|
|
Didier
Courtois fait partie de ces auteurs trop peu connus. Après
avoir collaboré à la défunte collection BDécrivains
des Editions Lefrancq en adaptant le roman Les Cavaliers
aux yeux verts de Loup Durand, après avoir essuyé un
échec chez Dargaud avec sa série d'anticipation La Race
des Seigneurs (scénario de Denis Lapière), il connaît
enfin le succès avec Louis Ferchot, série mettant
en scène la jeunesse de Louis la Guigne, l'anarchiste imaginé
par Jean-Paul Dethorey et Frank Giroud.
Rencontre
avec un dessinateur discret, sensible, talentueux.
|
Didier
Courtois, quel a été votre parcours ?
Après mes humanités artistiques dans la section "Arts appliqués"
de l'institut Félicien Rops de Namur, j'ai suivi les cours de
l'Ecole Saint-Luc de Liège en section "Illustration" où l'on étudiait
un peu la bande dessinée.
Vous
fêtez cette année vos quarante ans. Vous n'êtes pas très connu
dans le milieu de la BD .
J'ai commencé tard ! Mon premier album, Les Cavaliers aux yeux
verts, n'est paru qu'en 1992. J'ai adapté cette histoire en me
basant sur le roman de Loup Durand, et sur des scénarios qu'il
avait réalisés pour la télévision. Par choix éditorial, on a préféré
attribuer l'adaptation à Durand, c'était plus vendeur selon l'éditeur.
A l'époque, ça m'arrangeait d'avoir les mains libres.
Votre
histoire était prévue en plusieurs volumes.
Oui, en trois tomes. J'ai réalisé le deuxième, mais il n'a pas
été publié car la collection a été interrompue du fait des difficultés
rencontrées par l'éditeur. Il ne pouvait plus payer quiconque.
Avons-nous
des chances de voir un jour ces planches restées inédites ?
Non, et je ne les ai même pas dans mes cartons. Elles sont restées
chez Lefrancq.
Vous
avez longtemps assisté la dessinatrice Magda pour Charly, une
série scénarisée par Denis Lapière.
Suite à un accident de Marcel Jaradin , je l'ai remplacé pour
terminer quelques décors de la fin du tome 4, puis, comme il ne
voulait pas continuer, j'ai assisté Magda jusqu'au septième. Cela
s'est fait un peu malgré moi : je commençais déjà à travailler
avec Denis Lapière, et c'est lui qui m'a demandé de dépanner Magda.
Du reste, j'y ai pris du plaisir, et j'ai beaucoup appris.
Pouvons-nous
revenir sur la série que vous réalisiez alors avec Lapière ?
Pour cette série, La Race des Seigneurs, il est arrivé
la même chose que pour Les Cavaliers aux yeux verts. Le
premier tome a été publié, le deuxième a été dessiné mais est
resté inédit. Il s'agissait d'un thriller d'anticipation : les
machines prenaient leur indépendance par rapport aux humains qui
les avaient créées. Cela nous permettait de traiter du racisme,
de l'intolérance des hommes face à ces machines. L'éditeur, Dargaud,
ayant trouvé que le premier tome, La Mémoire brûlée, ne
s'était pas assez vendu, n'a pas publié le second, La Tanière
de l'Ours noir. De plus, je ne m'entendais pas très bien avec
notre directeur littéraire. Mais quand celui-ci a quitté Dargaud,
il a été question de reprendre la série. Malheureusement, cela
a coïncidé avec le fatidique procès Uderzo.
Cela
nous amène en 1996.
Puisqu'il faut bien gagner sa vie, j'ai fait des petits boulots.
En même temps, Denis Lapière et moi-même cherchions une nouvelle
voie, des idées de nouvelles séries. Nous avons eu le projet d'un
one-shot érotique, mais les éditeurs l'ont jugé trop soft ou pas
assez ! Après divers projets, j'ai finalement contacté Frank Giroud
puisque Denis m'avait dit qu'il recherchait quelqu'un.
Pour
ce projet de jeunesse de Louis la Guigne ?
Non, il ne l'avait pas encore. Je lui ai présenté mes travaux,
qui lui ont visiblement plu. On pensait préparer une série pour
la collection polar qui se créait alors chez Glénat, Bulle Noire.
Alors qu'on cherchait un thème de polar, il a eu l'idée de Louis
Ferchot. C'était une idée qu'avaient Dethorey et Giroud depuis
longtemps, mais Dethorey ne voulait pas la dessiner.
Suiviez-vous la série
Louis la Guigne avant de travailler avec Giroud ?
Non, pas du tout, mais je ne suis pas un grand lecteur de bande
dessinée. Le fait d'en dessiner m'apporte déjà tant de plaisir
. il m'est plus amusant d'aller au cinéma, d'écouter de la musique,
de lire un roman. Néanmoins, j'aime beaucoup la bande dessinée.
Jean-Paul
Dethorey est cosignataire de la série Louis Ferchot. Il vous a
aidé ?
Il m'a conseillé, il m'a envoyé une page de croquis originaux
où il s'était amusé à dessiner Louis la Guigne à différents âges.
Je me suis basé le moins possible sur la série Louis la Guigne
pour imaginer Louis jeune. Le challenge était de le dessiner à
ma manière, mais en le faisant ressembler à celui de Jean-Paul
dix ans plus jeune.
Savez-vous,
Giroud et vous-même, pour combien d'albums vous êtes partis ?
Non, mais nous avons une date butoir : la série Louis la Guigne
commence en 1922. Nous en sommes maintenant en 1912, au début
du quatrième tome. Cela nous laisse dix ans. Nous n'avons pas
de plan défini à l'avance, mais je suppose quand même que Frank
a une certaine idée de ce qu'il compte faire ! On sait comment
construire Louis : à chaque tome, il nous faut mettre une piste
qui ébauche la personnalité du futur Louis la Guigne. A côté de
ce cahier des charges, de ce thème général, il y a des intrigues
qui sont en quelque sorte des intrigues policières. Chaque album
est une tranche de la vie du héros.
Vous
ne vous chargez pas des couleurs de vos albums. Est-ce volontairement
?
C'est un manque d'intérêt, et je ne maîtrise pas bien la couleur.
Je préfère voir le travail d'un autre sur mes dessins. J'aime
bien toute cette part de surprise. J'avoue préférer les femmes
coloristes, elles ont plus de sensibilité, elles sont plus fines,
sans vouloir faire de sexisme ! L'épouse de Jean-Paul, Julie Dethorey,
s'était chargée des couleurs du premier tome. Cela donnait une
unité entre les deux séries. Puis, Patricia Faucon a pris le relais.
Je suis très content de l'évolution de son travail, elle a fait
énormément de progrès.
Et
la documentation pour cette série qui se passe dans les années
1910, comment l'abordez-vous ?
Pour les décors, j'estime qu'il faut plus retranscrire l'ambiance
qu'une certaine véracité historique. Dans L'Usine, j'ai inventé
des rues de Paris, d'autres existent. Plutôt que de donner un
fond riche, historique, j'essaie de créer une atmosphère, une
ambiance qui permet au lecteur de savoir où il est. Je préfère
m'attacher aux personnages, à leur physionomie. Il faut laisser
au décor sa seule qualité de fond.
Louis Ferchot © Courtois, Giroud, Glénat
Depuis
le décès de Jean-Paul Dethorey, quel est l'avenir de la série
Louis la Guigne ?
La série est terminée, mais je ne peux rien affirmer sur les projets
de Frank Giroud. Mais, c'est vrai, j'entends souvent en dédicace
des lecteurs me demander si je vais la reprendre. Ce n'est pas
le cas, et je pense que cela serait malvenu. La série Louis Ferchot,
bien qu'étroitement liée à Louis la Guigne, a sa vie propre, elle
se développe différemment. Je n'ai pas du tout la même personnalité
que celle de Jean-Paul. Je ne pourrais pas me couler dans son
trait. J'imagine mal dessiner Louis vingt ans plus vieux. Mais
si l'idée venait de l'éditeur ou de la veuve de Dethorey, je ne
dirai peut-être pas non, plus tard.
Malgré
votre engagement pour la série Louis Ferchot, avez-vous d'autres
projets ?
Pour tout vous dire, j'ai la possibilité de faire une autre série
chez Glénat, mais je préférerais travailler avec Frank. Quand
on aura une bonne idée, on y travaillera. Aujourd'hui, mon travail,
mon énergie sont pour Louis Ferchot. C'est un personnage que j'ai
pu m'approprier complètement, ça me paraît plus être une nouvelle
série, que la simple jeunesse d'un personnage déjà existant. C'est
une nouvelle série qui hérite d'un certain lectorat, mais j'ai
quand même fait découvrir la série Louis la Guigne à quelques
uns !
Entretien
réalisé par Brieg F. Haslé, au festival Quai des Bulles,
Saint-Malo, le 28 octobre 2000.
| |