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Entretien avec Eric Adam


Eric Adam vu par Didier Garguilo

Ancien coscénariste de Lucky Luke, de Rantanplan et du Marsupilami, Éric Adam s’est fait remarqué avec la série Les Contes du 7 e Souffle dessinée par Hugues Micol. De Sherlock à Petite mort en un acte qu’il cosigne avec Convard, des Carrés à D’Artagnan ! en passant par Nil ou La Tranchée, l’homme ne cesse d’écrire. Il nous évoque ses créations…

Nouvelles séries : Les Carrés avec Olivier Martin et D'Artagnan ! avec Hugues Micol

Extrait de
extrait de "Les Carrés" T1

Chez Vents d'Ouest, vous inaugurez avec Olivier Martin une courte série : Les Carrés.
Les Carrés est un projet que je porte depuis longtemps. Je suis parti de l’idée de bâtir tout un récit autour des trois toiles de Malevitch : « Carré noir sur fond blanc », « Carré rouge sur fond blanc » et « Carré blanc sur fond blanc », en jouant sur tous les tableaux (si je peux oser ce piètre jeu de mots) symboliques liés aux couleurs en question. C’est un polar contemporain, dans lequel je développe en parallèle plusieurs thèmes. D’une part, j’essaye de donner un ton narratif différent à chacun des trois tomes, en harmonie avec le tableau mis en scène dans l’album. Dans le premier volume, le héros recherche le Carré noir : je joue avec les codes du roman noir américain ou français. Le tome 2, Carré rouge, sera beaucoup plus violent, dans l’esprit des thrillers américains. Le tome 3, Carré blanc, sera lui beaucoup plus contemplatif. J’adore le polar sous toutes ses formes, et j’ai ici voulu lui rendre une sorte d’hommage général, ainsi qu’à tous ses auteurs : d’Agatha Christie et Georges Simenon à James Ellroy ou George Pelecanos.

Et d'autre part ?
D’autre part, le héros souffre de dépression et sa maladie évoluera en suivant le rythme des couleurs. Dépression mélancolique, puis colère et violence, pour atteindre au final une forme de sérénité. Le cadre dans lequel se déroule chaque intrigue fait également référence à la symbolique noir rouge blanc : Afrique noire pour le tome 1, Napa Valley (la vallée du vin) pour le tome 2 et Laponie Finlandaise pour le tome 3. Je sais, c’est un peu facile, mais j’aime bien faire les choses à fond, ça m’amuse !

Quels seront les développements de cette trilogie ?
Chaque tome est bâti sur une intrigue indépendante, auto conclusive, et raconte la recherche d’un des tableaux, mais l’ensemble forme un tout cohérent par rapport aux sujets de fond. Vous parliez plus haut d’une « courte série ». Mais si le succès est au rendez-vous, nous ne nous arrêterons pas à une trilogie : nous n’excluons pas de continuer la série, avec une nouvelle enquête…

Le récit met donc en scène un privé à la recherche de tableaux disparus depuis les années 30, signés d’un certain Boskovich qui n’est pas sans nous rappeler le fameux Malevitch. Êtes-vous un fin connaisseur de la peinture moderne ?
Fin connaisseur, c’est beaucoup dire. J’ai fait des études artistiques : les Beaux-arts à Bruxelles, puis un cycle d’histoire de l’art, j’ai également été admis sur concours à l’École du Louvre. J’ai donc des notions… Mais je suis surtout ce qu’on pourrait appeler un « amateur amateur ». Je suis très éclectique dans mes goûts, qui vont de Rembrandt à Yves Klein en passant par la statuaire étrusque, Félicien Rops ou Giotto… J’ai la chance de vivre à Paris où se trouvent deux des plus grands musées du monde : Le Louvre pour l’Art antique et classique, et Beaubourg pour l’Art moderne. Je ne me prive pas d’y aller régulièrement. J’ai toujours adoré Malevitch qui est pour moi un des grands créateurs du XXe siècle. De plus, ses tableaux ont eu un destin assez rocambolesque, pas très éloigné de ce que je décris, même si j’ai romancé…

Autre nouveauté à paraître : D’Artagnan ! Nous vous retrouvons ici en compagnie de Hugues Micol avec qui vous aviez signé les remarqués quatre tomes des Contes du 7 e Souffle. Vous abordez ici un univers fort différent
Pas si différent en fait. Il s’agit toujours d’aventure épique, en costumes, avec des duels à l’épée… D’autant que pour Les Contes du 7 e Souffle, nous nous étions pas mal inspirés de l’univers de La Pierre et le Sabre, le gros roman de Yoshikawa Eiji qui raconte la vie du célèbre samouraï Miyamoto Musashi, considéré comme l’équivalent japonais des Trois mousquetaires. Hugues excelle à rendre les combats, les décors et les costumes chatoyants. L’univers des mousquetaires était donc tout indiqué pour poursuivre dans la voie de la collaboration qui nous avait comblés avec Les Contes

S’agit-il d’une adaptation du récit du célèbre Gascon rendu célèbre par Alexandre Dumas ? Vous inscrivez-vous dans la mode du moment voyant les grands récits littéraires adaptés en BD ?…
Non, je ne pense pas que cela s’inscrive dans la même démarche. Quand nous avons décidé de faire une histoire de cape et d’épée, avec des mousquetaires, j’ai réfléchi et j’en suis rapidement arrivé à la conclusion que les personnages existaient déjà, que rarement la littérature nous avait offert de tels portraits de héros, animés d’un tel courage et unis par une telle amitié. C’est donc tout naturellement que j’ai repris les personnages de Dumas. C’est comme si j’avais voulu écrire une nouvelle version du Nouveau Testament, il aurait été difficile de se passer de Jésus !


Extrait de D'Artagnan T1

Comment avez-vous élaboré cet univers ?
Le premier volume s’intitule La Sublime Porte, le suivant se nommera La Sérénissime. C’est une série composée d’épisodes indépendants, sans tomaison prévue donc, qui raconte en quelque sorte « les nouvelles aventures des quatre mousquetaires ». Somme toute, ce que d’Artagnan, Athos, Porthos et Aramis ont vécu entre Les Trois mousquetaires et Vingt ansaprès… Ils sont devenus les super agents du roi, les troupes d’élites, ceux que l’on envoie sur tous les fronts, dans tous les pays, pour défendre les intérêts et l’honneur du roi et de Dieu. Je me suis vraiment éclaté à maintenir un rythme tendu, et contrairement aux Contes du 7 e Souffle dans lesquels je jouais beaucoup avec les ruptures de tempo, à faire courir et batailler les personnages du début à la fin de l’album. Nous avons d’ailleurs travaillé en quatre bandes, ce qui donne un découpage beaucoup plus dense et rapide au récit. L’idée était de réaliser des histoires dans le ton des aventures de Dumas : épiques, riches, drôles et trépidantes… L’Aventure avec un grand A !

Collaborations avec Didier Convard : Sherlock avec Jean-Louis Le Hir et Petite mort en un acte avec Paul

En janvier, vous avez publié le premier tome de Sherlock, un récit cosigné avec Didier Convard au scénario et Jean-Louis Le Hir au dessin, narrant les jeunes années du futur Sherlock Holmes. Comment vous êtes-vous retrouvé sur ce projet ? Didier, avec qui je partageais un bureau chez Glénat lorsque j’y étais éditeur, m’a fait l’honneur et l’amitié de me proposer de m’associer à ce projet dont il est le concepteur et qui me plaît particulièrement. Je partage avec Didier un même goût pour la littérature populaire et feuilletonesque. L’idée de Didier de raconter les jeunes années de Sherlock Holmes m’a tout de suite enthousiasmée. Conan Doyle est un auteur que j’ai commencé à lire très tôt, et que je continue à relire régulièrement… De plus, j’adore le dessin de Jean-Louis Le Hir qui est quelqu’un de charmant.

Quelle méthode d'écriture avez-vous adopté ensemble ?
Comme nous avons tous les deux un emploi du temps très chargé, et que nous développons aussi d’autres projets ensemble, nous procédons pour celui-ci de la manière suivante, qui nous permet de gagner du temps : nous concevons ensemble le synopsis du scénario, puis chacun notre tour, nous en réalisons le découpage que nous supervisons ensemble. Didier a ainsi découpé le tome 1, je travaille sur le tome 2 qui s’intitulera Les Coquelicots du Pendjab , tout en réfléchissant de concert sur le tome 3…

Combien de tomes de Sherlock prévoyez-vous de réaliser ?
Autant que possible ! Sérieusement, nous n’avons rien planifié à ce sujet. Jean-Louis travaille vite, cela nous permet de sortir environ trois albums en deux ans. Si le public apprécie… nous verrons bien. Le sujet est riche en potentiel. Nous planchons donc sur le tome 3, et nous avons déjà quelques idées pour le tome 4…

Autre projet commun avec Convard, un one-shot : Petite mort en un acte, un récit dans le style du Limier, la fameuse pièce de théâtre anglaise, que Paul est en train de dessiner. Une sorte de pièce de théâtre en BD…
Absolument. Tout d’abord, je tiens à remercier Henri Filippini grâce à qui ce projet a vu le jour. C’est un projet, que nous écrivons cette fois complètement à quatre mains, qui nous amuse énormément. Le cahier des charges que nous nous étions fixé était d’écrire une pièce entre Le Limier que vous venez de citer et surtout Arsenic et vieilles dentelles. Je parle bien d’une pièce, car, quoi qu’étant de la bande dessinée, nous avons conçu cette histoire comme une véritable pièce de théâtre, susceptible d’être montée quasi comme telle, les ressorts sont ceux du théâtre. Il s’agit d’un récit comique dont l’action se déroule en Angleterre dans les années 30, dans un vénérable manoir, et qui met en scène une galerie de personnages pris dans un véritable imbroglio de quiproquos et de malentendus, avec meurtres, complots internationaux et amourettes… Nous avons beaucoup ri en l’écrivant, j’espère que le public appréciera autant que nous.


Extrait de Petite mort en un acte

Didier Convard m’a confié que Petite mort en un acte sera mise en scène dans un style très pictural. Pour votre part, comment qualifieriez-vous le graphisme de Paul ?
Pas mieux ! Paul est effectivement peintre et coloriste, il travaille pour cet album en couleurs directes, à la gouache. Les rendus des ambiances, des lumières, des décors sont assez époustouflants. C’est vrai, chaque case est un véritable petit tableau. C’est pourquoi nous réfléchissons actuellement avec l’éditeur à une forme différente pour l’album qui mettrait en valeur le travail de Paul, peu courant dans la production habituelle.

Le fait d’écrire à deux ne risque-t-il pas de faire disparaître le style propre d’un auteur, de « noyer » vos cultures, vos idées et envies personnelles ?
Au contraire, ce qui est très agréable, c’est que nous obtenons ainsi un style différent, qui n’est ni le mien, ni celui de Didier. Ça nous permet de faire des choses que ni l’un ni l’autre n’aurions pu faire, voire penser. C’est très rafraîchissant et stimulant. D’autant plus que nous avons deux façons très différentes d’aborder l’écriture, mais tout en partant d’une même envie de raconter des histoires.

Qu’est-ce que le savoir-faire de l’un apporte à celui de l’autre ?
Bonne question. C’est difficile pour moi de dire ce que j’apporte à Didier… En tout cas, je vois dans ses yeux qui pétillent, quand on travaille ensemble, qu’il y a quelque chose. C’est un vrai bonheur. Quant à moi : Didier est évidemment un très grand professionnel, qui fourmille d’idées très fortes, et qui a une forme de discipline dans l’écriture qui n’est pas du tout la même que la mienne. Dans le rituel, par exemple, nous différons totalement : Didier s’assied devant son ordinateur le matin et ne se lève qu’après une journée de travail. Il peut rester des heures devant son écran, même si rien ne sort. J’ai besoin de pauses fréquentes, de me promener dans Paris, d’aller au café voir vivre les gens, de lire des trucs, des bouquins, des magazines, de zapper d’un documentaire sur Arte à un autre sur Planète, ou de regarder un épisode de Bob l’éponge (une merveille !). Et je n’écris que par phase relativement brève (3-4 heures maxi) mais extrêmement productives. Sur la construction des histoires, nous sommes également différents. Didier part souvent d’une idée d’intrigue, en général assez complète. Moi, je pars en général d’une séquence, d’un personnage, d’un lieu ou d’une époque… et je développe par la suite l’intrigue qui s’y applique.

Toujours chez Vents d’Ouest, vous animez également Nil et La Tranchée … L’on vous sent déborder d’envies et de projets…
En effet, je travaille sur la suite de Nil, avec l’élégantissime Didier Garguilo, dont le tome 1 est sorti l’an dernier : ce sera aussi une trilogie, une saga se déroulant sur plusieurs dizaines d’années. La suite également de La Tranchée, avec Christophe Marchetti, deux tomes prévus seulement cette fois. Le dessin de Christophe est toujours aussi généreux et sensible. Avec Didier Convard toujours, un scénario pour le cinéma et un autre projet de one-shot BD complètement atypique. Il est un peu tôt pour entrer dans les détails : je peux juste vous dire que c’est un projet basé sur un concept simple, mais que je crois fort et qui, là encore, nous amuse beaucoup et qui marie la narration en bande dessinée à un type de media qui lui est, a priori, totalement différent. Nous n’en sommes qu’à la phase de réflexion, et nous envisageons de le réaliser avec Hugues Micol. Si le projet se fait, ce sera un OVNI ! Citons aussi un scénario se déroulant à Rome dans l’Antiquité tardive, fin VIe-début VIIe siècles avec Karl T (La Cuisine du Diable), encore un bon gros tueur graphiquement. Ce projet n’en est qu’aux balbutiements. Plus deux ou trois scénarios bien avancés pour lesquels je n’ai pas encore de dessinateurs…

Propos recueillis par Brieg F. Haslé en janvier 2008
Entretien initialement publié, sous une forme différente, dans [dBD] n°21.
© Brieg F. Haslé / Tous droits réservés
visuels © Adam - Convard - Le Hir - Martin - Micol - Paul / Glénat - Vents d’Ouest
Portrait d’Éric Adam © Didier Garguilo

A lire également : l'interview de Didier Convard

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Brieg F. Haslé
23/04/2008