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Entretien avec Laurent-Frédéric Bollée

Laurent-Frédéric Bollée

Après ApocalypseMania , Laurent-Frédéric Bollée se projette une nouvelle fois dans le futur de l'humanité en inaugurant L'ultime Chimère avec une belle équipe de dessinateurs réunie autour de Griffo, principal dessinateur de cette saga d'anticipation prévue en sept tomes chez Glénat.

Présentez-nous votre nouvelle série…
L'ultime Chimère est une série en sept tomes avec sept auteurs et deux coloristes. Deux éléments principaux en composent l'intrigue : un homme enfermé dans un asile psychiatrique depuis apparemment 162 ans , et un objet mystérieux et sacré : une flèche. Cette flèche aurait appartenu à Nemrod, personnage biblique bien connu. Elle aurait été l'instrument d'une bataille contre Dieu, au point de recueillir du sang de ce dernier… Une légende bien sûr, mais à propos de laquelle on se demande s'il n'y aurait pas un fond de vérité… Voilà pour les postulats de base, sachant que le titre général de la série fait référence aux quêtes que nous pouvons tous avoir dans nos vies et que les personnages chercheront aussi à atteindre, souvent de manière désespérée : le pouvoir, la connaissance, l'amour et même la mort.

L'Ultime Chimère T1

Quelle idée a été l'élément déclencheur de L'ultime Chimère ?
Je la dois à Victor Hugo et sa légende de la flèche de Nemrod racontée dans son long poème La Fin de Satan . Je l'ai lu il y a plus de 20 ans, à une époque où j'étais passionné par Hugo. Pour autant, ce n'est qu'assez récemment que j'ai eu envie de la développer sur un concept BD inspiré, je l'avoue, par le succès du Troisième Testament , du Triangle Secret et autres Da Vinci Code … Je n'ai pas voulu les copier, mais juste « jouer » à mon tour sur quelques mystères sacrés issus des temps bibliques en essayant de créer une vaste histoire de destins individuels marqués par une certaine malédiction. À partir du moment où j'avais mon « objet extraordinaire », je me suis concentré sur les personnages et leurs parcours, leurs failles et leurs destins - de loin ce qui était le plus important pour moi.

À la lecture de L'ultime Chimère , nous pourrions être tentés de vous accuser de faire un coup éditorial de plus…
Vous n'auriez peut-être pas tort, mais ce n'est pas là le problème. L'ultime Chimère n'est pas un projet de commande : il vient de moi et de moi seul. J'ai mis des années à le peaufiner et j'y ai mis ce que je voulais dans la foulée d' ApocalypseMania (Dargaud), une série qui touche à sa fin. En ce sens, c'est bien une voix personnelle que vous entendrez et non l'expression d'une recette. J'ai bien conscience toutefois qu'on va penser que je surfe sur une vague ésotérique et religieuse, mais j'ai tout fait pour m'en éloigner. Tous les personnages existent et toutes les actions se déroulent en dehors de tout cadre mystique ou connoté « biblique ». Même la légende de Nemrod sera bien différente de ce qu'on attend… Je me suis avant tout attaché aux drames intimes de mes personnages. Ce n'est pas parce que plusieurs dessinateurs collaborent que le projet est moins authentique. Cette formule est sans doute plus efficace, plus rapide, plus commerciale peut-être, mais certainement pas plus facile ni moins travaillée.

(c) Griffo

Présentez-nous le développement des sept tomes de L'ultime Chimère
Dans le tome 1, on découvre en l'an 2129 un homme enfermé dans un asile psychiatrique suédois. Ce « fou », qui s'appelle Morgan Shepherd, meurtrier présumé de sa femme et ses deux filles, aurait un rapport direct avec cette histoire de flèche divine… Le premier tome est un récit quasi complet sur sa découverte et son rapatriement sur une base spatiale afin d'être « étudié ». Du tome 2 au tome 6, nous en apprendrons plus sur lui et son passé, mais surtout nous découvrirons d'autres personnages qui ont croisé la route de cette flèche improbable : Nemrod bien sûr, mais aussi un écrivain anglais des années 60, un soldat napoléonien pas comme les autres, un militaire explorant Berlin en 1945, sans oublier François Ier qui avait peut-être des ambitions cachées en accueillant Léonard de Vinci à Amboise en 1516 !... Le tome 7, enfin, nous permettra d'apprendre la vérité sur Shepherd et sur la flèche.

Je vous sais grand amateur de littérature, de cinéma et de séries TV. Certains titres ont-ils nourris les thèmes abordés par L'ultime Chimère et influencés l'écriture de votre scénario ?
Un article du Monde consacré à une île qui ressurgit soudainement en Méditerranée m'a bien aidé pour l'épisode majeur du tome 2 ! La lecture de quelques nouvelles de Murray Leinster (auteur américain de science-fiction et d'uchronies, ndlr) a aussi été décisive. Et tant qu'on est dans les influences plus ou moins conscientes, il est clair que j'avais en tête les scènes de l'asile du film Terminator 2 pour tout le tome 1…

(c) Heloret

L'avenir de l'humanité, le devenir de nos sociétés sont-ils des sujets qui vous interrogent ? Ou s'agit-il de simples prétextes à la création d'un récit ?
Mon thème principal récurrent est la place de « l'animal humain » dans l'ordre des choses. Est-il maître de son destin ? Peut-il faire entendre sa voix ? A-t-il un rôle à jouer ? Par là même, la notion de hasard est très importante : qu'est-ce qui relève de la chance ou du déterminisme ? Jusqu'où va l'illusion de la vie ? Toutes ces questions, je les ai abordées de front dans ma série ApocalypseMania et mon personnage de Jacob Kandahar, l'Einstein moderne. Forcément, on retrouve ces questionnements dans L'ultime Chimère . Sauf qu'ici, c'est a priori le contraire : au lieu d'avoir un personnage à l'intelligence redoutable, on a un pauvre berger qui n'a rien demandé à personne. Les deux se débattent dans un plan qu'ils ne peuvent appréhender totalement. L'implication de l'humain dans un cadre qui le dépasse reflète sans doute une vision un peu pessimiste de nos personnalités et de nos consciences… Toutes les histoires sur lesquelles je suis actuellement en train de travailler reflètent cette petite obsession thématique.

(c) Meddour

Qui a songé confier à différents dessinateurs la réalisation des planches ?
Moi, de par la construction même du récit en séquences parfois bien distinctes. C'était bien l'idée de base, mais rien ne disait qu'un éditeur allait être d'accord. Heureusement, Glénat a tout de suite préconisé cette solution. D'ailleurs, je dis chapeau à l'équipe de mon éditeur. Non seulement ils ont réagi presque instantanément lorsque je leur ai soumis le projet, mais le casting a été très vite décidé et monté. À la fin 2006, tout était sur les rails. L'année 2007 a permis à tout le monde de bien travailler : plus de la moitié des planches sont déjà réalisées ! Voilà pourquoi un nouvel album va pouvoir sortir tous les six mois…

L'Ultime Chimère T2

De quelle façon s'est déroulé le recrutement des dessinateurs intervenant sur votre série ?
Côté éditorial, avec Laurent Muller dans un premier temps (ancien éditeur chez Glénat, ndlr), et maintenant avec Franck Marguin, il est clair que j'ai bénéficié d'un « apport maison » Glénat : c'est le cas avec Griffo, Olivier Mangin, Brice Goepfert et Fabrice Meddour. Sur les quatre, il n'y a guère qu'Olivier Mangin que je connaissais et cela faisait longtemps que j'attendais de pouvoir travailler avec lui. Il va de soi que j'ai été très heureux de l'accord des autres. Les deux cas particuliers sont Philippe Aymond et Héloret : le premier a une participation plutôt restreinte - 7 pages seulement ! - mais tout le monde comprendra que c'est un clin d'œil par rapport à notre amitié et à ApocalypseMania ; quant à Héloret, je dois dire que j'ai réussi à le « débaucher » suite à un petit conseil venu de chez Dargaud… Comme quoi, une certaine élégance a été de mise !

Comment avez-vous distribué les rôles ?
Assez naturellement. Philippe Aymond avait donc la petite séquence, et Griffo était acquis comme devant être le dessinateur principal, celui de la période contemporaine, avec 134 pages à dessiner, sur 322 au total. Nous nous sommes rencontrés à Angoulême en janvier 2007 et nous nous sommes très bien entendus : nous avons en commun le goût des voyages et du cosmopolitisme. Il était déjà partant, et tout le monde a été d'accord pour lui demander de réaliser les couvertures. Ensuite, Fabrice Meddour a tenu absolument à dessiner l'épisode avec Léonard de Vinci, passionné qu'il est par le personnage ! Les trois autres avaient entre temps exprimé leurs préférences et ce n'étaient jamais les mêmes : chacun avait donc ce qu'il voulait ! Et je dois dire que ça se ressent dans leur travail : ils se sont surpassés, je suis admiratif !

(c) Helloret
Propos recueillis par Brieg F. Haslé en février 2008
Entretien initialement publié, sous une forme différente, dans [dBD] n°22
© Brieg F. Haslé / Tous droits réservés

visuels © Bollée - Aymond - Griffo - Héloret - Meddour / Glénat
photo Laurent-Frédéric Bollée © Laurent Mélikian / Tous droits réservés

Quelques chroniques d'albums signés Laurent-Frédéric Bollée :

A visiter : le blog de Laurent-Frédéric Bollée

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Brieg F. Haslé
30/04/2008