A 31 ans, entre Paris et l'Ardeche, Fabien Nury s'éclate comme scénariste. Si ses brillantes études a l'École Supérieure de Commerce de Paris (ESCP) auraient du le conduire sur une voie bien différente, son chemin a croisé en 2000 la route de Xavier Dorison (Le Troisieme Testament, Sanctuaire). De leur amitié naîtra la série W.E.S.T. (4 tomes parus depuis 2003 chez Dargaud) et le film Les Brigades du Tigre (complété d'une BD dessinée par Jean-Yves Delitte chez Glénat). Grand bosseur, passionné de cinéma, il enchaîne les projets dont le dernier, la nouvelle saga Il était une fois en France mise en scene par Sylvain Vallée (Glénat), est l'une des révélations de l'année 2007. Rencontre.
A propos de W.E.S.T.
Drôle d'itinéraire que le vôtre : de l'ESCP a la BD !.
Finalement, le commerce et la gestion ne m'intéressaient pas : les études en France sont ainsi faites que l'on s'en aperçoit au dernier moment. J'avais besoin de faire un métier qui me passionne. Je voulais faire du cinéma ou de la bande dessinée : le scénario me paressait etre un bon truc. Certes, je n'avais aucune compétence technique, mais je n'étais pas analphabete ! En parallele, je bossais dans la publicité. Je me suis dis : < tiens, essaye d'écrire >. Grâce a mon école de commerce, j'ai notamment rencontré Alex Alice a un festival de bande dessinée des grandes écoles parisiennes. J'y ai croisé Mathieu Lauffray qui était venu avec Claire Wendling et Xavier Dorison. Au cours de mes études, j'ai aussi fait un stage chez Glénat : j'y ai appris comment on concevait et fabriquait une bande dessinée. Comme j'écrivais en dilettante, un jour, Xavier Dorison m'a proposé de travailler avec lui. C'est lui qui m'a mis le pied a l'étrier et je lui en saurai gré longtemps ! Nous avons attaqué avec le premier tome de W.E.S.T., une idée de Xavier : il voulait faire un récit a la Pinkerton traité avec une note fantastique.
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Xavier Dorison vous a-t-il appris l'écriture d'un scénario de BD ?
Je connaissais déja un peu le sujet. Pour un distributeur de cinéma, j'étais lecteur de scénarios. Un job ou l'on doit lire de nombreux scripts et en tirer des fiches synthétiques. J'avais ainsi lu énormément de scénarios de cinéma, ce qui est tres proche de la BD réaliste pour ce qui est de la construction d'une histoire, la mise en forme, la rédaction des dialogues. Entre autres choses, Xavier est super fort en concepts. Nous avons tout de suite bossé a 50/50, avec une vraie émulation. Le scénario du tome 1 de W.E.S.T. n'a meme pas pris trois mois a etre bouclé. Nous l'avons adressé a Dargaud, aux Humanoides associés et a Soleil. Tous l'ont accepté, mais comme Dargaud a proposé a Christian Rossi de le dessiner !.
C'est donc votre éditeur qui vous a < marié > avec Christian Rossi ?.
Absolument, ce sont Guy Vidal et François Le Bescond qui ont pensé a lui. Christian Rossi a lu notre scénario : certes, nous étions de jeunes auteurs, mais c'était pechu ! Cela lui a plu, il s'est dit que ça pourrait assez rigolo a mettre en scene. Il a cru pouvoir le faire assez facilement, mais la, il s'est planté !. Il était partant a condition que nous attendions deux ans pour qu'il s'y mette, étant alors pris par d'autres projets. Nous étions bien évidemment d'accord pour attendre deux ans, voire plus s'il le voulait ! Il s'agissait de ma premiere bande dessinée, j'étais super content de me retrouver chez Dargaud avec Xavier Dorison et Christian Rossi. Un super coup de bol !
Dans les inspirations de W.E.S.T., l'on pense notamment aux Mysteres de l'Ouest ?
Nous avions envie de faire Les Mysteres de l'Ouest, non pas dans une version potache, mais avec une ambiance a la X-Files transposée a une époque plus ancienne. Pas le côté extraterrestre de X-Files, mais son aspect fantastique. Il existe toute une logique du film de genre, du western (je pense notamment aux films Les 7 Mercenaires, Les Professionnels .) qui met en scene des équipes de tueurs. Je trouve par ailleurs que le premier cycle de W.E.S.T. est proche du film Un crime dans la tete (The Mandchurian Candidate), une histoire de politique-fiction avec Frank Sinatra, ou des types qui sont hypnotisés vont devoir commettre un assassinat. W.E.S.T. s'inscrit dans la meme lignée, mais nous utilisons un biais plus fantastique.
Faites-vous partie de ces auteurs s'inscrivant dans l'actuelle mouvance de l'uchronie ?.
Disons que nous adoptons un cadre historique précis et que nous brodons dessus. Le roman américain fait cela tres bien. Je pense a Ellroy, par exemple, qui est mon pape littéraire, un auteur vraiment tres important pour moi, meme si Xavier ne supporte pas ses livres. Mais nous nous retrouvons sur Stephen King ou Jack London, par exemple. Au départ, l'idée était d'imaginer un western fantastique tout simple. Nous nous sommes rapidement éloignés de cette idée, parce que l'époque choisie, les années 1900, nous ramenait vers d'autres choses, notamment vers ce président Mac Kinley qui a eu la bonne idée de se faire assassiner dans un super décor amplement documenté ! Le genre < assassinat du président > existe, il s'agit d'un vrai genre de cinéma depuis la mort de Kennedy. Le premier cycle de W.E.S.T., c'est cela, mais traité avec un mode fantastique. Le deuxieme cycle de W.E.S.T. regarde du côté des westerns révolutionnaires comme les films Il était une fois la révolution, Viva Zapata !, Companeros. Bref, tout un tas de westerns spaghetti ou de films un peu plus sérieux comme La Horde sauvage. Nous n'avons pas situé l'action au Mexique comme dans ces films, mais a Cuba. Du coup, pour la note fantastique, nous ne parlons pas de vaudou mais de santeria ! Vous voyez, le concept initial de Xavier est excellent : il nous permet a chaque fois de retrouver des éléments familiers, connus des lecteurs, mais également de les renouveler. C'est tres sympa a écrire : ce n'est pas de la téquila, c'est du rhum !
Extrait de W.E.S.T. T3 |
Le lecteur de W.E.S.T. peut se demander si vous avez quelque chose contre les trains ?.
C'est vrai qu'il y a un train qui déraille dans chaque cycle ! Lors de la premiere séance de travail avec Christian Rossi, en moins de cinq minutes, il nous a dessiné un train qui décollait littéralement. Christian est une brute, un tueur, un magicien ! Parmi ses tres nombreux talents, il maîtrise ces incroyables séquences d'action : nous allons donc essayer a chaque fois de lui en faire dessiner. Il sait renouveler la chose a chaque fois. Christian a vraiment un talent fou !
Quid de la suite de W.E.S.T. ?
Dans le prochain cycle, nous allons explorer de maniere frontale le passé de Morton Chapel. Nous allons notamment nous intéresser a sa fille. Pourquoi est-elle dans cet état ? Faut-il la réveiller ? Serait-ce dangereux de le faire ?. Nous avons imaginé un récit fantastique tres différent des précédents cycles.
Parce qu'on va entrer dans l'intimité de votre héros.
Tout a fait. Et la, nous allons faire morfler Morton Chapel comme jamais ! On va prendre le risque de casser le jouet. Tout ce qui constitue l'équipe W.E.S.T. va etre mis en danger, au sens le plus fort : je ne peux pas garantir qu'ils vont tous s'en sortir, ni qu'ils seront encore protégés par Clayton et Roosevelt. Ce qui va leur arriver est affreux !
Et cela paraît vous éclater !
Si nous voulons que les lecteurs aiment nos personnages, il faut que nous les fassions souffrir ! C'est la regle tres sadique du scénariste. et elle marche ! Avec le prochain tome, nos personnages en prennent plein la gueule, vraiment ! Il y aura moins de grosses intrigues politiques et beaucoup plus de souffrances personnelles autour des personnages, de leurs drames. Par exemple, ce ne sera pas forcément une nouvelle mission. C'est un moyen de renouveler notre intéret, celui de Christian aussi, et d'aborder des mises en scene différentes. Nous continuons tant que cela nous amuse. Et puis, vous savez, tant que l'éditeur vous laisse continuer, c'est bon signe ! Et ici, nous sommes meme encouragés !
A propos de Il était une fois en France
Évoquons votre nouvelle saga Il était une fois en France . S'agit-il vraiment d'un récit basé sur une histoire vraie ?
La série Il était une fois en France est certes un récit historique et crédible, mais c'est avant tout une fiction. Les Américains ont un bon mot pour cela : les < biopic > pour < biographic pictures >. Ça sonne comme épique. C'est donc un < biopic > sur Joseph Joanovici, personnage réel et terriblement ambigu, qui me permet de raconter l'histoire du crime organisé a une époque donnée de l'histoire de France, loin d'etre la plus joyeuse.
Joseph Joanovici - extrait de Il était une fois en France T2 |
Comment avez-vous connu l'étonnante histoire de cet incroyable Joseph Joanovici, tout a la fois misérable et milliardaire, collabo et résistant ?
Vraiment par hasard, en me documentant sur autre chose. Je cherchais d'autres informations sur la < French Connection > dans des bouquins que je consultais pour écrire, avec Xavier Dorison, le scénario du film Les Brigades du Tigre. Je suis tombé sur un chapitre évoquant ce personnage et me suis tout de suite dit qu'il ne fallait pas le laisser passer, que je devais en tirer quelque chose. Je me suis donc mis a la recherche d'autres infos sur lui. Sa vie est largement documentée, j'ai découvert de nombreux éléments. Mais, pendant pres de trois ans, je pensais qu'il ne serait pas possible d'en tirer quelque chose en bande dessinée.
extrait de Il était une fois en France T2 |
Pour quelle raison ?
Parce que je me suis dit que son histoire ne serait pas assez spectaculaire. Physiquement, le personnage n'est absolument pas séduisant. Bref, cela m'a décontenancé, je n'avais pas les armes scénaristiques habituelles. Pour le tome 1, j'ai adopté une narration spécifique, avec un systeme de flash-back : tout ce qui fait que l'on obtient un album rapide et dense et qui englobe, en meme temps, une longue période. Et, finalement, je crois que c'est ma meilleure BD, grâce a Sylvain Vallée qui a apporté d'autres armes a mon récit.
Justement, vous citez Sylvain Vallée : comment a-t-il rejoint le projet ?
Je rends a César ce qui lui appartient : c'est Laurent Muller, ancien éditeur chez Glénat a qui j'avais adressé mon scénario, qui a pensé a Sylvain. Si je connaissais sa série Gil St André [ scénario de Jean-Charles Kraehn, ndlr ] , je ne connaissais pas personnellement Sylvain. Mon ami Laurent Muller m'a alors montré ses premieres esquisses : Sylvain avait imaginé une vingtaine de visages a des âges différents en variant les expressions. J'ai senti qu'il tenait fort bien mon personnage. Cela rejoignait totalement son imaginaire, sa culture et son gout pour des films comme La Traversée de Paris ou ceux signés Georges Lautner. Bref, exactement les ambiances que l'on va trouver dans Il était une fois en France.
Combien de tomes comptera votre série ?
6 tomes. La trame générale est construite, mais cela ne veut pas dire que ça ne va pas évoluer. Le tome 2 est entierement écrit et dialogué, Sylvain est en train de le dessiner. Je suis en train d'écrire les tomes 3 et 4 dans la foulée. Les tomes 2, 3 et 4 évoqueront la période de l'Occupation. Je renonce momentanément au systeme de flash-back, car l'histoire de cette période se suffit a elle-meme. Avec les tomes 5 et 6, nous retrouverons le juge Legentil et mettrons en scene le duel dont on a aperçu une partie au tome 1. Chaque volume possede sa référence cinématographique. Pour le premier, j'ai notamment pensé a Il était une fois en Amérique et au Parrain 2, ne serait-ce que pour la construction et l'ascension de Joseph Joanovici.
D'ou le titre de la série. Il fallait oser un titre générique aussi long !
C'est vrai, mais il me plaisait trop. Il y a bien eu Il était une fois en Amérique, en Chine, au Mexique, en Arizona (certes, ce n'est pas le plus connu !). alors, pourquoi pas Il était une fois en France ? De plus, le titre était encore libre ! Franchement, il y a trop de coincidences et le sujet le permettait. Pour en revenir aux références cinématographiques, le tome 2 est dans l'esprit de Monsieur Klein : on y parle de l'indifférence, de la lâcheté collective, on se demande comment un type comme Joseph Joanovici a pu survivre et meme, faire des affaires, entre 1940 et 1942 ? Le sujet est tres intéressant, tres riche, c'est pour cela que nous y consacrons un tome entier.
extrait de Il était une fois en France T2 |
Le sujet est sensible. Quelles ont été les premieres réactions ?
En effet, il y a eu des craintes. Mais nous en étions conscients, j'avais préparé mon laius, vérifié mes intentions. Je crois meme que des avocats de mon éditeur ont lu le scénario. De maniere générale, les lecteurs ont constaté qu'on ne pouvait se méprendre sur nos intentions. Il y a évidemment l'ambiguité du personnage principal, mais pas des auteurs. Joseph Joanovici concentre a lui seul tous les problemes de cette époque : la collaboration, le délire antisémite. C'est un juif collabo, mais aussi un juif résistant, avant de devenir un bouc émissaire en 1947.
Autres actualités
Quels sont vos autres projets ?
Chez Dargaud, la série Le Maître de Benson Gate se poursuit avec Renaud Garreta. Le tome 2 est prévu pour l'été prochain. Ici aussi, il s'agira d'une série au long cours. Renaud bosse vraiment bien, nous nous amusons beaucoup ensemble. Je prépare, également chez Dargaud, un diptyque avec Jack Manini dont les sorties seront tres rapprochées, fin 2008 pour le tome 1 et début 2009 pour le second. Ce récit, intitulé Nécromancy, sera dans la veine fantastique de Je suis légion : une ambiance glauque, un mélange de polar et d'épouvante se déroulant a la Nouvelle-Orléans durant les années 1920. J'ai aussi deux ou trois autres projets, mais qui ne sont pas encore concrétisés.
Et pour ce qui est du cinéma ?
J'en ai également. L'adaptation cinéma de Je suis légion est en cours de développement. Pour ma part, j'ai écrit le scénario. La recherche de financement et le casting sont actuellement en cours. Je ne sais pas si les producteurs vont réussir a concrétiser tout cela, mais c'est signé. Il y a deux ou trois autres projets a des degrés divers d'avancement. Quand je n'écris pas, je croise les doigts !
Seront-ce aussi des adaptations de vos séries BD ou s'agit-il de nouvelles histoires ?
La, il s'agit de nouveaux projets, totalement inédits. Finalement, je ne chôme pas en ce moment, j'essaye de profiter de la dynamique ! Il ne faut pas s'endormir : on risque de le regretter apres. Je navigue donc a vue, comme dans une offensive un peu désordonnée, mais je m'amuse bien. Pourvu que ça dure !
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