Entretien avec Philippe Bonifay
« J’ai de la chance de pouvoir m’exprimer chez différents éditeurs dans des formats qui me conviennent mieux que les 46 pages »
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Le scénariste, comédien et coordonnateur du studio Jotim, Philippe Bonifay ne cesse de se renouveler. A 51 ans, il a déménagé en Guyane où il va donner une nouvelle inflexion à sa carrière. Le Studio Jotim destiné à l’adaptation en bande dessinée du chef d’œuvre de G.-J. Arnaud, la Compagnie des Glaces chez Dargaud s’est arrêtée. Il poursuite la saga Zoo avec de nouvelle idées pour relancer l’histoire. Il lance de nouveaux projets qui vont s’échelonner dans les prochains mois. Autant dire que son actualité rendait indispensable de faire un point avec un auteur humaniste au franc parler.
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Après la trilogie Zoo, vous avez publié un beau livre de textes et d’illustrations.
Ce bel album est délégué par Dupuis à Champaka. Il collecte une grande partie des dessins réalisés par Frank Pé autour de Zoo, comprenant des ex-libris, des illustrations retrouvées et quelques inédits. L’ensemble est présenté sous forme d’une rencontre d’un journaliste qui discute avec Anna. Ce journaliste est un ancien soldat de la Grande Guerre, sauvé par Célestin qui est mort au front dans le tome 3. Après la Guerre, il arrive au zoo où il fait la connaissance d'Anna. Le livre se présente sous forme d’une lettre écrite par le journaliste à son beau-frère, comme une des nombreuses lettres écrites pendant la Grande Guerre, et illustrée par Frank Pé. Cet exercice de l’épistolaire m’a obligé à structurer différemment mon récit. L’histoire se poursuit de lettre en lettre. Le rythme en est plus dynamique.
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A vrai dire, j’aimerais réaliser un autre hors série avant le vrai tome 4 pour annoncer l’événement particulier qui va s’y produire. Nous tenons à la logique et la cohérence de ce qui se passe dans Zoo. Le tome 4 sera basé sur deux idées force : d’une part le retour de Manon et de Buggy d’Afrique, d’autre part le vieux zoo va servir à quelque chose en lien avec la problématique d’Anna et avec ce que raconte ce journaliste. Il y aurait donc le hors série qui s’intercalerait et introduirait le retour de Manon et Buggy. Cette idée est encore en cours de négociation avec Dupuis.
C’est fait pour vendre un album de plus ?
Au début, c’est vrai, Zoo était prévu en trois tomes. J’avais refusé d’en faire plus parce que je n’avais pas d’idée particulière. Or aujourd'hui il y a un élément fort et intéressant qui donne envie de poursuivre le récit. Nous avons commencé Zoo il y a 20 ans et n’avons pas trop envie de lâcher cet univers que nous connaissons bien. En même temps je suis raconteur d’histoires. Si je n’avais pas quelque chose à raconter je ne le ferais pas. Je n’en aurais pas de nostalgie.
Quand prévoyez-vous ce tome 4 en définitive ?
Ce n’est pas pour tout de suite. Il nous faut deux ans de réalisation. Et je n’ai pas encore abordé l’écriture du scénario car il dépend de l’existence ou non du hors série.
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Tout simplement. Frank m’a téléphoné et m’a demandé si j’avais envie de participer. L’idée était séduisante. Nous avons tous été confrontés à des dilemmes. C’est ce qui arrive au personnage principal. Aux Etats-Unis, l’héroïne participe à un braquage qui se termine dans le sang par la mort d’un vigile. Elle a une vingtaine d’années. Elle échappe à la police et refait sa vie à Londres. Près de 20 ans plus tard, elle est rattrapée par son passé : une ancienne rivale est sur le point d’être condamnée à mort à sa place. Elle a une alternative : soit se dénoncer et perdre la vie qu’elle s’est construite depuis, soit ne pas le faire et laisser condamner une innocente. Le dilemme est vraiment intéressant. D’un côté certains auteurs vont raconter ce qui se passe si elle se dénonce. A l’opposé, d’autres voient ce qu’il se passe si elle ne se dénonce pas.
Vous réalisez le T.8 paru en janvier 2011
Je réalise un épisode de la voie où elle se dénonce. Dans le cheminement, ce sera au 4e niveau. Je le réalise avec Loïc Malnati avec qui j’avais travaillé dans la Compagnie des Glaces mais surtout sur un projet le Ventriloque avorté au bout de la 35e planche chez Casterman. Nous tenions beaucoup à cet album. L’arrêter dans ces conditions était scandaleux ! L’occasion nous était donc donné de retravailler ensemble. Je le lui ai proposé. A ma grande satisfaction, car il a encore progressé dans son dessin et son style.
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L’écriture de ce scénario est une vraie aventure en soi ! J’avais totalement achevé mon synopsis et son découpage planche par planche. Mais quelqu’un est intervenu pour dire qu’on ne pourrait pas publier comme ça. Sur le coup, j’ai un peu râlé mais j’ai dû tout recommencer. A l’origine, l’histoire mettait en scène des drag-queens qui détournaient un bus pour dénoncer la condition des homosexuels aux Etats-Unis. Je me basais sur Stonewall bien sûr mais sur des articles bien plus récents que j’avais lus sur des flics dénoncés et virés du fait de leur homosexualité. J’avais imaginé un flic, hétéro et marié, qui aimait à se défouler en se transformant en drag-queen à New York. Dénoncé, il est viré de la police et se suicide sur la Ve avenue. Dans ce contexte, trois activistes décident de détourner un bus pour dénoncer cette discrimination. Et dans le bus il y a l’héroïne, coincée et mêlée. Comme elle est bénévole dans une ONG, elle s’implique et essaye de négocier. Mais la police intervient et fait un vrai carton, tuant les drag-queens et des passagers. Mais voilà cette idée a été écartée. Je la retravaillerai sans doute autrement.
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Comment se passe le travail sur Destins ?
L’ensemble est managé par Frank Giroud et Philippe Hauri. Nous échangeons grâce à des boites mails uniques, ce qui permet de nous répondre instantanément à toutes les questions que nous nous posons.
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Vous avez lancé un album sur « le Roi des Singes »…
Je suis un vrai passionné de Tarzan. Enfant, la première BD que j’ai lue était Tarzan ! Super fan, je connaissais tout son vocabulaire [rires]. Fabrice Meddour m’a lancé sur le sujet. Il avait vendue l’idée à l’éditeur Vents d’Ouest qui en était d’accord. L’histoire est totalement originale. Ce ne sera pas une énième adaptation de Tarzan, mais d’un personnages issu plutôt de Les Voyages très extraordinaires de Saturnin Farandoul de A. Robida. Je me demande ce qui fait que l’animal va sortir de cet homme là. Pourquoi cet homme va soudain se mettre nu et plonger dans la Tamise ? Ce sera une histoire en deux tomes. Cela se passera à Londres avec des scènes de flash back sur sa vie passée dans « les jungles » qu'il a visitées. Le travail de Fabrice est somptueux.
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Justement, vous travaillez avec lui sur une nouvelle série concept autour des grands contes ?
Je me suis posé une question simple. Quelle est la vraie histoire qui a déclenché dans la têtes des plus grands conteurs comme les frères Grimm, Charles Perrault, Collodi ou Andersen l’envie d’écrire leurs contes ? L’idée n’est donc pas d’adapter en BD les contes (surtout pas !) mais de raconter avec des personnages réels la vraie histoire sur laquelle ils reposent. Par exemple Andersen récupèrera un livre ancien avec des illustrations à l’aquarelle faites par une adolescente qui va lui inspirer la Petite sirène. Collodi est en lien avec un personnage qui va lui faire penser à Pinocchio. Etc.
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Vous allez travailler avec plusieurs dessinateurs ?
Il s'agit d'une série de one-shots, tous ayant évidemment ce thème de l'origine, chacun étant une vraie démarche d’auteur et réalisés par différents dessinateurs tels que Stéphane Duval, Laurent Libessart et Fabrice Meddour pour les trois premiers. Cela paraîtra chez Glénat.
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Vous venez de publier Gitans des Mers. Un retour à votre passion de pirates…
Je reviens en effet chez Dupuis avec Stéphane Duval. Quand j’ai appris que Patrice Pellerin quittait Dupuis pour Quadrants, je l’ai appelé pour savoir si je pouvais essayer de « prendre sa place ». Il m’a encouragé à les contacter, ce que j’ai fait. Ils ont accepté cette nouvelle série dont le premier tome fait 70 pages. Nous sommes déjà sur le T.2. Les couleurs ont été réalisées par Meephe Versaevel dont j’admire le travail et j’aimerais bien qu’elle fasse toutes les couleurs de mes prochains albums ! Mais voilà... je ne suis pas le seul auteur du marché, ha ha...
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Qu’en est il du devenir de la série La Compagnie des Glaces ?
L’adaptation s’arrête avec le T.15 et la troisième intégrale. Les résultats commerciaux n’ont pas été à la hauteur. J’avais espéré 100 tomes mais ça n’a pas fonctionné comme je l’espérais. C’était la première collaboration d’auteurs à cette échelle. Il fallait réaliser une production de masse ce qu’on a obtenu mais pas assez de qualité. Le premier album a été intégralement mis à la poubelle et recommencé grâce à l’aide de Jérôme Lereculey pour les personnages. Puis ce fut au tour de Loïc Malnati. Finalement nous n’avons jamais trouvé le bon équilibre et cela n’a pas toujours été plaisant à faire. Je dois dire que l’éditeur [ndlr, Dargaud] s’est bien battu. Je n’ai rien à lui reprocher, bien au contraire ! Aujourd’hui je ferais bien différemment mais je remercie tout le monde de cette aventure. Toute l'équipe Dargaud, dont Christel était mon interlocutrice et tous les auteurs, français et étrangers, qui ont participé ! Et tous les lecteurs qui ont soutenu le projet !
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C’était un peu votre pari fou !
Sans doute. En fait la seule chose qui m’insupporte, ce sont les auteurs qui disent après coup qu’ils auraient fait autrement alors qu’ils ne se sont pas levés pour me dire que j’étais en train de me planter ou venir nous aider. On me trouve souvent prétentieux quand je dis ce que je pense mais j’aime essayer de transmettre mon expérience, tendre la main aux copains, etc. J’aimerais que la réciproque soit vraie.
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D’autres choses sur le feu ?
C’est déjà pas mal ! J’ai déménagé en Guyane et vais sans doute revoir complètement mon activité BD et non BD. J’ai déjà des envies d’écriture sur le Bagne, la vie en Guyane, la forêt, etc. J’ai de la chance aujourd’hui de pouvoir m’exprimer chez différents éditeurs et dans des formats qui me conviennent mieux que les 46 pages. Je peux ainsi davantage pousser la composante psychologique des personnages.
Propos recueillis par Brieg F. Haslé et Manuel F. Picaud
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