Entretien avec Thomas Legrain
Petit-neveu de l’immense Jijé, Thomas Legrain est un jeune auteur belge qui n’a pas eu à attendre les années pour connaître le succès. Dessinateur en simultané de deux séries scénarisées par Jean-Claude et Agnès Bartoll, L’Agence (Casterman) et Mortelle Riviera (Glénat), il termine déjà son sixième album. Itinéraire d’un passionné…
Thomas Legrain a bénéficié d’un environnement propice pour vivre sa passion pour le dessin .« Je crois que je dessine depuis que je sais tenir un crayon en main. Mon père dessinait bien, et j’imitais des dessins qu’il me faisait. Jijé était mon grand-oncle, nous avions donc une certaine culture BD dans la famille. Et à force d’en lire, j’ai fini par essayer d’en faire vers l’âge de 12 ans, imitant un de mes cousins qui s’y était mis. J’ai tout de suite fait des histoires complètes, qui ont progressivement commencé à se complexifier et à ressembler à quelque chose de potable, tant au niveau du dessin que des scénarii. Je n’ai pas arrêté depuis. »
Et pourtant,Thomas est un autodidacte qui n’a pas poursuivi d’études de dessin : « J’ai suivi un cours de dessin quand j’étais enfant, ça m’a sans doute apporté quelques bases. J’ai fait quelques stages par après, mais ça ne m’a pas apporté grand-chose. » En fait, Thomas s’exprime par la BD et ne veut pas s’enfermer dans des carcans : « Je n’aurais jamais supporté qu’on m’impose quoi que ce soit dans ce domaine, même si du coup, j’ai certains manques techniques que je dois essayer de combler tout seul. »
En revanche,Thomas Legrain a étudié l’Histoire et la criminologiepour se cultiver dans des domaines qui l’intéressent : « Ce sont des études où on touche à beaucoup de domaines, ce qui me convenait très bien. Ensuite la criminologie c’était aussi parce que ça m’intéressait. Et j’ai adoré, ce sont des études mal connues et pourtant passionnantes. »
Crayonné pour L'Agence T2 |
Mais son rêve de réussir dans la BD n’avait pas disparu .Pour forcer le destin, Thomas utilise le site BDparadisio.com pour se faire connaître en y publiant les planches de sa dernière BD. « Je voulais surtout trouver un scénariste amateur, juste pour m’essayer à une collaboration. » Et “l’amateur“ qui accroche sur ses planches n’est autre que Jean-Claude Bartoll ! « Il m’a proposé de faire quelques essais. On a monté deux projets, L’Agence et Mortelle Riviera , signés quelques mois plus tard chez Casterman et Glénat. Ça a été incroyablement vite, le gros coup de bol en somme ! »
Depuis 2005, sa collaboration avec Jean-Claude Bartollse déroule sous les meilleurs auspices. Le scénariste lui fournit une documentation complète et des scénarii très détaillés dont l’écriture est influencée par son métier de reporter. Mais « s’il a une vision très précise et très cinématographique », Bartoll laisse un espace suffisant de création au dessinateur : « plus on bosse ensemble, plus j’essaye d’apporter ma patte, ce que je n’osais pas trop faire au début. » Et les échanges se font par email, parfois par téléphone.
Thomas Legrain alterne les deux séries à un rythme soutenu : « C’est sympa, les deux séries étant très différentes, ça me permet de ne pas me lasser. Il me faut toujours quelques planches pour retrouver les personnages et le type d’ambiance spécifique à chaque série, mais ça revient vite. »
Extrait de Mortelle Riviera |
L’Agence est une organisation secrète luttant contre le trafic d'œuvres d'art composée de quatre agents très spéciaux. Cette série est une suite d’épisodes indépendants : le tome 1 aborde le pillage nazi, le tome 2 montre le vol de trésors archéologiques irakiens. Le prochain tome - Dossier Machu Picchu - est prévu pour janvier 2008 : « il est très différent des précédents. Le cadre est plus exotique. L’intrigue se déroule essentiellement dans la jungle péruvienne. Je dois dire que je me suis bien amusé dans les décors, ça changeait de l’urbain, c’était plus créatif. Et la manière dont Bartoll a amené l’intrigue est assez originale, vous verrez ! »
La trilogie politico-policière Mortelle Riviera, inspirée de l’affaire Yann Piat sur la Côte d’Azur va s’achever en mars 2008 avec le prochain album La Défunte . « Dans ce troisième tome, les intrigues se dévoilent dans leur complexité, et les personnages aussi. Il y a beaucoup de rebondissements inattendus. Ce qui est indispensable vu que la fin de l’histoire est déjà révélée dans le premier tome. Ce sera un très bon album, dans la lignée du deuxième, mais encore plus rythmé. Plus violent également. »
Finalement,ThomasLegrain est un dessinateur doué qui continue de progresser album après album. « Pour le moment je peaufine mon style propre. Mon but est de rendre mes personnages moins statiques et plus expressifs, sans perdre leur réalisme ou devenir plus caricatural pour faciliter l’expression. Pour les décors, j’essaye de mieux varier les prises de vues et d’être encore plus minutieux. Et surtout, j’essaye d’améliorer mon trait à l’encrage. Il était beaucoup trop fin au début, particulièrement sur le premier tome de Mortelle Riviera. Du coup ça affaiblissait énormément mon dessin une fois imprimé. Mais bon, ce sont des choses qu’on apprend au fur et à mesure. Et puis, après plusieurs tomes, on acquiert plus de confiance en soi et on commence à se libérer d’avantage, et la qualité du dessin s’en ressent. Même si on est rarement content de soi ou satisfait, on se voit avancer et s’améliorer. C’est ce que j’aime dans ce métier. »
À tout juste 26 ans, Thomas Legrain devrait encore nous réserver de belles surprises.
Extrait de Mortelle Riviera T1 (pl. 17) |