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Entretien avec Philippe Bonifay et Youssef Daoudi

Youssef Doaudi et Philippe BonifayYoussef Daoudi et Philippe Bonifay

À l’occasion de la parution de Sueur aux tripes, troisième tome de La Trilogie noire (Casterman), nous vous invitons à rencontrer Philippe Bonifay et Youssef Daouadi, les auteurs de cette ambitieuse et réussie adaptation de romans signés Léo Malet. Nous avons évoqué avec eux ces récits sombres où les personnages de Malet n’ont aucun espoir de s’en sortir tout en abordant également leur collaboration sur cette adaptation…

Quelles sont vos méthodes de travail sur La Trilogie noire ?

Philippe Bonifay  : Le scénario me prend trois à quatre mois de travail pour un album.

Youssef Daoudi  : Pour ma part, il me faut neuf à dix mois à plein temps pour réaliser un album. Mais, paradoxalement, c’est très réjouissant à faire pour le dessinateur. Évidemment, on ne s’identifie pas forcément aux personnages, surtout ici, mais on essaye de leur donner de la chair et de la consistance. Personnellement, j’aime bien ce genre d’histoires liées à une époque donnée, j’apprécie les histoires qui vont jusqu’au bout, jusqu’à l’outrance, où il s’agit effectivement de sentiments humains exacerbés, de situations extrêmes, limites. C’est vraiment très réjouissant à faire !
Philippe Bonifay  : En même temps, en tant qu’auteurs, nous avons à la fois une implication émotionnelle avec les personnages que l’on crée et que l’on fait vivre, et en même temps beaucoup de distance. Je sais très bien que je vais travailler les personnages - avec un plaisir qui peut paraître un peu bizarre - à les faire sombrer. C’est dégueulasse de faire ça !

Et c’est encore plus vrai à chaque nouveau tome de La Trilogie noire, qui sont de plus en plus dur : vos personnages sont condamnés…

Philippe Bonifay  : En effet. Il suffit d’évoquer le titre du deuxième tome : Le Soleil n’est pas pour nous. Le troisième s’intitule Sueur aux tripes. Les trois titres sont sombres, mais qui ne sont pas illustratifs du contenu. On aurait presque pu les intervertir… Ils sont illustratifs de l’ambiance des récits.

S’agit-il des titres originaux des romans de Malet ?

Philippe Bonifay  : Oui, tout à fait.

Êtes-vous tributaires des ayants droits de Léo Malet ? Devez-vous, par exemple, leur soumettre votre travail avant publication ?

Philippe Bonifay  : Pas du tout, nous sommes libres. Notre éditeur a acheté les droits d’adaptation, le seul regard qu’ont les ayants droits est de voir si nous dénaturons ou pas l’œuvre de Malet. Le droit d’auteur précise qu’on peut céder les droits d’exploitation, mais que la propriété intellectuelle est incessible et inaliénable.

Youssef, penses-tu que ton dessin corresponde bien à cet univers sombre ?

Youssef Daoudi  : J’ai une petite palette de styles que j’essaie de développer. Le parti pris pour lequel nous avons opté au départ sur La Trilogie noire suivait le fait que ces albums étaient destinés à la collection « Ligne Rouge » des éditions Casterman. Il s’agit d’albums qui peuvent aller jusqu’à 54 pages, mais qui sont aussi en couleurs. Il fallait faire, je dirais, un amalgame qui puisse à la fois être lisible pour le lecteur lambda, tout en faisant ressentir la noirceur extrême des récits de Malet. Nous aurions pu imaginer un dessin extrêmement noir avec des personnages fantomatiques, décharnés… pour coller avec les propos très dramatiques des histoires. Mais nous avons pensé que cela aurait trop.
Philippe Bonifay  : Ce qui me plaît bien dans le travail de Youssef, c’est qu’il a un dessin qui rend les personnages très humains. Plutôt que graphique, je considère son travail comme intellectuel. Ici, on reste dans une tradition bande dessinée avec un dessin qui crée des personnages très humains, très présents, attachants… alors qu’on sent que cela va mal tourner pour lui. On a mal pour lui. Si tu es sur un dessin plus graphique, plus noir et blanc, cela peut fonctionner sûrement, mais très différemment, plus élitiste probablement.
Youssef Daoudi  : À la différence des romans graphiques de tradition italienne par exemple, ici nous sommes dans du franco-belge avec des scénarios très dramatiques.

Cette adaptation de La Trilogie noire de Léo Malet nous a permis de te découvrir puisque tu débutes en BD avec cette série…

Youssef Daoudi  : Absolument. Je viens du milieu de la publicité, de la communication où je ne dessinais pas forcément d’ailleurs. J’étais directeur artistique dans des boîtes de publicité assez connues. Mais j’ai toujours gardé la flamme de la bande dessinée. J’en ai toujours rêvé, et j’ai tout laissé tomber pour en faire ! Ce qui est enfin le cas aujourd’hui avec La Trilogie noire.

Propos recueillis par Brieg F. Haslé en octobre 2006
Visuels extraits de La Trilogie Noire © Bonifay, Daoudi, Casterman
Tous droits réservés © Brieg F. Haslé / Auracan.com, 2007
Photo des auteurs © Brieg Haslé
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Brieg F. Haslé
22/10/2007