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Entretien avec Marie Moinard

Moinard
Marie Moinard / DR
« Éditer Ivan Zourine s'inscrit dans une démarche patrimoniale. »

Le festival Culture Plagne 2008 a présenté une très belle exposition de planches originales des aventures d’Ivan Zourine, un personnage créé en 1974 par Jacques Stoquart et René Follet. Alors que le tome 3 est sorti en juin, Marie Moinard, fondatrice des éditions Des Ronds dans l’O, revient pour Auracan.com sur son envie de rééditer cette série, ses ambitions et ses projets.

Pourquoi rééditer Ivan Zourine aujourd’hui ?
L’intérêt est de faire découvrir ce personnage. Ses aventures ont été publiées dans les magazines Tintin et Spirou dans les années 1974 à 1983-84. Il y a déjà eu une tentative de le faire connaître par les éditions Magic Strip, qui ont publié deux aventures en albums souples, les Ors du Caucase et le Testament de Sibérie, reprises depuis le magazine. Mais nous nous sommes rendu compte que le personnage n’est toujours pas connu. On parle plus de René Follet comme un illustrateur, alors qu’il a fait preuve de grand talent dans la bande dessinée. J’ai découvert son personnage grâce à François Boudet, qui éditait déjà en couleurs ses histoires – mais uniquement sur CD-Rom –, et j’ai eu envie de faire un travail sur ce sujet. J’ai donc rencontré l’auteur et lui ai proposé de rééditer son œuvre en noir et blanc en partant des planches originales.

Ivan Zourine
le Testament de Sibérie © Follet - Stoquart
Des Ronds dans l'O - François Boudet
Des différences par rapport au travail de Magic Strip ? De quelle nature a été votre travail d’éditrice ?
Nous avons eu beaucoup de chance, parce que René Follet a conservé beaucoup de planches, même si, pour certaines, le travail de scan a été assez important. Il a notamment fallu refaire différentes choses. De plus, il travaille avec beaucoup de blanc, ce que l’on appelle aujourd’hui le blanco, genre Tipp-Ex, ce qui a occasionné un gros travail de nettoyage, très long. Il y a eu aussi, malgré tout, des traits un peu effacés à cause de l’usure, il a fallu de temps en temps intervenir, et intégrer les remarques de René, qui est un auteur pointilleux et exigeant. Au final, nous pensons avoir réussi un bon travail. Pour les trois albums, nous sommes partis des planches, mis à part quelques-unes pour lesquelles nous avons dû jongler avec des calques, des bleus et tout ce que nous avons pu trouver, parce que les originaux avaient disparu.

Cela fait trois ans que vous avez entamé la réédition de la série. Vous sortez le troisième album, le Possédé, et le festival Culture Plagne a présente en août dernier une très belle exposition. Et ce fut la première fois qu’autant de planches originales de la série furent présentées…
Pour cette exposition, nous avons réussi à rassembler des planches qui concernent à la fois le Testament de Sibérie, les Ors du Caucase et le Possédé. L’exposition comprend à peu près la moitié des planches de chaque album, sauf pour le Possédé, où nous avons presque tout présenté.

Ivan Zourine
les Ors du Caucase © Follet - Stoquart
Des Ronds dans l'O - François Boudet
À la différence des deux premiers, le Possédé n’est pas composé que d’une histoire…
En effet, le Possédé comprend trois histoires inédites en album, le récit d’une fugue d’Ivan Zourine gamin, à 12 ans, publié en 1974 dans Tintin Sélection, qui était un tout petit format. Un 10x15, je crois.

C’est tout de même surprenant de publier d’abord les aventures d’Ivan Zourine adulte et de terminer par son enfance…
En fait, dans le Possédé, nous avons quelque chose d’assez rare : Ivan Zourine se présente enfant, ensuite deux autres récits dans lesquels il est un adulte. Mais nous n’avions pas un nombre de planches cohérent pour faire un album de 46 pages classique pour pouvoir réunir ces trois récits. Il a fallu intégrer des récits supplémentaires, que Jacques Stoquart a écrits et que René Follet a dessinés précisément pour réaliser cet album. Ils se sont donc réunis à nouveau trente ans plus tard en 2007.

Ivan Zourine
le Possédé © Follet - Stoquart
Des Ronds dans l'O - François Boudet
Avaient-ils travaillé à nouveau ensemble depuis cette époque ?
Peut-être pour un Jean Valhardi [en l’occurrence, Un gosse à abattre, publié chez Dupuis en 1986, ndlr], mais en tout cas pas du tout sur ce sujet-là. On avait laissé tomber Ivan Zourine depuis longtemps. Aujourd’hui, pour que ces trois récits constituent une histoire cohérente, j’ai proposé à René Follet de faire revivre le personnage, en lui expliquant qu’Ivan Zourine pourrait devenir un grand-père et qu’il raconterait ses souvenirs à son petit-fils. Chaque souvenir serait un court récit. Au début, il n’était pas convaincu, pensant que ce n’était pas possible, et finalement, il a cédé, parce que je suis tenace ! Dans cet album, nous avons donc Ivan Zourine enfant, père et grand-père : les trois générations en un !

Et vous avez aussi réalisé une monographie sur Jacques Stoquart, publié par votre propre maison d’édition.
En effet, j’en ai profité pour faire un travail d’enquête sur le scénariste, puisqu’il a eu une carrière riche et assez intéressante : il a travaillé avec des noms très connus comme William Vance, Mitacq ou Éric Loutte. Il a fait beaucoup de choses, mais il est lui aussi méconnu. Il a travaillé intensément pendant environ cinq ans dans la bande dessinée, et a plutôt consacré sa vie à la publicité. Mais il a été un scénariste très prolifique : je raconte ça dans cette monographie. Il a 77 ans aujourd’hui et se livre de bon cœur. Par chance, j’ai pu avoir les témoignages de William Vance (série Ramiro) ; de Thierry Martens, son ex-rédacteur en chef de Spirou, quand Stoquart travaillait dans « les chroniques de l’Apache qui rit », qui était le pendant du « Trombone illustré » ; d’Éric Loutte (les Poisons de Mars, une adaptation d’Asimov) ; d’Éric (série Wen, première histoire fantastique apparue dans le magazine Tintin) qui est devenu sculpteur aujourd’hui… Il y a aussi des témoignages plus familiaux, intimes, qui sont très touchants. C’est vraiment intéressant pour ceux qui ne connaissent pas Jacques Stoquart, comme pour ceux qui le connaissent, qui y trouveront de petites perles.

Jacques Stoquart
Jacques Stoquart. Sur les pas d'un scénariste © Moinard / Des Ronds dans l'O
Quand on regarde le dessin d’Ivan Zourine, c’est très différent de ce que vous publiez par ailleurs.
Éditer Ivan Zourine s’inscrit dans une démarche patrimoniale, vraiment à part. Je n’ai pas choisi sur le dessin : il y a toute une histoire, un mérite, une notoriété que j’aimerais pouvoir valoriser… En tout cas, il s’agit d’un personnage extraordinaire méconnu qui a besoin d’un peu plus de longévité. Sinon, j’aime bien lancer des auteurs qui démarrent, ce qui est, de toute façon, le rôle des éditeurs indépendants, qui sont un tremplin. Je publie donc des créations assez différentes entre elles. Je fonctionne au coup de cœur.

À combien d’exemplaires avez-vous tiré Ivan Zourine ?
Au début, nous étions partis sur des tirages de 1.500 exemplaires. Malheureusement, le milieu de la bande dessinée est assez difficile en ce moment, en tout cas pour les éditeurs indépendants, qui ont du mal à écouler leur production. Le Possédé a donc été imprimé à 1.000 exemplaires pour l’instant.

Avez-vous d’autres projets d’édition concernant René Follet et/ou Jacques Stoquart ?
Pour l’instant, c’est en réflexion. Ce n’est pas un non, c’est en réflexion. Mais il est encore trop tôt pour en parler…

Pour conclure, quels sont vos prochains projets d’édition ?
Le prochain projet, qui sort en octobre, est une bande dessinée d’auteur : Zeste, de Céline Wagner qui fait tout, scénario, dessin et peinture. Elle raconte une histoire très intime, autobiographique, très difficile, mais très belle. Ensuite, en janvier, je vais publier un deuxième album d’Arnaud Quéré. J’avais travaillé avec lui sur un roman graphique, Un air de paradis, qui raconte ses histoires d’enfance dans le Lyonnais. Dans la même veine, mais un peu différent, il prépare un autre roman graphique. C’est toujours lui, mais cette fois dans son milieu professionnel. Arnaud Quéré, qui est dessinateur, raconte sa formation, ses rencontres, par exemple le Festival BD d’Angoulême, ses collègues, des choses qui font partie de sa vie et de son métier et qui sont assez amusantes… Toujours au premier semestre 2009, mais un peu plus tard, je publierai un autre album de Philippe Sternis : une création totale, un roman graphique en noir et blanc.

Ivan Zourine
Ivan Zourine, recherche de personnages © Follet - Stoquart
Des Ronds dans l'O - François Boudet

Propos recueillis par Mickael du Gouret en août 2008
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© Mickael du Gouret / Auracan.com

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Mickael du Gouret
10/09/2008