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Entretien avec Olivier Grenson et Denis Lapière

Denis Lapière
Denis Lapière

La collection Aire Libre des éditions Dupuis offre un espace d’expression tout particulier pour les auteurs. La Femme accident donne l’occasion à deux amis de s’y retrouver. Première expérience réussie en couleurs directes pour Olivier Grenson et une nouvelle histoire poignante pour Denis Lapière. Rencontre avec les deux auteurs de passage à Paris.

Olivier Grenson
Olivier Grenson

Présentation du diptyque La Femme accident

Denis Lapière   : La Femme accident est l‘histoire d’une femme en butte avec la vie. En prison, elle profite de la longue attente avant le verdict de son procès pour se pencher sur son passé. Ce qui nous a intéressé, Olivier et moi, c’est de raconter l’histoire d’une femme, sa propre vie et comment une suite d’accidents fait qu’elle en est là aujourd’hui. Aurait-elle pu faire autrement et comment va être sa vie future ? Elle ne regrette rien, elle veut juste comprendre. Mais avec cette certitude qu’à partir de dorénavant, il ne va plus rien se passer d’autre que du bonheur. Ce n’est pas un récit misérabiliste. On est avec une femme optimiste. Elle pense qu’elle aura raison, elle reprendra son enfant, changera de lieu et quittera tout. En faisant le bilan de sa vie, elle sait qu’elle doit recommencer très loin. Le tome 2 va apporter des éléments de réponse à tout cela. En empathie avec elle, on va voir comment elle se frotte à la vie, en tant qu’adolescente d’abord, enfin en tant que jeune femme.

Olivier Grenson  : Pour moi, il y avait pas mal d’éléments importants qui me plaisaient dans cette histoire. Déjà le fait que ce soit un portrait de femme qui fasse le point sur sa vie, en prison, avec justement ce caractère volontaire et positif. Et puis cette histoire me permettait de dévoiler un personnage au caractère subtil, tout en nuance et de le faire vieillir : à 10 ans, 12 ans, 15 ans, 20 ans jusqu’au moment où on la retrouve en prison. C’était un défi intéressant de travailler sur une tranche de vie et de créer un personnage en profondeur. Cela me permet justement d’aller beaucoup plus loin au niveau de mon dessin, de remettre vraiment en question ma manière de travailler la mise en scène, le cadrage, certains regards…et d’essayer d’insuffler plus d’émotions, de sensualité et d’authenticité.


Charleroi vu par Olivier Grenson

L’histoire se passe à Charleroi

Denis Lapière  : Ce n’est pas un hasard. Au départ, je l’avais proposé à un dessinateur d’origine bretonne. Cela ne s’est pas fait pour mille raisons. Et finalement, je l’ai fait avec Olivier.

Olivier Grenson  : Pour moi, cela me paraissait logique. On est tous les deux Belges, issus de ce bassin minier. Je crois que c’était une bonne manière de me réapproprier l’histoire et de comprendre un peu mieux le personnage que de l’intégrer dans ce milieu-là. Et puis, j’ai tout de suite senti que le milieu social dans lequel allait évoluer Julie était important : celui que je connaissais le mieux est celui de Charleroi. Il se trouve aussi que j’ai toujours été fasciné par ces usines énormes avec ces cheminées, des tuyauteries à n’en plus finir, un décor un peu surréaliste qui correspondait bien à ce qu’on voulait développer et qui donnait une atmosphère particulière. L’idée était de faire en sorte que le personnage prenne vraiment de la force et devienne un personnage avec beaucoup de vérité, qu’il soit juste.

Denis Lapière  : En effet, à partir du moment où le personnage principal livre beaucoup de son intimité, nous étions obligés de nous livrer aussi pour être vrai. Pour nous approprier le personnage, nous nous laissons happer par lui. Et une des façons était pour Olivier de parler de sa région natale (une région que je connais bien aussi), ça m’a même été plus facile que si j’avais dû le faire en Bretagne finalement !

Les coulisses de la rencontre

Denis Lapière  : Nous nous sommes rencontrés à Charleroi. J’étais encore libraire en 1987. Olivier avait envie d’être dessinateur de BD, j’avais envie de devenir scénariste. On a commencé à travailler ensemble. J’ai écrit un scénario dont il a dessiné quelques planches. Je ne crois pas qu’on les ait proposées à un éditeur car on ne se considérait pas prêts. Et puis, on a évolué dans le métier et on n’arrêtait pas de se revoir. Est venue l’envie pour Olivier de faire un « Aire Libre », de travailler avec moi, l’envie pour moi de travailler avec lui. Tout cela est arrivé au même moment. L’histoire était là et lui a plu. Cela a mis 20 ans à mûrir. J’ai commencé à écrire les premiers bouts de synopsis il y a 13 ans. Sincèrement quand je vois le résultat, je n’ai pas de regret d’avoir attendu.

Place aux couleurs directes

Olivier Grenson  : Cela fait longtemps que je travaille en noir et blanc. J’avais envie de changer de technique. Il y a toujours une frustration de voir son travail mis en couleur par quelqu’un d’autre. Et ce projet était tout à fait adéquat pour passer à la couleur directe, je pouvais travailler la lumière d’une autre manière, et rendre les émotions de façon plus subtile. En bande dessinée, il y a trop d’étapes successives qui tuent un peu le dessin. Mon idée est de supprimer les répétitions pour aller à l’essentiel de façon plus spontanée et plus intuitive. D’autre part, il fallait une adéquation entre le traitement du dessin et le travail d’écriture de Denis. Il n’était pas question de choisir la couleur directe pour faire joli.

Renouvellement et enrichissement graphique

Olivier Grenson  : Le prochain tome de Niklos Koda sera travaillé comme je le faisais avant, mais J’ai l’impression que ce sera le dernier en n/b au pinceau et à l’encre de Chine. Après avoir fait 54 pages en couleurs directes, je ne travaille évidemment plus au pinceau de la même manière. Je crois que le but d’un dessinateur est aussi de se remettre en question avec chaque album et d’avoir encore l’impression d’avoir des choses à découvrir. Et de s’amuser en dessinant et en racontant les histoires.

Vers l’écriture d’une histoire

Olivier Grenson   : J’ai un projet en chantier depuis un peu plus de deux ans. J’ai appris avec La Femme accident que tout vient à point pour qui sait attendre ! Je ne me précipite donc pas. Les choses sont en train de mûrir et le récit aussi… Quand j’ai commencé à faire de la bande dessinée, l’important pour moi était de créer une série et d’avoir un personnage qui m’appartenait, récurrent, dans la tradition des grands feuilletons. Aujourd’hui, je me sens capable de faire d’autres histoires en parallèle, plus intimistes ou plus personnelles, qui me permettent de m’aventurer vers d’autres perspectives. Ce scénario est un cadeau du ciel, je pense qu’il m’a mis le pied à l’étrier.

Renouvellement aussi dans le travail avec le scénariste

Olivier Grenson  : C’est vraiment génial de pouvoir travailler avec deux scénaristes de cette envergure. Bien sûr, je découvre des manières de fonctionner et des personnalités différentes. Le tout était de me sentir bien dans les deux cas. C’est toujours étonnant pour moi dans une collaboration de voir de quelle manière je vais me retrouver dans l’histoire et comment je vais pouvoir me la réapproprier. Avec Denis Lapière, c’est une autre manière de fonctionner qu’avec Jean Dufaux. Il a une autre approche des personnages et cela m’aide à travailler différemment la psychologie des personnages et le jeu d’acteurs, donc mon dessin change. Mais tout deux ont un regard particulier sur le dessinateur qui collabore. Ce regard-là est intéressant pour un dessinateur ou un acteur.

Denis Lapière  : Ce qui importe, c’est que les metteurs en scène mettent l’acteur en valeur…

Olivier Grenson  : C’est tout à fait cela ! Ce qui est génial avec Denis, c’est qu’on comprend très vite les choses. Il me faut peu de mots pour comprendre où il veut m’emmener. Mais dès le départ, on était sur la même longueur d’onde et très vite j’ai senti les personnages et comment Denis voulait que je les travaille. Et en effet, Denis a réussi à me guider dans une direction bien spécifique.

La deuxième partie est prévue pour fin 2009

Propos recueillis par Manuel F. Picaud en mai 2008
© Manuel F. Picaud / Auracan.com
photos © Manuel F. Picaud / Auracan.com
visuels © Olivier Grenson - Denis Lapière / Dupuis
Tous droits réservés. Reproduction interdite sans autorisation préalable
Remerciements à Daniel Maghen et à Mathieu Poulhalec

A lire : la chronique de la femme accident

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Manuel F. Picaud
04/06/2008