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Entretien avec Dominique Robet

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Dominique Robet

À l ‘occasion de la parution de Masque d’Argent, deuxième tome de la trilogie de cape et d’épée maritime Gabrielle B. (éditions Emmanuel Proust), nous vous proposons de découvrir cet entretien avec Dominique Robet, initialement paru dans le dossier qui accompagnait le tome 1 de cette excellente série d’aventure…

Dominique, te souviens-tu du jour où est née l’idée de ta nouvelle série ?

En 1993, lors d’une promenade près de Granville, en compagnie d’Alain, nous nous baladions au bord de la mer. Du haut d’une falaise, j’ai imaginé la scène d’un duel qui aurait pu avoir lieu dans ce cadre assez théâtral… Immédiatement, sans que je sache d’où cela vienne, j’ai tout de suite vu, en pensée, deux hommes se battant. Ce seront Baubriand et Lagny… Peu à peu, l’histoire de Gabrielle Baubriand s’est mise en place à partir de cette première scène.

Gabrielle B. est une série se déroulant au tout début du XIXe siècle. J’imagine qu’elle a nécessité un long travail de documentation…

Effectivement, afin de mieux développer ma future histoire, je me suis mise à potasser des ouvrages consacrés à l’histoire de Granville. Comme je souhaitais également raconter une histoire de corsaires, je me suis documentée sur le sujet en parcourant des études s’intéressant aux XVIIe et XVIIIe siècles. Au fur et à mesure de ma documentation, effectuée dans ces livres d’histoires, mais aussi aux Archives de la Marine de Brest qui conservent une foule de documents anciens riches d’enseignements, mon récit est apparu petit à petit. Mon processus créatif est assez classique. Je pars du travail de documentation pour inventer une fiction. Les documents que je recense pendant cette phase de découverte d’éléments historiques permettent de développer mon imaginaire. Ainsi, par exemple, en parcourant l’histoire du siège de Granville, une petite anecdote réelle va me donner une idée que l’on retrouvera dans le scénario.

Pourquoi faire de ta jeune héroïne une femme corsaire ?

Dès le début, je souhaitais raconter une histoire liée à la cité de Granville sans trop savoir dans quelle direction aller. Depuis mon enfance, dès que j’ai su lire, j’ai toujours été fascinée par les histoires de pirates, de corsaires, par les grands récits de flibustes riches de passions humaines. Il s’agit d’un univers qui a toujours motivé mon imaginaire. En toute logique, j’ai eu l’idée de mettre en scène un capitaine corsaire, que j’ai vite transformée en une femme corsaire…

Pourquoi une héroïne ?

Probablement pour prendre le contre-pied des histoires existantes. Dans l’imagerie populaire du monde de la piraterie, la femme est souvent cantonnée dans un rôle de simple faire-valoir. C’est du moins le mauvais souvenir que m’avaient laissé les romans et les films que j’avais lu et vu durant mon adolescence. Très vite, l’idée de donner un compagnon plus mûr, plus âgé, à mon héroïne est arrivée : le personnage de Hugues était né.

Ce premier tome est empreint de nombreuses références littéraires…

Mes études de lettres et d’histoire de la littérature française, que j’achevais tout juste à l’époque, m’ont offert la chance de découvrir et d’étudier les auteurs romantiques du XIXe siècle. J’affectionne tout particulièrement les écrits de Jules Barbey d’Aurevilly, l’auteur de Léa, du Chevalier des Touches, des Diaboliques. Dans son œuvre, je me retrouve totalement dans ces notions de bien et de mal, d’amours impossibles, de liens entre péchés et devoirs religieux. Il est certain que ces éléments sont présents dans les rapports qui unissent Gabrielle Baubriand aux autres personnages de notre série. La littérature du XIXe siècle est également caractérisée par des héros très jeunes, des personnages mythiques qui n’ont pas encore vingt ans. Le personnage de Gabrielle doit certainement beaucoup à ces héros romantiques…

 Si Gabrielle appartient à cette famille de héros, n’est-elle pas un peu jeune pour commander un navire corsaire ?

Je le reconnais, d’un point de vue strictement historique, le personnage de Gabrielle est totalement irréaliste et improbable : une jeune femme de 17 ans ne pouvait pas être capitaine corsaire… Disons que j’aime m’appuyer sur une base historique la plus fiable possible pour mettre en scène un personnage fictif. Sincèrement, tout ceci n’est que de l’aventure !

Je crois savoir que votre série a failli se situer un siècle plus tôt…

C’est exact, Gabrielle B. a d’abord connu une première version qui se passait au XVIIIe siècle. Seulement six planches ont été écrites et dessinées. Avec Alain, nous avions remarqué que la période de la Régence de Philippe d’Orléans avait peu été traitée en bande dessinée. Nous avions alors décidé d’utiliser ce moment de l’histoire prérévolutionnaire. Le personnage du Régent est un véritable premier rôle pour un récit de fiction : c’était un véritable dandy, un homme brillant… Dans cette première version, Gabrielle aurait arrêté des contrebandiers dans le contexte historique de la révolte que connue Granville à propos d’une taxe sur les boissons. Nous avons recadré notre récit sur le début du XIXe siècle après avoir présenté notre projet à plusieurs éditeurs qui nous conseillèrent de viser cette période, le XVIIIe siècle leur paraissant déjà trop exploité en bande dessinée. Tout en conservant la même trame générale, avec cette scène inaugurale du duel entre deux hommes sur une falaise de Granville, nous sommes partis sur une nouvelle idée : la fin de la Chouannerie.

Mais que sont donc venus faire les Chouans en Normandie ?

Tout en me documentant, j’avais découvert l’histoire de la Virée de Galerne, cette marche militaire des troupes de la Chouannerie en terre normande, peu avant la débâcle de Savenay. J’avais aussi le désir de faire intervenir des personnages historiques comme La Roche-Jacquelein, généralissime des troupes vendéennes à l’âge de 18 ans. Par la force des choses, lorsqu’on aborde cette période, le personnage de Georges Cadoudal est vite apparu. Aiguillé par un cousin d’Alain qui, un temps, avait eu l’idée de faire une bande dessinée sur ce personnage haut en couleurs, je me suis intéressé aux réseaux d’espionnage que Cadoudal avait montés à travers toute la Bretagne. Le premier, Cadoudal pensait qu’au sein de ce genre de réseau de renseignements et d’espionnage, chaque membre ne devait en connaître qu’un ou deux autres, que l’identité du chef ne devait pas être connu des troupes. C’est également lui qui avait mis en place un impressionnant système de caches… Les principes de Cadoudal seront d’ailleurs repris par les réseaux de Résistance durant l’Occupation.

Riche de ces découvertes documentaires, ta première idée s’est donc considérablement étoffée…

Ayant trouvé l’époque et le cadre de mon récit, mon histoire pouvait commencer. Dans cette seconde version, celle qui est aujourd’hui publiée, j’ai opté pour un fil conducteur très simple : mon héroïne doit arrêter Cadoudal pour le compte des Républicains. L’histoire débute précisément en novembre 1803, sous le Consulat, quelques mois avant que Napoléon Bonaparte ne devienne Empereur des Français. Gabrielle Baubriand est une jeune femme corsaire qui travaille pour Anne de Lagny, un riche armateur de Granville. Elle est recrutée par Ambroise Mortsauf, personnage qui m’a été inspiré par Beaumarchais. Si Mortsauf se présente comme un prêtre réfractaire afin d’intégrer le milieu royaliste, il est en vérité un agent secret républicain. Il charge Gabrielle d’une mission d’importance : arrêter Le Guerrier aveugle, titre du premier tome.

Quel est le sens de ce titre ?

Il s’agit de la traduction française du breton Cadoudal, tout simplement. Tout en infiltrant le milieu royaliste granvillais, Mortsauf apprend que Georges Cadoudal doit se rendre à Biville le 16 novembre 1803 pour accueillir le Comte d’Artois, frère du futur roi Louis XVIII, qui doit débarquer d’Angleterre où il était réfugié. Mais Gabrielle tombe dans un piège : le Comte d’Artois n’est pas au rendez-vous.

Votre série n’est-elle qu’une histoire d’aventure ? Ne recèle-t-elle pas également d’autres dimensions ?

Évidemment… Cette première sphère du récit est doublée par une seconde trame, plus personnelle : celle de l’histoire familiale de Gabrielle. La jeune femme cherche à savoir, pour le venger, qui a assassiné son père alors qu’elle n’avait que dix ans. Il est possible de trouver trois niveaux de lecture dans ce récit : Gabrielle doit arrêter le méchant Cadoudal ; Gabrielle est en quête de l’assassin de son père ; Gabrielle cherche à savoir qui était réellement son père.

Récit à multiples tiroirs, comment qualifierais-tu Gabrielle B.  ?

Gabrielle B. , tout à la fois, est une histoire initiatique, une série d’espionnage, une bande dessinée historique, un récit de corsaires, une belle histoire d’amour et une quête psychologique. C’est aussi une histoire d’honneur. Gabrielle, alors qu’elle doit l’arrêter, va découvrir que Cadoudal est celui qui l’a sauvé quand elle était petite. Il existe encore bien des zones d’ombres dans le passé de notre héroïne… C’est pour cela que Gabrielle laisse filer Cadoudal à la fin du premier tome. Depuis l’enfance, elle porte autour du cou une médaille où est inscrite la devise de La Roche-Jacquelein : « Si je meurs, vengez-moi ». Lorsque Cadoudal reconnaîtra cette médaille, la jeune femme comprendra que son actuel ennemi est son ancien sauveur. Je le disais, Gabrielle B. est avant tout une histoire d’honneur !

Une histoire d’honneur doublée d’un hommage à l’imaginaire romantique…

Durant mon travail de documentation, tout en analysant le XIXe siècle, une époque marquée par le sens de l’honneur, j’ai été frappée par l’importance des masques, des faux semblants. Ainsi, Gabrielle porte le masque de l’héroïne déterminée, courageuse… Mais ce masque cache sa fragilité de jeune femme en quête de son histoire personnelle. Je ne fait que reprendre certains grands thèmes de la littérature du XIXe siècle : la notion d’honneur, les jeux de masques, le thème de l’amour romantique. Je suis également une inconditionnelle de Beaumarchais, homme de lettres et d’argent, grand auteur et marchand d’armes, courtisan et agent secret. Les intrigues de ses œuvres théâtrales sont marquées par des personnages qui portent de nombreux masques. Mortsauf est tout à la fois Beaumarchais et l’un de ses personnages. Le personnage de Gilles, quant à lui, m’a été inspiré par le mythe de l’Arlésienne. C’est un homme qui apparaît pour mieux disparaître. Comme pour certains personnages de Beaumarchais, Gilles est introduit par la musique qui symbolise, aux yeux de Gabrielle, l’amour qu’elle lui porte.

Peux-tu nous dévoiler ce que nous réserve le prochain tome ?

Nous évoquerons notamment la tentative d’attentat à Paris, rue Saint-Nicaise, fomenté par Georges Cadoudal contre Napoléon Bonaparte… Gabrielle, pour sa part, ayant échoué dans sa première mission, aura à faire ses preuves. Elle devra absolument réussir sa nouvelle mission où elle espionnera les régiments côtiers anglais afin d’en informer Napoléon qui a le projet fou d’envahir l’Angleterre. Gabrielle va faire la rencontre du mystérieux Masque d’Argent, titre de ce deuxième tome. Il s’agit d’un personnage ambigu au passé trouble, un séducteur issu de la vieille noblesse normande immigrée aux Antilles. Ce Marquis de Folmesnil n’est pas sans rappeler le Chevalier de Saint-Georges qui débarqua de son île natale à la Cour de Louis XVI. Cet aventurier opportuniste va terriblement troubler Gabrielle… Parallèlement, notre héroïne, toujours en quête de l’histoire de son père, découvrira son épée cachée chez Lagny, d’où d’indicibles soupçons qui la pousseront à mettre tout en œuvre pour faire disparaître l’ancien ami d’enfance de son père…

Pour conclure, comment se passe ta collaboration avec l’homme qui partage ta vie ?

Férue de littérature, j’ai ressenti le besoin d’écrire, d’inventer des histoires dès l’adolescence. Quand j’ai connu Alain, j’avais déjà ébauché quelques débuts de romans. Cette rencontre m’a permis de découvrir les coulisses de la création d’une bande dessinée… Je me suis alors mise à imaginer des scénarios, c’est aussi simple que cela. C’est amusant de travailler avec la personne avec qui l’on vit. Je trouve formidable de créer ensemble, d’échanger idées et commentaires, même si je suis parfois agacée quand je rencontre des interlocuteurs qui croient que c’est Alain qui fait tout !

Propos recueillis par Brieg Haslé en janvier 2005.
Tous droits réservés © Brieg Haslé / EP Éditions
Reproduction interdite sans autorisation préalable de l’auteur et de l’éditeur
Le portrait de Dominique Robet est © Alain Robet / Tous droits réservés

Visuels extraits de Gabrielle B. - T2: Masque d'argent © Alain Robet, Dominique Robet, EP Editions
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Brieg F. Haslé
18/09/2006