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Eric Shanower (c) L. Mélikian

Éric Shanower est un homme étonnant. Derrière de grandes lunettes toutes rondes se cache un jeune homme de 41 ans qui en paraît vingt de moins. Deux fois lauréat du très prestigieux Eisner Award, catégorie « meilleur scénariste-dessinateur », ce passionné d'histoire antique a pris le pari fou de nous raconter en bande dessinée la véritable histoire de la Guerre de Troie !

En collaboration avec « Bandes Dessinées Magazine », dont le 6e numéro vient d'arriver en kiosque, nous vous présentons une rencontre avec cet auteur américain bourré de talents.

Comment êtes-vous devenu auteur de comics ?

J'ai toujours inventé des histoires. Quand j'étais jeune, je rêvais d'écrire et d'illustrer des romans. Lors des incessants déménagements de mes parents (mon père était garde-côte), j'ai pu découvrir la Californie, Cuba. Cela a dû nourrir mon imagination. Le premier comics que j'ai lu, à l'âge de cinq ans, était une histoire de « Tintin » publiée dans un magazine américain pour enfants. Plus tard, j'ai suivi durant trois années les cours de la Joe Kubert School, la plus célèbre école de BD aux Etats-Unis. Je n'avais de cesse de proposer ma collaboration aux maisons d'éditions DC Comics et Marvel. Lorsque j'ai obtenu mon diplôme, en 1984, DC Comics m'a immédiatement engagé.

Et quels ont été vos premiers travaux ?

Tout d'abord, chez DC Comics, j'ai fait le lettrage de la série « Warp » puis j'ai encré « Nexus », un des séries les plus intéressantes des années 80. De façon plus personnelle, j'ai ensuite présenté une suite du « Magicien d'Oz ». First, l'éditeur de « Nexus », s'est montré intéressé. Il en a publié quatre tomes de 1986 à 1992, Dark Horse publiant le cinquième, intitulé « The Forgotten Forest of Oz ». Au même moment, en 1990 et 1991, j'ai travaillé sur un scénario de Jean Giraud que j'avais rencontré alors qu'il vivait une partie de l'année à Los Angeles. Jean-Marc Lofficier a assuré le découpage d'un scénario qu'il avait écrit dans la même veine que « Le Garage hermétique ». En français, cela s'appelait « Le Prince impensable ». Cela a été publié par Marvel Comics.

Puis vous est venu l'idée de nous raconter l'histoire de la Guerre de Troie.

J'avais lu l'ouvrage « The March of Folly. From Troy to Vietnam » ( « La marche folle de l'histoire. De Troie au Vietnam ») où l'auteur, Barbara Tuchman, évoque les quatre grands moments de l'Histoire où les hommes, selon elle, ont pris les décisions les plus folles qui soit  : la guerre de Troie, l'action des Papes de la Renaissance, les règles commerciales des Anglais qui provoquèrent la guerre d'indépendance de Etats-Unis d'Amérique et la guerre du Vietnam. La première partie m'a passionné. J'ai alors eu envie de raconter en BD la guerre de Troie en confrontant toutes les versions existantes.

Enfant, aviez-vous été séduit par ce récit ?

Non, pas vraiment, même si je me souvenais avec plaisir de l'histoire de « Jason et les Argonautes ». Je me suis donc mis à lire ou relire Homère, Sophocle, de nombreux livres d'histoires et d'archéologie. Plus j'avançais, plus je me rendais compte que c'était là un projet trop ambitieux. Après avoir été tenté de le repousser à plus tard, je me suis assis à ma table de travail en décidant de m'y mettre.

Y avait-il déjà aux Etats-Unis d'autres adaptations de l'histoire de Troie en BD ?

A ma connaissance, il existait juste une série sur « L'Iliade » publiée dans « Classic Illustrated » et un vieil album adaptant le film « Hélène de Troie » qui date des années 1950. Alors que je commençais à travailler à mon adaptation, mon éditeur m'a annoncé que se préparait un projet concurrent nommé « Troie ». Mais cela ne m'a pas découragé. C'était tellement mauvais que ça ne m'a pas bloqué ! Heureusement. Même si j'avais pensé donner ce titre à ma nouvelle série. J'ai donc poursuivi mon idée, j'ai juste modifié le titre.

Comment abordez-vous la mythologie grecque ?

Disons que je suis plus intéressé par la vie réelle que par la mythologie, la vie des Dieux. Souvent, dans ces histoires antiques, les dieux interviennent dans le quotidien des humains. Si cette présence divine était si forte, je tente de le montrer de façon plausible. C'est un vrai challenge dans ce genre de récits de ne pas présenter d'interventions divines ! Comme je mets cette présence des dieux de côté, il me faut imaginer diverses motivations humaines. Prenons l'exemple du sacrifice d'Iphigénie. Dans la mythologie, l'oracle annonce à Agamemnon que les dieux lui ordonnent de tuer sa fille sans quoi il ne pourra pas conquérir Troie. Pour ma part, j'ai préféré montrer un homme qui fait un choix. Agamemnon se dit simplement que, de toute façon, sa fille va probablement perdre la vie dans cette guerre. Autant, donc, la sacrifier tout de suite !

De quelle façon avez-vous construit votre récit ?

Vous savez, il m'est souvent très difficile de me souvenir où j'ai trouvé tel ou tel élément. Toutes les informations que je récolte s'ajoute les unes aux autres. Dans le premier tome de cette série qui en comptera sept, je montre l'enfance d'Achille. Je n'ai rien inventé. Je me suis basé sur une source un peu plus récente que le récit d'Homère : les poèmes épiques de « L'Achiliade » de Statius. Le premier tome me permet de présenter le prélude à la guerre. A la fin du deuxième, avec le sacrifice d'Iphigénie, les hommes partent à la guerre. Le troisième, qui s'appelle « Trahisons » et qui n'est pas encore paru en France, racontera les huit premières années de la guerre de Troie. Cela nous amènera jusqu'au début de « L'Iliade » d'Homère.

Ne croyez-vous pas que cela soit trop long pour vos lecteurs d'attendre deux tomes avant de voir débuter la guerre de Troie ?

C'est vrai, c'est l'une de mes préoccupations, mais j'ai tenu, dans ce deuxième tome, à bien développer l'histoire d'Iphigénie. Cela m'a permis de bien clore cet album. Mais j'aurai pu remonter encore plus loin en abordant l'histoire de la conquête de Troie par Hercule. Je préfère utiliser quelques flash-back qui me permettent de présenter le passé de certains personnages. Je m'amuse à montrer la frustration de ces personnages qui s'impatientent de partir conquérir Troie ! Volontairement, je tiens à effacer l'aspect grandiloquent propre aux adaptations de mythes antiques. Je cherche à donner l'information tout en écrivant une histoire qui reste plaisante. C'est aussi pour cette raison que je préfère « L'Iliade » à « L'Odyssée ». « L'Iliade » est une véritable histoire alors que « L'Odyssée » s'apparente plus au récit d'un simple itinéraire que le lecteur suit.

Comment se présente « L'âge de bronze » dans sa version originale ?

Comme je suis publié dans des comics books, mon histoire est découpée en épisodes de vingt planches chacun. Ainsi, le T1 est composé de neuf séquences de vingt planches, le T2 de dix. Je tente toujours de faire en sorte que les coupures entre chaque épisode ne soient pas visibles dans les recueils. Mais pour moi, il ne s'agit que d'une seule et même histoire. Le reste est du marketing !

Combien de tomes comptera votre série dans sa version française ?

Sept. Le T3 devrait paraître chez vous en 2008. Mais, d'ici là, Akiléos va publier une sorte de making-off présentant l'histoire de la famille d'Agamemnon ainsi que les couvertures réalisées pour les comics. Il en existe une vingtaine. « L'âge de bronze » est un long travail. Au début, je pensais qu'il me prendrait dix ans. Aujourd'hui, il me reste cinq tomes à réaliser : j'en ai encore pour quinze ans ! D'autant plus que je reste ouvert à d'autres propositions d'éditeurs, histoire de ne pas être totalement déconnecté.

Quel effet cela vous fait-il d'être aujourd'hui publié en Europe ? 

J'en suis ravi ! C'est très important à mes yeux que « L'âge de bronze » y soit publié : il s'agit d'une histoire européenne qui appartient à la culture occidentale. Dès le début, j'ai pensé que cela pourrait intéresser le public européen. Finalement, même aux Etats-Unis, la série marche bien. I'm very happy !

Propos recueillis par Brieg F. Haslé et Virginie François en janvier 2005
Remerciements à Emmanuel Bouteille pour sa traduction.

Certains passages de cet entretien ont été initialement publiés,
sous une forme partiellement différente, dans :

« Bandes Dessinées Magazine » n°6 © Brieg F. Haslé - Bandes Dessinées Magazine 2005

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Photo Eric Shanower © Laurent Mélikian / Bandes Dessinées Magazine
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