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Benoît Springer

Après avoir signé les trois volumes de la série Terres d'ombre sur un scénario de Christophe Gibelin, Benoît Springer nous revient avec un étonnant récit contemporain : Volunteer. Ce copieux diptyque, réalisé avec la scénariste Muriel Sevestre, nous conte l'étonnant destin d'une jeune femme à la mémoire défaillante…

Etudes de personnages pour Volunteer

Comment es-tu venu à la bande dessinée ?
C'est à l'adolescence que j'ai décidé de faire de la bande dessinée mon métier. Pour cela, j'ai passé un Bac A3, puis une année en Arts plastique à Bordeaux où j'ai plus joué aux jeux vidéo que travaillé ! J'y ai quand même beaucoup appris en anatomie en allant à des cours de nus. Ensuite, j'ai intégré l'école d'Angoulême en 1992. J'y suis resté deux ans et demi et l'ai quitté avant la fin puisque je venais de signer Terres d'ombre avec Christophe Gibelin.

Terres d'ombre est un triptyque…
Oui, j'y ai consacré quatre années. J'ai rencontré Christophe Gibelin par l'intermédiaire de Claire Wendling. Au même moment, j'ai dessiné une histoire de cinq pages dans le collectif Les enfants du Nil. Plusieurs personnes m'ont alors poussé à présenter un projet de série. J'ai proposé à Christophe Gibelin de travailler ensemble. Je lui ai tout de suite dit que je voulais faire de l'héroïc-fantasy, un genre qu'il n'aime pourtant pas. Il a répondu à mon attente mais en le faisant à sa sauce ! Il a écrit une histoire d'héroïc-fantasy mais en y intégrant des éléments tout à fait étrangers à ce genre.

Quelles envies graphiques avais-tu en commençant Terres d'ombre ?
L'héroïc-fantasy est un univers qui m'avait séduit au lycée, des copains m'ayant fait découvrir des auteurs comme Frazetta. Je désirais commencer par cela, mais ne pas m'y enfermer. J'aimais dessiner des corps humains, des scènes en mouvement, l'héroïc-fantasy s'y prêtait complètement.

Ton trait se faisait alors très noir…
Cela correspondait à mes goûts du moment : Frazetta, Mignola… Ces auteurs m'ont donné des idées, des envies. J'ai cherché à mêler des éléments graphiques de personnes comme Mignola, Claire Wendling tout en ayant un traitement très comics années 80. Peu à peu, j'ai mis de moins en moins de noirs. Aujourd'hui, mes planches sont bien plus épurées. Cela commençait à se ressentir sur le troisième tome de Terres d'ombre d'ailleurs. Pour Volunteer, hormis les trois premières planches, j'ai réussi à abandonner ces nombreux aplats noirs. Cela met le dessin plus à nu, beaucoup plus en avant, mais il est plus difficile de cacher les erreurs de dessin sans noir.

Extrait de planche 8 du T1 de Volunteer

Le dernier Terres d'ombre est paru en 1999. Le premier tome de Volunteer est sorti cette rentrée. Qu'as-tu fait durant cet intervalle ?
Au moment de la parution du troisième tome de Terres d'ombre, j'avais déjà le projet de Volunteer avec Muriel Sevestre. Il a d'abord fallu qu'elle termine l'écriture du scénario. Notre collaboration a débuté avec le collectif Vampires des éditions Carabas pour lequel Muriel avait écrit deux histoires courtes. Je lui ai dit de mettre de côté l'une des deux afin de la développer pour autre chose. Ça a donné le scénario de Volunteer, une histoire en deux albums de 72 pages chacun. J'ai également fait plusieurs travaux d'illustration, quelques designs pour des jeux vidéo.

Qui est Volunteer ?
C'est une jeune femme d'environ 25-26 ans, qui est physionomiste dans une boîte de nuit et vit avec deux copines. Sa particularité est d'avoir oublié tout ce qui c'est passé avant ses dix ans. Sa vie tranquille va être bouleversée par des événements très étranges. Des incursions fantastiques vont peu à peu réveiller sa mémoire… Pour découvrir ce qui est en train de lui arriver, elle comprend qu'elle doit fouiller dans son passé.

Extrait de planche 8 du T1 de Volunteer

Dans cet univers réaliste et contemporain surgissent des êtres épouvantables…
Ce sont des vampires, oui. L'univers des vampires est extrêmement balisé, il a souvent été traité. C'est un genre difficile à renouveler. C'est plus à travers le contexte narratif qu'à travers la représentation même des vampires que l'on peut espérer apporter quelque chose de nouveau.

Bien que tu innoves dans leur représentation physique…
C'est Muriel qui m'a suggéré de les monter ainsi en déformant leurs mâchoires inférieures. Je ne voulais pas dessiner un vampire avec juste de grandes canines et des ongles crochus. Mais je ne souhaitais pas tomber dans l'excès inverse avec des personnages totalement monstrueux comme dans le film Vampire, vous avez dit vampire. Au fil des recherches, je suis arrivé à quelque chose qui ressemble plus à une mâchoire de loup qu'à celle d'un vampire "classique". L'intérêt de l'idée de Muriel réside aussi dans le fait que tout le haut du visage reste normal à part les canines qui poussent. Ce contraste renforce leur aspect monstrueux.

Pourquoi avoir opté pour deux gros albums de 70 planches chacun ?
Je pense que cela c'est fait au fil de l'écriture du scénario. L'histoire s'est développée : Muriel est passé d'un album à deux. Le récit s'est étoffé mais Muriel a préféré garder une construction en deux tomes plutôt que d'en obtenir trois. Finalement, cela fonctionne très bien : la fin du premier tome est vraiment le moment où l'histoire bascule. De plus, cela m'intéressait de travailler sur un format de 70 planches qui n'est pas encore très courant. Pour le lecteur, c'est comme s'il lisait un album et demi, il rentre beaucoup plus dans notre histoire. On évite ainsi le travers de l'album de mise en place.

Volunteer : Ex-Libris pour Folle Image

La contrepartie pour les auteurs, c'est de rapprocher la parution du deuxième tome…
En effet, il ne va pas falloir traîner (rires). J'ai terminé le premier tome en juillet dernier, et j'ai dessiné un peu moins de dix planches du second. Pour le premier, j'ai mis deux ans et demi, j'irai plus vite pour la suite. Ce sera deux ans grand maximum. L'univers est basé, les personnages sont là, le travail de mise en place sera plus simple.

La seconde partie apportera-t-elle toutes les réponses ?
Oui, absolument. Muriel est très forte : le tome deux contient toutes les réponses (rires). Notre récit se boucle avec le deuxième. De nombreuses personnes nous demandent si nous comptons continuer, faire une autre histoire avec les personnages. Cela n'est pas du tout envisagé pour le moment. Si à la fin du second tome, Muriel et moi avons envie de continuer, pourquoi pas ? Mais nous ne ferrons pas une suite pour une suite, même si ça marche. Si on ne poursuit pas Volunteer, on ferra certainement autre chose ensemble : j'ai vraiment le désir de continuer à bosser avec elle.

Volunteer est la première bande dessinée de Muriel Sevestre…
Il s'agit de son premier album complet après avoir écrit plusieurs histoires courtes. J'ai connu Muriel à Angoulême, mais pas au sein de l'école. Elle dessine également. En plus de diverses illustrations, elle a un projet d'une série jeunesse avec Jean-Luc Loyer au scénario. Je suis très content de lui avoir demandé de m'écrire cette histoire, je ne le regrette vraiment pas.

Quel est l'accueil de Volunteer que ton éditeur a surnommé "le thriller de la rentrée" ?
(Rires). L'accueil est positif, les gens que j'ai rencontrés m'ont dit autant de bien du dessin que du scénario. Nous sommes satisfaits car les lecteurs ont accroché sur des points que nous avons cherchés à mettre en avant. C'est super gratifiant, ça fait vraiment plaisir. J'ai dérouté pas mal de monde en changeant mon graphisme. Ceux qui connaissaient Terres d'ombre ont été étonnés. Mais c'était mon but : ne pas me retrouver étiqueté dessinateur d'héroïc-fantasy. Si ça surprend les gens, tant mieux !

Comme on le disait, tu as épuré ton trait, mais tu as aussi changé de technique pour les couleurs…
J'ai réalisé les couleurs sur ordinateur alors que j'utilisais des bleus pour Terres d'ombre. Il s'agit d'une technique beaucoup plus sécurisante. On peut se tromper, reprendre, recommencer… Mais cela ne m'a pas fait gagner de temps. C'est plus un confort de travail, une liberté supplémentaire.

Volunteer : Extrait de Volunteer - T1 - planche 8

Autre actualité : on te retrouve tous les mois dans les pages de Pavillon Rouge où tu animes "L'atelier de bande dessinée"…
J'y donne pompeusement des cours de dessin (rires) ! C'est Joann Sfar qui avait initié cette rubrique. Michel Dufranne et Thierry Joor m'ont proposé de lui succéder. C'était un peu flippant au départ, j'aborde cela avec humour en cherchant à ne pas passer pour un gros prétentieux donneur de leçons ! Je cherche à passer en revue les différents points qui me paraissent essentiels quand on dessine. Je tente de répondre à des questions que l'on me pose en séance de dédicace. Je suis très content d'avoir un bon retour : je me marre bien à le faire, ça semble faire se marrer d'autres, et en plus, il paraît que cela est un peu utile ! C'est une petite récréation, ce n'est vraiment pas une contrainte. Et puis cette rubrique me permet de dessiner différemment, dans un style moins réaliste, plus rigolo. Je passerai la main à d'autres quand j'estimerai ne rien avoir à dire de plus…


Propos recueillis par Brieg F. Haslé en Septembre 2002
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Remerciements à Hugues Leroyer des Editions Delcourt

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