Entretien avec Jean-Jacques Chagnaud
Jean-Jacques Chagnaud © Chagnaud pour Auracan.com |
« Je pourrais figurer dans le Livre des records en tant que coloriste BD ! »
Réfugié en Bretagne, Jean-Jacques Chagnaud a trouvé un cadre vert et lumineux pour exercer un métier dans lequel il excelle. Coloriste de bande dessinée depuis 35 ans, il est très rare qu’il prenne la parole. L’homme préfère s’exprimer par la couleur.
Recordman de la profession, Jean-Jacques Chagnaud a mis en couleurs des centaines d’albums et d’histoires, plus de 100 séries, plus de 300 albums, sans compter les histoires dans les magazines BD notamment Pif Gadget.
Par amitié pour Éric Stalner et pour Auracan.com, il a accepté de répondre à nos questions. Découverte du coloriste le plus prisé de la bande dessinée.
Voyageur Futur T4, extrait de la planche 9
couleurs JJ Chagnaud
© Stalner - Boisserie
Glénat
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Comment êtes-vous devenu coloriste de bande dessinée ? Pourquoi ce métier ?
On ne choisit pas vraiment ce genre de métier. Je dirais plutôt que c’est une histoire de rencontres. Au début des années 70, dans les années hippies, je vivais une vie de Bohème. J’effectuais de petits boulots par ci, par là. J’ai commencé la couleur chez Pif Gadget sans formation spécifique. J’ai participé à pratiquement toutes les séries du magazine : évidemment Pif et Hercule, mais aussi Docteur Justice, Arthur le Fantôme… À l’époque, la couleur devait simplement donner une ambiance. Et puis, j’ai fait la connaissance de Philippe Luguy qui m’a offert l’occasion de réaliser les couleurs de Sylvio le Grillon.
Voyageur cycle Futur T4, extrait de la planche 7
couleurs Jean-Jacques Chagnaud
© Stalner - Boisserie / Glénat |
Quelle technique de mise en couleurs utilisez-vous aujourd’hui ?
J’utilise tous les outils disponibles. Principalement, la méthode traditionnelle au petit pinceau, avec les doigts parfois. Je peins en aquarelle, à la gouache ou à l’acrylique. J’aime ce rapport avec le papier et la matière. Je n’ai pas l’intention d’abandonner cette technique. Mais je me suis aussi mis à la colorisation sur ordinateur. J’utilise principalement deux logiciels : Photoshop et Corel Painter.
Comment choisissez-vous entre l’une ou l’autre technique ?
C’est au feeling et en fonction du souhait du dessinateur. En général, on m’envoie un dessin et on me propose le mode de colorisation. Mais je peux avoir mes désidératas en fonction du dessin. Un tel serait aplati par une colorisation informatique : le dessin de Renaud Garreta dans Benson Gate par exemple. Certains graphismes méritent vraiment une mise en couleur traditionnelle. Parfois, j’utilise la technique traditionnelle et les gens ont l’impression que c’est de l’informatique. J’ai même demandé aux éditions du Lombard de le spécifier sur Croisade de Philippe Xavier et Jean Dufaux ! Cela dit, les éditeurs demandent de plus en plus la mise en couleurs informatique, pour faire des économies de bleu et pouvoir passer directement à la fabrication à partir du scan couleurs.
L’outil informatique est-il un progrès par rapport à la méthode traditionnelle ?
Franchement non. C'est un outil différent, c'est tout. Je pense que c'est surtout un progrès pour les éditeurs. Ils font de réelles économies qu’évidemment ils ne répercutent pas aux coloristes. Ça fait des années qu’ils n’augmentent pas leurs tarifs. Ils sont rares à accepter de donner des droits d’auteurs aux coloristes – j’ai cette chance. Et ils vont jusqu’à sous-traiter les couleurs en Corée. Parfois, l’effet de la mise en couleurs informatique est indigeste. Parfois, le résultat est très bon.
Pouvez-vous nous livrer un petit secret de fabrication de vos ciels ?
Je travaille sur des photos du ciel de ma Bretagne, juste au-dessus de ma tête. Je ne vois pas pourquoi je devrais peindre des nuages alors qu’il y en a de si beaux dans le ciel breton. Je joue sur les perspectives, superpose plusieurs photos, joue avec le nombre de nuages, m’adapte par rapport au dessin de l’auteur.
Voyageur cycle Futur T4, extrait de la planche 1, couleurs Jean-Jacques Chagnaud
© Stalner - Boisserie / Glénat |
Poursuivez-vous d’autres activités parallèles ?
Oh non ! Je travaille dix heures par jour, sept jours sur sept et douze mois sur douze. C’est ce qu’il me faut pour gagner ma vie dans ce métier. Je n’ai pas l’impression que mon boulot soit reconnu à sa juste valeur.
Voyageur cycle Futur T4, extrait de la planche 10
couleurs Jean-Jacques Chagnaud
© Stalner - Boisserie / Dargaud |
Et vous avez pourtant une impressionnante bibliographie comme coloriste…
Fruit de 35 ans de carrière en effet. Je n’ai pas tenu une comptabilité exacte de tout ce que j’ai fait, mais c’est vrai que je pourrais sans doute figurer dans le Livre des records en tant que coloriste ! La plupart de mes collègues sont en effet – surtout dans les premières années – des épouses, des amies, des cousines de dessinateurs. Très peu en ont fait leur métier tandis que c’était mon travail quotidien. Mais malgré les années, le plaisir est resté intact.
Quels sont les auteurs avec qui vous aimez particulièrement bien travailler ?
On peut dire qu’il y a les fidèles avec qui j’aime ou j’ai aimé travailler. Entre autres Lucien Rollin et Éric Stalner que je connais depuis très longtemps. On peut parler en général d’un couple coloriste et dessinateur. Avec ses hauts et ses bas. Parfois le dessinateur peut avoir envie de réaliser différemment la mise en couleurs.
Avez-vous la place à beaucoup d’initiatives et de liberté dans votre interprétation des couleurs ?
Oui, et j’y tiens. Les auteurs qui me proposent un album connaissent mon travail. Ils me laissent une grande liberté. Mes plus grosses contraintes sont le respect du trait du dessinateur. Je suis d’ailleurs plus exigeant avec moi-même qu’ils ne le sont eux-mêmes. Après, il peut arriver que ça ne colle pas avec l’auteur...
Comment se font les échanges avec les auteurs ?
Je ne quitte plus ma Bretagne... Pourquoi ? Alors là, c’est une longue histoire... Disons que j'ai de bonnes raisons d'être devenu un vieil ours ! Enfin pas tout à fait quand même ! [rires] Je reste en contact avec les auteurs par téléphone et Internet. Maintenant, coloriste de BD est un métier qu’on peut faire vraiment partout.
Voyageur cycle Futur 4, extrait de la planche 8, couleurs Jean-Jacques Chagnaud
© Stalner - Boisserie / Dargaud |
Éric Stalner est le premier auteur à avoir mentionner votre nom en couverture d’un album avec la série le Roman de Malemort...
Oui, en effet ! J’ai pris cela comme une vraie reconnaissance de mon travail. Il répondait ainsi à un juste combat que je menais depuis des années même si ce n’était pas forcément ce que je demandais. Beaucoup de dessinateurs ne feraient pas cela pour ne pas partager la renommée. Cela dit, je ne cherche pas absolument à figurer en couverture des albums. Pour moi, les auteurs principaux restent les scénaristes et les dessinateurs. Les coloristes n’arrivent qu’en troisième position. Franchement, je préfèrerais que les éditeurs augmentent le prix des planches ! Et aujourd’hui, je cherche plus la reconnaissance du milieu professionnel que la gloire auprès du public.
Voyageur cycle Futur T4, extrait de la planche 8
couleurs Jean-Jacques Chagnaud
© Stalner - Boisserie / Glénat |
Vous avez réalisé la mise en couleurs de beaucoup d’albums d’Éric Stalner...
Nous nous connaissons bien et je pense qu'Éric apprécie mon travail. Je ne suis pas toujours disponible car il faut assurer pour vivre de ce métier. En fait, cela se passe simplement entre nous. Comme j'aime travailler avec Éric, s'il me propose un album ou une série, je lui réponds oui. Et si je ne suis pas disponible, j’en suis vraiment désolé.
On perçoit une vraie complicité dans votre collaboration avec Éric Stalner...
C'est toujours sympa de travailler et parfois de se confier à quelqu'un d'une aussi grande sensibilité. Dommage que les circonstances de la vie ne permettent pas toujours d'approfondir ce genre de relation. Nous avons la même approche dans le boulot et, je pense, une grande conscience professionnelle. Éric est très à l’écoute de ce que je fais. Au point qu’il ne dessine pas tout, me laissant une plus grande part d’initiatives. Il sait particulièrement bien travailler en équipe. Il me dit souvent qu’il pense à ce que je vais pouvoir faire quand il dessine. Au plan professionnel, j’aime beaucoup ses dessins lorsqu’il fait tout. Et je le vois progresser. Je me suis régalé avec le T4 de Voyageur. Et je suis sûr qu’il continuera à faire des progrès.
Voyageur cycle Futur T4, extrait de la planche 44, couleurs Jean-Jacques Chagnaud
© Stalner - Boisserie / Glénat |
Quels sont vos prochains albums ?
Avec Éric Stalner, toute la série Voyageur, la suite avec Marc Bourgne et les autres. Le T10 de la Croix de Cazenac, la série la Liste 66 et qui sait ? Certainement d’autres… Je réalise aussi les couleurs de Back World de Lucien Rollin et Éric Corbeyran, Benson Gate de Renaud Garreta et Fabien Nury, Black Op de Hugues Labiano et Stephen Desberg… Et j'en oublie… Ah oui ! le gros morceau : Croisade de Jean Dufaux et Philippe Xavier, mon coup de cœur au Lombard.
Propos recueillis par Manuel F. Picaud en août 2008
Propos présentés et introduits par Brieg F. Haslé et Manuel F. Picaud
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© Manuel F. Picaud / Auracan.com
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