Entretien avec Jean Van Hamme
XIII, la fin du mythe. À événement exceptionnel, entretien exceptionnel. Alors qu’il publie les deux derniers tomes de sa saga XIII, nous avons l’immense plaisir de vous proposer une rencontre avec le scénariste Jean Van Hamme qui évoque en toute franchise La Version irlandaise et Le Dernier Round, deux opus respectivement dessinés par Jean Giraud, invité guest star, et par William Vance, le créateur graphique de la série. Interview. Avec La Version irlandaise et Le Dernier Round, nous allons enfin savoir qui est XIII… Absolument ! On va savoir quel est l’homme qui est redescendu de la montagne… Mais pour ce faire, il vous faudra lire les deux albums, le tome 18 dessiné par Jean Giraud et le 19 par William Vance, pour être sûr d’avoir tout compris. L’idée de confier ce tome 18 à Giraud est-elle de votre éditeur ? Oui, c’est une idée d’Yves Schlirf. Schlirf est un homme de coup, il adore en faire. Quand un éditeur propose à un scénariste de faire un one shot avec Jean Giraud, ce sont des choses qui ne se refusent pas ! Curieusement, Jean Giraud a accepté assez rapidement de dessiner cet album, parce que cela l’amusait, même s’il ne savait pas trop quelle histoire j’allais lui préparer. Je lui ai écrit l’histoire d’une vie qui se termine par l’escalade d’une montagne par deux personnages. Lequel des deux personnages en redescendra ? Et pourquoi ? Vous l’apprendrez dans le bouquin de Giraud… Et, ce qui est amusant, dans le tome dessiné par Vance, on évoque ce livre : XIII se dit que le monde entier sait qui il est, sauf lui ! Vous préconisez donc la lecture du Giraud avant le Vance ? Absolument, c’est pour cela que nous les avons numérotés dans cet ordre-là. Mais, de toute façon, si vous lisez celui de Vance avant, vous verrez que vous devrez lire celui de Giraud pour comprendre le pourquoi des choses. Vous saurez dans l’un comme dans l’autre qui est XIII, mais dans celui de Vance vous ne saurez pas pourquoi. Connaissiez-vous la révélation finale de la série depuis longtemps ? Pas depuis très longtemps pour tout vous avouer. Disons que cette série a connu un moment un peu mou dans les derniers albums où existaient plusieurs intrigues qu’il me fallait bien boucler. Je dirais que ces intrigues sont moins passionnantes que l’intrigue principale, il s’agissait un peu de remplissage avec beaucoup d’action. J’attendais donc d’avoir bouclé ces intrigues secondaires pour revenir au sujet principal. Vous verrez que dans l’album de Vance, le personnage de XIII s’efface un petit peu derrière les autres, parce que finalement, il n’est presque plus concerné. Vous allez voir, c’est assez curieux !… [Jean Van Hamme marque une pause, ndlr] En même temps, puisque vous en parlez, votre éditeur communique sur la fin définitive de la série… Certes, mais il ne peut pas annoncer qu’elle se poursuive parce qu’il n’en sait rien. Je sais que c’est un souhait de William Vance. Mais je ne suis pas certain que cela soit une bonne chose.
Pour ce qui est de l’élaboration de la série, n’avez-vous pas eu peur, en tant que scénariste, de vous laisser piéger par vous-même en multipliant les fausses pistes ? Bien sûr, mais c’est un grand plaisir ! C’est le plaisir du feuilletoniste de se mettre dans une situation impossible et de tenter de trouver le moyen de s’en sortir ! C’est ça qui est amusant. Si c’était préparé, le lecteur le sentirait, il se douterait dans quelle direction je veux aller. Comme cela n’est pas préparé, comme nous sommes dans une situation X, comme je ne sais pas moi-même comment je vais m’en sortir, il n’y a aucun moyen pour le lecteur de deviner la suite. Il peut supputer, mais il ne peut pas deviner. Mon rôle correspond à celui des chefs de services secrets durant une guerre : si je fais ceci, ils vont croire que je vais faire ça, mais comme ils se doutent que je sais qu’ils s’attendent à ça, je fais aller dans une autre direction, et par contre, si je fais ceci, ils vont savoir que j’essaie de détourner leur attention, etc..
Feuilletoniste et stratège donc… Oui, il faut être stratège, mais surtout, il faut continuer à chercher à surprendre le lecteur. Ce jeu était très amusant à mettre en place. Donc, jusqu’à la dernière idée, j’ai cherché à les surprendre. Vous savez, les lecteurs s’attendent un peu trop à ce que XIII soit celui-là et non pas celui-ci !… Le jeu réside là, et il va continuer jusqu’au bout. C’est une très belle aventure grâce, notamment, à ce côté ludique qui, même s’il n’existait pas dans les premiers albums, est venu assez rapidement. Cela est devenu un vrai jeu. Quelle ficelle allais-je utiliser ? Je me suis vraiment amusé jusqu’au bout. Encore plus avec cette idée de faire deux albums et non pas un seul pour clore la série. J’ai trouvé un plaisir particulier à brouiller encore plus le récit. Avez-vous élaboré ces deux albums en parallèle ? Non, j’ai d’abord écrit celui dessiné par Jean Giraud. Et en fonction de ce que j’ai fait pour lui, j’ai écrit ensuite celui pour William Vance. Les lecteurs le verront, les deux récits sont imbriqués l’un dans l’autre. Je ne peux pas vous en dire plus, mais vous verrez… Quelle place accordez-vous à XIII parmi vos nombreux héros et héroïnes ? Dois-je lui accorder une place particulière ?… Ils ont tous la même place. Je ne travaille jamais sur deux scénarios différents à la fois. Je quitte mes héros sans regret ni remords. Si j’affectionne certains de mes personnages, comme Thorgal ou Largo Winch par exemple, ce qui m’a vraiment intéressé avec XIII, c’était ce jeu dont nous parlions précédemment, bien plus que le personnage. Il vous faut un certain courage pour décider de clore une série ou de passer la main… C’est de la vanité de vouloir, jusqu’au bout, être maître de son destin. C’est moi qui ai décidé d’arrêter la série : c’est de la pure vanité, ou de l’orgueil si vous préférez. Il ne s’agit pas de lassitude, mais je m’aperçois que je vais commencer à tourner en rond si je continue. Je ne veux surtout pas faire le bouquin de trop. J’ai toujours l’angoisse de devenir trop bête sans m’en apercevoir. J’ai vu de très bons scénaristes devenir mauvais avec le temps sans qu’ils en prennent conscience. Je voudrais éviter cela. Autant le faire tant qu’il en est encore temps. |
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© Brieg F. Haslé - Manuel F. Picaud / Auracan.com Visuels © William Vance - Jean Giraud - Jean Van Hamme / Dargaud Photo © Marc Carlot / Auracan.com Tous droits réservés. Reproduction interdite sans autorisation préalable Remerciements à Diane Rayer et Hélène Werlé |