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Yann

Le douzième tome des Innommables de Yann et Conrad est sorti, il y a peu, chez Dargaud. Nous en avons profité pour les rencontrer et faire le point sur cette collaboration qui tient sa source dans les pages du journal de Spirou…

Didier Conrad

Les Innommables est une série qui a connu de multiples péripéties éditoriales. Débuts dans Spirou, première édition en album chez Temps Futur, puis chez Bédéscope. Arrêt pendant de longues années, puis nouveau départ sous le label Dargaud.
Yann : C’est lié à des concours de circonstances qui échappaient à notre volonté. Nous n’y sommes absolument pour rien. Charles Dupuis a cru voir des choses dans les pages. Des éditeurs ont fait faillite…
Conrad : Cela tient aussi au fait que nous n’avions pas formaté cette série comme un produit. Au départ, on travaillait uniquement dans l’optique du journal. On était contre les albums, car on trouvait que c’était un truc de ringards. Quand on nous a demandé de réaliser des 46 pages sur fond blanc, on a fait des 60 pages sur fond noir. Il n’y avait pas de démarche ni rationnelle, ni commerciale de notre part. Nous voulions seulement que ce soit créatif pur porc.

Les jonques dans Aventure en  Jaune (version Bédéscope, 1986)

Après quelques cases, le soit disant héros de l’histoire se fait écraser par une voiture. Cela fait partie de l’anticonformisme de la série. Saviez-vous où vous alliez en créant l’univers des Innommables ?
C : On nous avait dit de faire quelque chose dans le style roman-feuilleton. On pouvait faire 300 pages si on voulait. Evidemment, on nous a interrompu au bout de 48 pages… parce qu’on foutait le bordel dans le journal. On mettait en scène des prostituées. Il y avait plein de morts. Ça ne se faisait pas…


Tim

Ce n’était effectivement pas formaté « Spirou »…
C : C’est pour cela qu’on avait mis des bords noirs. Pour qu’on voit que ce n’était pas du « Spirou » normal. Un peu dans la même optique que le Trombone Illustré, qui n’était pas non plus conventionnel.

Comment se fait-il que la série a été relancée sous le label Dargaud ?
C : Quand Bédéscope a coulé, Yves Schlirf avait déjà envie de poursuivre. Mais il n’était que libraire à l’époque. Donc, quand il a pris ses fonctions de directeur éditorial chez Dargaud, il nous a tout naturellement demandé de relancer la série. Mais il fallait bien évidemment produire une nouveauté avant de rééditer tout ce qui existait déjà.
Nous pensions que nous avions sabordé la série et que cela n’intéressait plus personne. Il nous a convaincu du contraire. Nous l’avons suivi et deux mois plus tard, Yann lui présentait une histoire.

Pour quelle raison avez-vous planté le décor principal de la série en Asie ?
C : A l’époque, on nous avait bloqué Cloaques. Il nous fallait trouver quelque chose rapidement. J’ai confié à Yann que j’avais envie de dessiner des jonques. Et je lui ai demandé s’il pouvait écrire une histoire qui se passe à Hong Kong.
Y : Le premier jour après qu’il m’ait dit cela, je devais marcher pour réfléchir et je me suis rendu au Musée de la Marine. Je leur ai demandé s’ils avaient des jonques. « Non ! » m’ont-ils répondu. Des sampans ? « Non ! ». Des livres sur le sujet ? « Non ! » Vous croyez qu’on peut en trouver ? « Non ! ». Je me suis dit : « là, on commence très fort ». (Rires). Il faut rappeler qu’à l’époque, c’était la préhistoire, il n’y avait ni cassette, ni DVD. Ce qui limitait fortement les sources de documentation.


Mac et Alix...

Le sexe est assez présent dans les Innommables
C : Comme dans la vie. Cela donne plus de réalité à ce qui se passe. Sinon c’est trop humoristique.
Y : D’accord, il y en a plus que dans Buck Danny, mais cela reste correct.
C : Mais dans les Schtroumpfs aussi, il y a énormément de sexe. Dans le Schtroumpf noir notamment. Souvenez-vous de tous ces « Gnap ! »… C’était symbolique, mais c’était la même chose.
Y : Ils n’avaient pas de Schtroumpfette à l’époque, ils se débrouillaient avec les moyens du bord.

Vous avez introduit toute une série de gadgets avec les albums : couvertures différentes, fins différentes, mini-album... Pourquoi ?
C : Cela reste dans la logique de ce qu’on faisait dans le journal Spirou. On poursuit cette idée, dans le cadre des albums, en proposant des choses un peu inhabituelles. Dans le dernier tome, nous avons ajouté un mini-récit de Bébert le Cancrelat. C'est un peu de lecture supplémentaire offerte à nos lecteurs.

Bob Marone est une série mythique qui a laissé beaucoup de bons souvenirs à ses lecteurs…
C : Nous l’avons reprise depuis quelques mois dans Fluide Glacial. On la met en place petit à petit. Yann réalise le scénario. Je le retravaille et je le mets en page. Puis je passe le tout à Joan qui dessine. Notre souhait est de mettre plusieurs dessinateurs sur le projet. Il y a pas mal de dessinateurs qui sont titillés par l’idée de dessiner des homosexuels. Je ne sais pas pourquoi. Bob Marone est une série basée sur Bob Morane, qui comporte énormément d’albums. Cela ne demande pas un style figé par contre. Donc, c’est intéressant de faire travailler des gens différents là-dessus.

Avez-vous déjà beaucoup d’idées de scénarios ?
C : Cela vient extrêmement vite.
Y : On y retrouve tous les archétypes de l’aventure. Bob Morane était déjà un condensé de tous les archétypes sur la cité inca perdue, l’animal crypto zoologique disparu et retrouvé, etc.
C : Mais on veut rendre cela plus actuel et ne pas figer le récit dans les années 50. On veut pouvoir imaginer des histoires qui se déroulent à des périodes différentes.

Tony
Tony

Depuis trois albums, vous avez lancé un cycle américain. Vous changez de décor, mais vous gardez les protagonistes de l’aventure originelle. N’avez-vous pas envie d’imaginer quelque chose de plus différent, une nouvelle série par exemple ?
C : Nous avons choisi une solution intermédiaire. Nous allons garder le personnage d’Alix pour créer de nouvelles aventures. C’est à la fois nouveau tout en gardant le même univers.
Y : Le prochain Innommables, qui sortira, sera sans les Innommables.
C : Et ce ne sera pas la même série. On ne gardera ni le titre, ni la même maquette –ce ne sera pas édité en grand format. Nous commencerons par deux tomes de 45 planches. Puis nous alternerons avec les Innommables.

Propos recueillis par Marc Carlot en septembre 2004
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Illustrations © Yann, Conrad, Dargaud, 2004
Photos des auteurs © Dargaud, 2004
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