La Lagune, le huitième album de
Caroline Baldwin est récemment
paru. Comment le présenterais-tu ?
Il s'agit de la suite du précédent. Caroline
travaille, contrainte et forcée, pour une société
d'assurances. Elle est chargée de payer la rançon
d'un banquier enlevé par des rebelles birmans.
Une fois encore, elle est témoin d'une vaste
machination sans vraiment pouvoir contrôler les
événements. Elle n'en ressortira pas sans
séquelles
La fin de cet album appelle une suite
L'intrigue en elle-même est conclue, mais sa fin
me permet de rebondir sur le prochain tome. Il s'agira
d'un album indépendant mais qui est dans la continuité
du vécu de mon héroïne. J'ai choisi
un thème un peu bizarre : cette histoire qui
va se passer au Népal sera teintée de
science-fiction. Je m'inspire de l'affaire des extra-terrestres
de Rosswell. Caroline va rencontrer un personnage qui
était vigile dans le lieu où auraient
été entreposés les restes du vaisseau
spatial. Muté à l'ambassade américaine
de Katmandou, il désire faire connaître
à des scientifiques une petite pièce dont
il s'était emparé. Par hasard, Caroline
va se retrouver au centre de cette affaire
D'où te vient cette envie de raconter
les aventures de cette héroïne qui est toujours
prise dans des situations peu courantes ?
Il faut bien faire des histoires ! Je ne le pourrai
pas si elle était mère au foyer (rires).
Caroline est une sorte de prétexte. Elle me permet,
au sein d'une série récurrente, de concevoir
des one-shots. Selon les albums, les tons sont différents,
je passe ainsi du thriller à des récits
intimistes. Caroline est le trait d'union entre ces
différentes ambiances. Au fil des tomes, je cherche
à étoffer son profil psychologique. La
fiction pour elle-même ne m'intéresse pas.
J'avais l'envie de développer un personnage à
différents niveaux, surtout psychologique. J'ai
profité d'histoires réalistes pour développer
le personnage. Les trois premiers tomes faisaient 64
pages et convenaient bien pour cela. Mais j'ai dû
passer à des albums de 46 pages, et j'ai plus
de mal à allier fiction et psychologie dans ce
format. C'est pour cela que je développe sur
deux tomes certaines histoires.
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Pourquoi avoir choisi une femme comme héros
?
C'est le hasard le plus total. En fait, après
avoir fait Bouchon et Charlotte avec des scénaristes,
j'étais un peu coincé dans une image BD
jeunesse, et j'ai voulu raconter mes propres histoires.
J'ai pensé faire un one-shot pour parler de la
déprime d'un astronaute. En discutant avec Casterman,
on s'est rendu compte qu'on pouvait en tirer une série.
Ça a donné le premier tome de Caroline
Baldwin. Dans cet album, il y avait une détective
privée qui tenait un rôle secondaire. Elle
n'avait même pas de nom. J'ai étoffé
son rôle. Pour en faire l'héroïne
de la série, j'ai essayé de rendre sa
personnalité assez forte d'où son penchant
pour la boisson par exemple. Elle se veut dure, elle
veut donner l'image de quelqu'un de fort. C'est une
femme de tête, mais elle est fragile. Je ne désirais
pas en faire une potiche stéréotypée
: c'est pour cela qu'elle est brune et pas blonde. Je
voulais un personnage qui ait une culture riche : je
l'ai fait métissée, elle est indienne,
francophone par sa mère, de culture anglo-saxonne
par son père. Cela me permet de jouer sur plusieurs
tableaux.
La fin de l'album Absurdia
amène un coup de théâtre
On apprend qu'elle pourrait avoir été
contaminée et être séropositive.
Elle va devoir vivre avec, c'est une contrainte qui
ouvre des horizons plus insolites au niveau narratif.
J'ai eu cette idée en réalisant la dernière
planche de l'album. C'était à un moment
où les choses ne tournaient plus chez Casterman,
juste avant le rachat par Flammarion. J'ai même
pensé la tuer pour arrêter la série.
J'ai préféré opter pour cette solution
mais en me gardant une porte de sortie : le lecteur
ne sait pas si elle est réellement séropositive.
Mais je ne voudrai pas que cela apparaisse comme un
effet d'auteur
Elle est contaminée mais
je ne sais pas où cela va la mener.
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Comment raconte-t-on le destin d'une femme en
tant qu'auteur homme ?
Je n'ai absolument pas de réponse ! Des lectrices
me disent qu'elles apprécient, que cela leur
paraît crédible. Elles sont heureuses que
je ne fasse pas de Caroline une femme soumise, une sorte
d'icône sexuelle pour machos.
Voyages-tu autant que Caroline ?
Presque tous les endroits où passe Caroline sont
des lieux que je connais. J'aime bien retranscrire ce
qui m'a marqué lors de mes voyages. La Lagune,
se déroule en Thaïlande et au Laos. Je suis
allé de nombreuses fois en Asie. Le prochain
album se passe au Népal où j'étais
en novembre dernier durant un mois. Le tome suivant
sera au Québec. Mais ce ne sont pas les lieux
qui motivent mes albums. Ce sont les envies d'histoires,
de thèmes que je souhaite aborder.
Autre série, Les Filles d'Aphrodite.
Pourquoi cette trilogie scénarisée par
Corine Jamar ?
A l'époque, j'étais plus ou moins libre.
Je ne savais pas trop ce qui allait se passer chez Casterman.
C'était une opportunité de faire quelque
chose de différent de Caroline Baldwin.
L'idée de ces deux femmes qui ouvrent une agence
matrimoniale à New York dans les années
1930 m'a bien plut. C'est la scénariste qui m'a
appelé. Henri Filippini, le directeur de la collection
Bulle Noire, avait envie de collaborer avec moi
depuis un moment, ça c'est fait très facilement.
Pour cette trilogie, Pierre Lamar me seconde pour dessiner
les architectures et de nombreux décors. Pour
bien représenter un lieu, j'ai besoin d'y avoir
été, de l'avoir senti et compris. Ce n'est
pas le cas du New York des années 1930 dont il
ne reste pas grand chose.
A quand le prochain et troisième tome
des Filles d'Aphrodite ?
Il paraîtra à la fin du mois d'août.
Il y aurait possibilité d'une suite, mais je
vais surtout me consacrer à Caroline Baldwin.
Depuis que j'ai commencé ce métier, il
y a une sorte de malentendu. Si je l'ai choisi, c'est
pour raconter des histoires, pas pour illustrer celles
des autres.
Dans le premier tome de cette série, tu
rends hommage à Jacobs
Oui, je fais apparaître Blake et Mortimer. J'habitais
près de chez Jacobs, c'est le premier professionnel
à qui j'ai montré mes dessins. J'étais
tout jeune, pas encore dans la section BD de Saint-Luc.
Quand je vois les planches de cette époque, je
les trouve abominables ! Il m'a conseillé plus
de rigueur dans mon travail.
Justement, comment qualifierais-tu ton travail
? Ligne claire ? Réalisme ?
C'est une sorte de mixe entre Tillieux et Hergé
qui sont mes premières influences. A mon avis,
Tillieux est celui qui a le mieux fait la synthèse
entre l'Ecole de Bruxelles (Hergé, Jacobs
)
et l'Ecole de Marcinelle (Franquin
).
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Tu collabores à une autre série,
Mac Namara
Casterman voulait lancer un axe plus grand public. Dans
cette optique, on a créé la série
avec Patrick Delperdange au scénario et Bruno
Wesel qui est mon coloriste sur Les Filles d'Aphrodite
et Caroline Baldwin. Nous étions ensemble
à Saint-Luc. Depuis toujours, il veut faire de
la BD. Comme une sorte d'écolage, je lui ai proposé
de travailler ensemble sur Mac Namara. Il dessine
l'album au crayon, je me charge de l'encrage et lui
de la couleur. Ceci explique que le trait final a un
petit côté André Taymans. Il va
sortir une série humoristique d'après
les jeux éducatifs Les Incollables. Il signe
seul le dessin, et je co-scénarise la série
avec Corine Jamar.
La série Mac Namara se
poursuit-elle ?
Rien n'est prévu pour le moment. De mon côté,
j'avais dit que je n'en faisais que deux.
As-tu d'autres projets ?
En plus du troisième Filles d'Aphrodite
qui sort en août et du neuvième Caroline
Baldwin prévu pour janvier, je prépare
un one-shot de 80 pages, en noir et blanc, pour la collection
Romans de Casterman. Cette histoire, Assassines, est
scénarisée par Patrick Delperdange. Mais
ce sera totalement différent de ce qu'on connaît
de lui. Pour le moment, il a signé Mac Namara
et S.T.A.R. qui sont des commandes de l'éditeur
qui voulait des séries de ce genre. A l'origine,
Patrick est un romancier qui a fait d'excellents polars
très noirs comme Coup de froid. Il m'a
écrit un polar adulte, noir, à connotation
un peu fantastique. Je crois que les lecteurs vont être
surpris. Il devrait paraître en septembre 2003.
C'est étonnant de comptabiliser ta production.
En 12 ans, tu as signé 27 albums. Prolifique
Je suis un dessinateur rapide, je fais deux albums par
an. Je suis incapable de passer des semaines sur la
même planche. En moyenne, je réalise une
page par jour, encrage compris. Je peux faire un album
en trois mois. Il est vrai que, si je rouvre l'album
après, je constate des choses que je n'aurai
pas dû laisser passer. Mais je considère
le premier jet comme le plus expressif. D'album en album,
j'ai l'impression que mon trait s'améliore doucement.
Le dessin n'est pas capital à mes yeux. Il doit
être lisible, expressif, il est là pour
faire passer le message. En tant que lecteur, j'ai envie
de lire une histoire avant toute chose. Le dessin doit
être au service de l'histoire, et non le contraire.
Propos recueillis par Brieg
F. Haslé en juin 2002
© Auracan 2002
Remerciements à Marylène
et Alain Noblet de la librairie Ty Bull de Rennes
(http://tybull.free.fr).
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