc évolué. J'essaie également de rendre plus vivant l'académisme, qui est souvent fort raide. Mais un dessinateur tel que Frazetta y arrivait tellement mieux que moi. Je ne suis qu'une petite branchette de ce mouvement du début de siècle et de celui des années '50 à '60.

Voyons, il doit bien y avoir une raison…
Je ne me considère pas comme un grand dessinateur. Chaque fois que je feuillète des livres en contemplant le travail de certains illustrateurs, je suis terriblement complexé. Je suis très honnête en vous disant cela, et je ne pense pas l'avoir dit à beaucoup de monde. Je me mésestime souvent. Et je suis souvent malheureux en voyant les erreurs sur mes planches ou des choses inabouties.

Les grands artistes disent souvent la même chose… Regardez Franquin ou Gotlib !
Je peux comprendre que des dessinateurs, qui sont plus doués que moi, aient sombré dans une certaine mélancolie en regardant leur travail. André Franquin était honnête lorsqu'il disait que son travail des années '50 et '60 lui plaisait le moins. Alors que nous estimons que c'est tout le contraire…
Heureux sont ceux qui ne vivent pas ce genre de problème. C'est aussi une des raisons pour lesquelles je produis moins qu'avant.


Quelles sont les raisons de votre style graphique, "à l'ancienne" ?
Mes grands-parents ne possédaient pas de bandes dessinées modernes. Il était hors de question d'avoir un Pilote à la maison ! J'ai donc été nourri avec des bandes dessinées issues de l'école belge ou française. Mon père avait également quelques journaux américains, comme par exemple, MAD. Et puis, mon grand-père possédait de nombreux livres sur les peintres et illustrateurs américains. Je songe à Norman Rockwell ou Frédéric Remington

Harry (c) Alec Séverin

Votre père était artiste ?
Oui. Ma famille a toujours cultivé une fibre artistique. Mon arrière-grand-père, Fernand Séverin, était poète de métier, puis fut, à la fin de sa vie, peintre et illustrateur. Nous avons des toiles et des gravures extrêmement jolies d'un style pré-raphaélique, comme il en était coutume à l'époque.
Son fils, Marc Séverin, a des milliers d'œuvres à son actif. Il fut affichiste dans les années '30, illustrateur pour des revues, publicitaire, et enfin graveur. Un livre a même été publié sur son travail.
Enfin, mon père, Erik Séverin, est également dessinateur. Il a travaillé pour la publicité, à l'époque où Volkswagen faisait encore sa coccinelle. Il a notamment travaillé pour, D'Ieteren, l'importateur belge de cette voiture en réalisant des strips de trois cases pour le journal de la société.

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Votre grand-père et votre père ont façonné votre propre style graphique en aiguisant votre curiosité vers certaines choses…
Ils étaient gentiment critiques. A l'âge où les parents s'extasient devant les dessins de leurs enfants, eux me faisaient déjà part de toutes les erreurs de perspectives et d'anatomies. C'était assez dur pour un môme de douze ans ! Ils me donnaient des conseils, même si j'étais trop jeune pour les apprécier à leur juste valeur. Mais en les regardant dessiner, je comprenais certaines techniques.
J'ai également appris beaucoup en compulsant leurs livres d'illustrations. J'étais épaté par les livres sur Norman Rockwell. Je voulais essayer d'arriver à sa cheville. Comme dans ma famille, on travaillait sans document, je pensais que les illustrateurs et peintres, que j'appréciais, faisaient de même. J'ai compris plus tard, que s'ils étaient arrivés à une telle maturité graphique, ils devaient beaucoup à leur documentation.
Je me suis toujours efforcé de ne jamais utiliser de document. Tout ce que je dessine, doit l'être grâce à mes souvenirs. Même si je dois réaliser des centaines de croquis avant de parvenir à dessiner un éléphant, afin de cerner son anatomie.

Hermann me disait qu'un dessinateur doit être capable de tout représenter, à partir du moment où on lui confie une documentation.
Il y a plusieurs écoles. Albert Dorne, aux Etats-Unis, ne s'est jamais inspiré de documents. C'est l'illustrateur qui a d'ailleurs la réputation d'avoir fait le plus de visages différents.
En bande dessinée, Tabary, par exemple, dessine sans document. C'est bien sûr un autre style, mais il ne faut pas oublier les très beaux albums de Totoche, réalisé avec beaucoup de soins pour les décors.
C'est tout simplement une question de sportivité et de challenge. C'est sans doute pour cette raison que l'anatomie de mes personnages et autres animaux ne sont pas tout à fait justes. Je me la suis, en partie, recréée. Je triche un peu…

Mais il faut parfois savoir tricher lorsque l'on dessine, non ?
Je ne suis pas contre le fait de tricher. Il faut même parfois tricher avec des choses plus réelles qu'un dessin : prenez quelques photographies. Retournez-les. Vous verrez fréquemment que les personnages semblent tomber à terre. L'observateur a une impression visuelle de la photographie faussée : celle-ci semble tomber plus à gauche, ou à droite.
En bande dessinée, si vous prenez un dessin de Dany ou de Roba, et que vous procédez de la même manière, vous vous apercevrez qu'il ne ressemblera plus à rien. Leurs illustrations ont eux aussi tendance à partir à gauche ou à droite… Alors que leur style est techniquement parfait !

Donc, décalquer une photographie ne sert pas à grand chose : le dessinateur en reproduira les défauts ?
Oui. Toujours est-il que travailler d'après un document, c'est aussi une forme de sportivité. Mais ma manière de travailler est tout autre. Je suis peut-être un peu fou !
Certains dessinateurs parviennent à utiliser au mieux la photographie, comme par exemple Tardi. Il prend des clichés et ré-encre dessus… Cela donne un résultat magnifique.

Si l'auteur prend lui-même le cliché, cela constitue une démarche artistique. Le cadrage lui sera propre…
Cela peut correspondre à son crayonné. Il est vrai que cela demande beaucoup de courage d'aller sur place et de trouver le bon angle. Si un auteur copie une photo d'un bouquin, cela constituera également un travail artistique, car il va la reproduire avec sa propre vision. Mais il ne faut pas que ce décalquage soit trop visible, sinon cela en devient dérangeant…

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