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Entretien avec Cédric Hervan, Agnès et Jean-Claude Bartoll

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Agnès et Jean-Claude Bartoll, Cédric Hervan
© Cédric Hervan pour Auracan.com
« Même si c'est mon quatrième album, je le vis comme un premier tome ! »

Cédric Hervan

Auracan.com a rencontré les auteurs de la Confession d'Agathe, T1 du Dernier des Schoenfeld...

Grands reporters reconvertis scénaristes de bande dessinée, Agnès et Jean-Claude Bartoll ont rencontré Cédric Hervan par Internet. Ils lui ont proposé le synopsis d’une trilogie intimiste, une nouvelle saga familiale : le Dernier des Schoenfeld.

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le Dernier des Schoenfeld T1
© Hervan - Bartoll / Glénat

Ce projet aurait pu donner un téléfilm. Il sort, dans un premier temps au moins, sous forme d’album de bande dessinée.

Le jeune dessinateur Cédric Hervan, passé par l’école Jacques Martin, adopte un réalisme plus stylisé accentué par sa propre mise en couleur traditionnelle. Après nous avoir dévoilé leur projet dès 2007, les trois auteurs racontent la genèse de cet album auquel Glénat croit beaucoup. Il fait partie des 40 albums sélectionnés pour célébrer les 40 ans de l’éditeur grenoblois.

Agnès et Jean-Claude Bartoll

Pouvez-vous nous présenter cette nouvelle série ?
Agnès Bartoll : Cette série raconte l'histoire d'un jeune romancier américain qui découvre à la mort de sa mère que cette dernière n'était pas sa vraie mère, mais qu'elle est sa tante. Il est en réalité le seul survivant d'une grande famille juive qui a été déportée pendant la guerre. Il va donc partir sur les traces de ses ancêtres. Cela va le mener en France, plus particulièrement dans le Périgord, où il fera la rencontre de la famille Auberoche, la toute puissante famille du bourg Rabaillac. Il découvrira tout au long de son cheminement, les destins croisés de ces deux familles, où passé et présent se mêlent encore…

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le Dernier des Schoenfeld T2
extrait en exclusivité de la planche 7
© Hervan - Bartoll / Glénat

Jean-Claude Bartoll
: D’un point de vue narratif, ce premier tome nous plonge immédiatement dans l’histoire avec le personnage de John que nous n’abandonnons qu’au cours de flashs-backs en « live » qui nous permettent de découvrir les relations entre les Schoenfeld et les Auberoche. Mais, cette série n’est en aucune façon manichéenne. Il n’y pas que du « noir et blanc » mais aussi beaucoup de « gris » jusqu’à l’épilogue à la fin du T3…

Est-ce plus difficile de bâtir une fiction basée sur des faits autobiographiques ?
AB : Extrêmement difficile car cette histoire n'existerait pas si je n'avais moi-même fait tout le chemin sur les traces de ma famille juive disparue et spoliée pendant la dernière guerre. Ma mère fut la seule survivante des Schoenfeld. Son père, grand industriel dans le caoutchouc et médaillé de la Légion d'honneur pendant la première guerre mondiale, fut envoyé le premier à Drancy où il survécut pendant trois ans. Puis les Allemands vinrent chercher les femmes de la famille (qui n’avaient pas encore été internées…) et, ce jour-là, ma mère s'enfuit par la porte de service de leur appartement situé dans le XVIe arrondissement à Paris. Elle fut la seule survivante de sa famille ! Cette histoire resta douloureuse pendant toute sa vie. Elle décida de cacher son appartenance juive et épousa même la cause Palestinienne dans les combats journalistiques et politiques qu’elle mena jusqu’à la fin de ses jours. Je pense qu'elle a été fortement traumatisée. Quant à nous, ses enfants, nous n'avons jamais pu connaître la joie d'avoir des grands-parents et nous avons vu notre mère souffrir toute sa vie. J'ai été profondément touchée par mes propres recherches familiales. Jean-Claude m'a appris à positiver et m'a permis d'en faire une nouvelle aventure !

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les Schoenfeld, grand-parents maternels d'Agnès Bartoll © archives personnelles d'Agnès Bartoll
JCB : Le Dernier des Schoenfeld a son point de départ dans des événements réels mais, lors des recherches d’Agnès aux Archives Nationales, je lui ai proposé de prendre un peu de recul et de « fictionniser » tout ce qu’elle vivait à ce moment-là. C’est pour cela que j’ai effectué le découpage-dialogué de l’album après en avoir fait la construction avec Agnès. J’ai essayé de lui apporter un certain « recul » que je souhaite bénéfique…

À côté d’autres séries en rapport avec l’actualité, cette série  transmet-elle un message particulier ?
AB :  C'est une nouvelle direction que nous prenons dans l'écriture. Ce n'est plus que de l'action-aventure bien documentée. Il y a là une touche beaucoup plus humaine et personnelle. Le message est dans l'œuvre. C'est une série en trois tomes, à la découverte du destin tragique de ces deux familles françaises dont une a eu le malheur d’avoir des origines juives…
JCB : Nous faisons de la BD pour que le lecteur passe un agréable moment de détente. Comme aller au cinéma ou regarder un bon film sur son vidéo-home. Cette série est une fiction, sensiblement ancrée dans une période douloureuse de notre histoire, mais dont on commence à parler avec une liberté de ton de plus en plus importante. Et, si message il y avait à communiquer, ce serait celui de tolérance. Ça  fait « politiquement correct », mais c’est sincère !

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le Dernier des Schoenfeld T2, extrait en exclusivité de la planche 5 © Hervan - Bartoll / Glénat

Pourquoi pensez-vous qu’il y ait autant d’histoires actuellement autour de la Seconde Guerre mondiale ?

AB : Peut-être que la crise que nous vivons actuellement se rapproche d'un état de guerre ! En tous les cas, c'est une histoire originale que nous portons depuis fort longtemps. Il n'y a pas de suivisme chez nous ! Juste l'envie d'emmener les lecteurs avec nous dans une histoire forte aux dimensions dramatiques et historiques bien documentées…
JCB : J’ajouterais que j’ai toujours été un « fana » d’Histoire. Et, parmi toutes les époques qui me passionnent, il y a les années 1930 à 1950 plus particulièrement. Je viens de voir sur une chaîne de documentaires une série sur la « guerre filmée en couleurs » (la seconde, bien sûr). C’était stupéfiant et fichtrement inspirant. Pour tout vous dire, je développe un projet dont le titre provisoire est l’Énigme Nüremberg. Avec un dessinateur aussi passionné que moi par cette époque, nous nous échangeons des documentations originales et alimentons notre réflexion sur ce projet qui sera en « ligne claire »…

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le Dernier des Schoenfeld, Agathe
© Hervan - Bartoll / Glénat
Notre quotidien nous pousse à regarder vers le passé ?
JCB : Je pense que oui et je rajouterais que c’est même indispensable. Depuis plusieurs milliers d’années les hommes reproduisent les mêmes schémas de pouvoir et de puissance. Nous devrions donc tirer un peu plus les leçons de l’Histoire. Même contemporaine…

Cette histoire sera-t-elle finalement adaptée à l’écran ?
AB : Comme pour toutes nos séries de bande dessinée, nous possédons une partie des droits d'adaptations audiovisuelles. Le Dernier des Schoenfeld fut d'abord un projet de téléfilms développé avec le producteur François Charlent. Puis nous l'avons transformé en série de BD et nous avons reçu un très bon accueil chez Glénat avec ce projet. Peut-être que cette mini-série, tout comme Insiders, rencontrera un producteur américain ou canadien motivé.
JCB : Nous ne sommes pas encore penchés concrètement sur la question. Nous venons tout juste de recevoir l’album. Il nous faut le « re-découvrir » sous sa forme imprimée. Et, avec sa jaquette spéciale « 40 ans de Glénat » avec le poster au verso, c’est un très bel objet ! Grâce au talent de Cédric et à l’excellente communication que nous avons avec nos amis éditeurs : Philippe Hauri, Franck Marguin, et le directeur artistique Christian Blondel. Sans oublier tous les autres départements de la maison Glénat sans lesquels toutes ces merveilleuses aventures ne verraient pas le jour. Mais, vous serez prévenus si le Dernier des Schoenfeld arrive sur vos écrans. Promis !

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le Dernier des Schoenfeld, ex-libris
© Hervan - Bartoll / Glénat
Cédric Hervan

Comment avez-vous travaillé votre style de dessin après vos expériences précédentes ?
Cédric Hervan : Durant toute ma collaboration avec Jacques Martin, mon objectif était d’essayer de me rapprocher du style original du papa d’Alix, ce n’était pas une mince affaire ! J’ai donc mis mon style personnel au maximum de côté, essayant de m’inspirer en grande partie de Jacques Martin, mais aussi des dessinateurs qui excellaient à cette époque comme Hergé, Jacobs, Cuvelier… Une fois libéré de cette contrainte, je me suis replongé dans toutes les BD qui m’interpellaient graphiquement et me parlaient. Le plus compliqué fut d’enfin laisser libre cours à mes influences et à mes envies personnelles, de rendre la liberté à mon instinct. Mais tout doucement, je pense que quelque chose est train de se forger, de naître…

Que fut le plus difficile à dessiner : les passages contemporains ou les scènes historiques ?
CH : Les scènes contemporaines… Je me sens beaucoup plus à l’aise avec les scènes historiques. L’univers contemporain est trop proche de moi ; les voitures, l’architecture ou les costumes me sont alors trop familiers pour me dépayser suffisamment. Je me sens plus à l’aise dans les périodes historiques, 1940-1945 en particulier. J’apprécie d’abord de faire toutes les recherches documentaires. Et puis, il y a une ambiance particulière qui m’inspire davantage. C’est du moins comme cela que je le ressens… Les costumes, les petits détails de décors qui transforment le Paris actuel en Paris pendant la guerre, les vieilles voitures… J’ai fini par remarquer que les planches historiques venaient plus naturellement que les planches contemporaines, et actuellement, les planches dont je suis le plus satisfait dans l’album sont parmi les planches historiques…

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le Dernier des Schoenfeld
3 générations de Schoenfeld
© Hervan - Bartoll / Glénat
Réfléchissez-vous beaucoup à la mise en scène ?
CH : Oui, je réfléchis énormément à la mise en scène, bien que tout se fasse instinctivement… Je n’ai pas de règles particulières, j’essaie de me jouer le film dans ma tête à la lecture du scénario et j’essaie au mieux de le retranscrire sur le papier. Plus j’avance, plus je ressens le besoin de travailler en force le découpage ! Je n’ai pas recommencé des scènes entières au niveau du dessin, mais bien au stade du story-board par contre. Quand, par instants, je sens que la planche ne tient pas, sans même savoir pourquoi, je cherche et j’essaye jusqu’à ce que la solution me saute au visage, quitte à la laisser sur le côté quelques jours ! De ce fait, une fois au stade du dessin, il y a moins de mauvaises surprises, mais je n’en reste pas moins un grand adepte de la « rustine » papier : je coupe, je colle, je refais les cases dont je doute !

Comment abordez-vous la documentation ?
CH : Tout est le bienvenu ! Il est certain qu’Internet facilite drôlement la tâche ! Quand on cherche des éléments modernes comme des voitures ou bien quelques photos avec une architecture particulière, on peut le trouver facilement sur le net. D’un autre côté, j’adore me plonger dans les livres, ou encore aller fouiner chez les bouquinistes et dans les bibliothèques, à la recherche du document qui pourra inspirer une scène. Bien entendu, je me laisse parfois trop prendre au jeu de la recherche et je passe un peu trop de temps sur cette étape. C’est certainement là une habitude prise durant ma collaboration avec Jacques Martin…

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le Dernier des Schoenfeld T1, 4e de couverture
© Hervan - Bartoll / Glénat
Vous inspirez-vous d’autres albums de bande dessinée ou du cinéma pour la période 1940-1945 ?
CH : J’ai certains albums posés sur ma table et je n’hésite jamais à y jeter un petit coup d’œil… Entre autres, Amours fragiles de Beuriot et Richelle qui est vraiment une très belle série, ou encore Opération Vent printanier de Richelle et Wachs [toutes deux chez Casterman, ndlr], ou encore le Vol du corbeau de Gibrat [Dupuis], sans compter également les films comme Monsieur Batignole, le Pianiste, la Liste de Schindler...

Quelles techniques avez-vous utilisées pour la mise en couleurs ?
CH : J’ai opté pour une mise en couleur traditionnelle, autrement dit avec des encres colorées (écoline, colorex) et des aquarelles. Ayant commencé mon parcours professionnel par la mise en couleurs que j’ai dû abandonner faute de temps, j’avais envie d’y revenir et d’essayer de trouver mon propre langage coloré qui soit à la fois reconnaissable tout de suite et complémentaire de mon travail. Cela vient de mon admiration pour des dessinateurs comme Juillard, Jusseaume, Miralès, Gibrat, Lepage et bien d’autres… Malgré tout, ce n’est pas encore de la couleur directe, je n’ai pas encore assez confiance en mon dessin pour cela, j’applique donc mes encres sur des copies des planches sur papier aquarelle.

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le Dernier des Schoenfeld T1, 3 étapes pour la couverture © Hervan - Bartoll / Glénat

Comment avez-vous conçu la couverture de l’album ?

CH : La couverture fut une belle aventure… Le premier projet est né dès la première présentation des planches d’essais à Glénat. Agnès, Jean-Claude et moi étions déjà d’accord sur l’esprit de la couverture. Le principe était d’avoir, en avant-plan, le héros représentant la période contemporaine et l’arrière-plan la période historique, 1940-45. J’ai eu l’envie de mettre en place la technique d’un fond monochrome. Glénat a rapidement adhéré au projet et l’a bien mis en valeur grâce à une différence de texture sur la couverture, nous en sommes très fiers ! Au niveau technique, j’ai réalisé tous les éléments de la couverture en séparé, ce n’est qu’après que nous l’avons remonté grâce à l’ordinateur, on pouvait ainsi essayer toutes les compositions qu’on voulait… Chose amusante : le premier projet de couverture fut une des premières choses que j’ai faites, mais sa version finale fut la dernière chose que j’ai réalisée !

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le Dernier des Schoenfeld T1, 3 étapes pour la couverture © Hervan - Bartoll / Glénat

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le Dernier des Schoenfeld T2
extrait en exclusivité de la planche 3
© Hervan - Bartoll / Glénat
Comment vous sentez-vous à la fin de cet album ?
CH : Je dois avouer que même si c’est mon quatrième album, je le vis comme un premier ! Dans le cadre des œuvres Jacques Martin, le cadre était déjà bien défini. Un peu comme un train qui est lancé à toute vitesse : on monte dedans ou on en descend à certains moments, mais pas question de changer la destination… Donc, je n’ai pas vraiment eu l’opportunité de tenter de nouvelles expériences. Tandis qu’aujourd’hui, je me sens seul maître à bord au point de vue graphique. C’est très enivrant, mais aussi très angoissant ! On espère ne pas se tromper et pour cet album, j’ai vraiment essayé de donner un maximum d’énergie.

Vos impressions à l’impression de l’album ?
CH : Aller à l’imprimerie me semblait essentiel ; bien qu’en réalité, on ne corrige que très peu de choses au moment même. Mais j’y étais et comme c’était une première expérience pour moi, c’était vraiment incroyable de voir cette étape du travail, très amusant d’observer son dessin qu’on réalise tout seul dans son coin multiplié d’une telle manière et qui bientôt sera prêt à débarquer dans de nombreuses mains. De très nombreuses j’espère !

Propos recueillis par Manuel F. Picaud en mai 2009
Tous droits réservés. Reproduction interdite sans autorisation préalable
Coordination rédactionnelle : Brieg F. Haslé © Manuel F. Picaud / Auracan.com

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Manuel F. Picaud
28/05/2009