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Entretien avec Cyril Bonin

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Cyril Bonin © Manuel F. Picaud / Auracan.com
« J'ai du mal à m'arrêter de dessiner. Si je prends du retard, ma conscience me taraude vite : ça me fait avancer ! »

Né à Montceau-les-Mines en Bourgogne, Cyril Bonin se souvient avoir commencé à réaliser ses premières BD à l’âge de 11 ans. Après 2 ans aux Beaux-arts de Mâcon, 3 ans aux Arts-déco de Strasbourg et un DESS en image de synthèse en poche, il entre dans la vie active comme infographiste et rencontre l’une des figures alsaciennes de la BD : Roger Seiter.

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Quand souffle le vent, visuel de couverture
© Bonin - Galandon / Dargaud
Le prolifique scénariste adapte un polar dans un décor victorien qu’affectionne le jeune dessinateur et cela donne la belle série Fog : quatre diptyques chez Casterman.

À bientôt 40 ans, Cyril Bonin est à un tournant dans sa carrière, en passe de devenir auteur complet. Après s’être fait repéré par Frank Giroud qui lui confie un épisode de Quintett chez Dupuis, il réalise chez Dargaud dans la collection Long Courrier un album touchant, Quand souffle le vent, écrit par un autre auteur qui monte : Laurent Galandon.

Pour Auracan.com, Manuel F. Picaud voulait mieux connaître ce jeune talent au trait reconnaissable et captivant, qui prépare en parallèle deux nouveaux albums chez Dargaud et Futuropolis.

Entretien en compagnie de Laurent Galandon qu'Auracan.com a reçu tout récemment... le tout agrémenté d'extraits inédits des prochains albums de Cyril Bonin en exclusivité !

Pourquoi avez-vous été séduit par Quand souffle le vent ? Est-ce un album de synthèse entre votre côté romantique et vos racines ?
Cyril Bonin : Le sujet vient de Laurent Galandon, je me suis coulé dans son moule. Effectivement, cela correspondait à des envies que j’avais de mon côté. J’ai réalisé une fois que j’avais commencé l’album que j’avais un grand-père mineur, mais ça ne m’avait pas frappé au départ. Les deux courants présents dans l’album, à savoir d’un côté l’esprit nomade et de l’autre les gens sédentaires correspondent bien à ma nature. Je suis assez casanier et, en même temps, je suis en perpétuel vagabondage dans ma tête. Pour moi comme sans doute d’autres, les tsiganes représentent un goût et un fantasme du voyage.
Laurent Galandon : Quand souffle le vent est une métaphore du statut d’auteur de bande dessinée…
CB : … qui, tout en étant sédentaire, voyage quand même.

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Quand souffle le vent, extrait © Bonin - Galandon / Dargaud

Ce scénario est une confrontation entre deux civilisations et part sur des contrastes très forts.
CB : J’ai vu en effet dès le départ ce contraste de cultures et des personnages. Cela m’a justement donné envie de donner corps à ces images. En même temps, j’aime aussi la métaphore autour de l’imaginaire qu’on retrouve dans le personnage d’Antoine dont le désir de voyage le pousse d’abord à apprendre à lire. Et nous, justement, notre travail consiste à voyager et faire voyager par la lecture au travers des livres.

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Quand souffle le vent, extrait © Bonin - Galandon / Dargaud

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Quand souffle le vent, extrait © Bonin - Galandon / Dargaud
Pour Quand souffle le vent, vous avez choisi une gamme chromatique particulière. Comment l’avez-vous élaborée ?
CB : La gamme chromatique que j’ai finalement mise en place est assez différente de celle que j’avais en tête au départ en lisant le scénario. Avec Laurent et Christel Hoolans, notre éditrice, nous avions imaginé une opposition entre une gamme de gris qui correspondait à l’univers des mineurs et une gamme de couleurs chaudes et éclatantes pour les tsiganes. J’ai commencé ainsi. Petit à petit, la gamme s’est installée et je me suis rendu compte que l’univers des mineurs n’était pas si gris. Finalement, mon orientation a surtout été de rendre compte de la chaleur humaine qui se dégageait des personnages et de l’univers. Je trouve que c’est un album qui a des couleurs assez chaudes et assez contrastées par rapport à ce que je fais habituellement. En général, mes couleurs ne sont pas réalistes, ce sont plutôt des couleurs d’ambiance qui donnent un ton au récit. Un peu comme si on voyait la réalité à travers un filtre. C’est une technique que j’employais déjà quand je travaillais de manière traditionnelle avec des encres. J’ai tendance à répéter ce processus avec l’outil informatique.

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Quand souffle le vent, extrait © Bonin - Galandon / Dargaud

On sent une certaine évolution en matière graphique, une manière de vous adapter aux deux univers que vous peignez pour le rendre encore plus fort…
CB : En fait, il y a deux tendances. Une première tendance générale : depuis Quintett, j’avais envie d’évoluer vers un dessin plus réaliste. Les deux derniers tomes de Fog et Quand souffle le vent s’inscrivent dans cette démarche-là. Et pour Quand souffle le vent, j’avais envie d’un trait qui soit en accord avec le contexte, donc un trait un peu rude, plus épais, un peu plus rustique. Je ne sais pas si cela se ressent, mais c’était mon intention…

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Quand souffle le vent, extrait © Bonin - Galandon / Dargaud

Votre dessin reste plus semi-réaliste que réaliste…
CB : C’est vrai, c’est toujours un réalisme réinterprété. Mais, par rapport à ce que j’ai pu faire sur Fog, cela se rapproche quand même d’une forme de réalisme. Et c’est quelque chose que je suis en train de casser complètement car les deux nouveaux projets que je mène actuellement sont dans des registres de dessin différents. D’abord parce que le ton se prête moins au réalisme. Et puis parce que j’aime bien explorer de nouvelles voies.

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Chob (titre provisoire)
extrait inédit
© Bonin / Dargaud
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Chob (titre provisoire), recherche de personnage
© Bonin / Dargaud
Avant de passer à ces nouveaux projets, comment se construit la documentation sur des univers des tsiganes et des mines en ce début de XXe siècle sans tomber dans les clichés ?
CB : En effet, ce n’est pas très évident. J’essaye d’éviter les clichés de manière générale. C’est mieux d’apporter quelque chose de nouveau qui nourrisse l’imaginaire des lecteurs. Effectivement, j’ai eu pas mal de difficultés à trouver de la documentation. Un de mes livres de référence fut les Tsiganes : une destinée européenne [d’Henriette Asséo, collection Découvertes-Gallimard, ndlr] avec pas mal d’iconographies. Ensuite, il m’a fallu faire des choix. Par exemple pour les roulottes, je n’avais pas envie de faire un panachage de tout ce qui existait ; j’ai donc sélectionné mon type de roulotte. Sur les mineurs, Laurent avait trouvé pas mal de choses sur Internet et nous nous sommes replongés dans le film Germinal de Claude Berry qui est très complet. Après, il faut se documenter sur des choses plus précises. Exemple : je me suis documenté sur les modèles de lampes Davy et en l’occurrence Clany. Mais je n’ai pas poussé mon travail de documentation comme pour Quintett ou Fog. Pour un one-shot, je ne pouvais pas m’investir autant et surtout le scénario n’appelait pas autant de précision sur le décor et l’environnement.
LG : Quand souffle le vent n’est pas basé sur des références historiques aussi fortes que les séries précitées. On a une époque certes, mais on reste assez général. Quand je fais l’Enfant maudit, il ne faut pas que je me trompe sur les dates et cela me demande d’approfondir. Ici, on pouvait rester, sans tomber dans des clichés, dans des archétypes : le puits pour la mine, la roulotte pour les tsiganes. Cela suffisait à reconnaître l’environnement souhaité. Cela demande à mon avis une approche plus légère.

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Laurent Galandon et Cyril Bonin
© Manuel F. Picaud / Auracan.com
Et c’est finalement aussi et d’abord une histoire d’amour où importent sans doute davantage les relations entre les différents personnages que les décors…
LG : Il n’y a qu’une seule scène dans la mine finalement ! Si on avait eu plein de séquences dans la mine, il aurait sans doute fallu creuser davantage – sans jeu de mot ! – et peut-être aller sur place. En tous les cas, avoir une documentation plus riche.

Finalement, cette histoire d’exploitation des mineurs par leur patron fait aussi écho à l’actualité.
LG : Certes, mais je pense que c’est quelque chose qui existe depuis que l’homme est homme. Il y en a toujours un qui exploite l’autre. Ça a peut-être un écho un peu plus fort en ce moment. En même temps, même si je suis très à gauche, je ne vais pas jeter la pierre systématiquement au patronat. C’est pour cela que j’ai imaginé un duo de frères. L’un des deux a une autre vision du travail de ses salariés. Je veux éviter le manichéisme…

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la Belle Image, extrait inédit © Bonin - Aymé / Futuropolis

Passons maintenant aux projets de Cyril. Il y en a deux, l’un est une comédie policière chez Dargaud et l’autre l’adaptation d’un roman chez Futuropolis….
CB : Pour l’instant, je reste un peu discret sur tout cela. L’adaptation est celle d’un roman de Marcel Aymé qui s’appelle la Belle Image [1941, ndlr]. J’ai adoré ce livre quand je l’ai découvert il y a quinze ans. J’aurais aimé l’avoir écrit et je me suis dit que je l’adapterai un jour. Mais je le gardais pour mes vieux jours ! Il y a plusieurs romans que je rêvais d’adapter et il y en a plusieurs qui l’ont été. Je me suis donc dit qu’il fallait que je le fasse maintenant. C’est évidemment aussi une manière de me faire plaisir. Là, j’apprécie de passer du temps avec cet auteur, son écriture et son univers. Le récit est écrit à la première personne. Je suis en permanence dans la tête du personnage principal à qui il arrive quelque chose d’assez extraordinaire… L’histoire raconte comment il gère ce qui lui arrive psychologiquement – mais aussi matériellement, parce que cela pose un certain nombre de contraintes… Je trouvais très intéressant de vivre les événements de l’intérieur avec beaucoup de récitatifs.

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la Belle Image, extrait inédit
© Bonin - Aymé / Futuropolis
Et en terme de graphisme ?
CB : Ce sera un graphisme plus stylisé sans encrage, juste au crayon. L’histoire se passe dans les années 1950 et j’essaye de me rapprocher du graphisme de cette époque. Je suis aussi toujours influencé par le cinéma dans ma manière de raconter, dans le choix des plans, leurs enchaînements. Selon moi, néanmoins, la bande dessinée n’est pas du cinéma. Ils ont simplement un certain nombre de points communs.

Le lecteur se fait son propre cinéma…
CB : Oui, c’est lui qui relie les cases entre elles et qui déroule le film.

Comment s’est faite la rencontre avec l’équipe Futuropolis ?
CB : J’avais déjà travaillé avec Sébastien Gnaedig et Claude Gendrot chez Dupuis au démarrage de Quintett. Quand j’ai commencé à monter le projet, j’en ai parlé à plusieurs éditeurs et Sébastien a été le plus intéressé. J’ai fait quelques planches d’essai, je lui ai proposé un début de découpage… On est vite parti comme cela. Ce qui a sans doute facilité les choses, c’est que le roman n’est plus publié que par la Pléiade qui fait partie du même groupe Gallimard que Futuropolis.

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la Belle Image, extrait inédit © Bonin - Aymé / Futuropolis

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la Belle Image, extrait inédit
© Bonin - Aymé / Futuropolis
Et vous avez donc un autre projet chez Dargaud ?…
CB : C’est une comédie policière dont j’ai écrit le scénario. Elle correspond à ma conception de narration. C'est-à-dire qu’on n’est pas obligé d’avoir un héros qui va sauver le monde à chaque coin de rue pour que ce soit intéressant ! C’est une histoire essentiellement basée sur les personnages,  une comédie policière dans la filiation des romans de Maurice Leblanc, auteur d’Arsène Lupin. Le sujet est une énigme autour d’un vol de tableaux. Je joue avec les personnages et leurs contradictions psychologiques. Ce sera un diptyque en grand format. Côté graphisme, il y aura là un encrage et c’est peut-être un peu plus stylisé que la Belle Image.

Vous menez ces deux projets en parallèle ?
CB : Oui, je bascule de l’un à l’autre. Pour le moment, je n’ai pas été très régulier car les deux projets n’étaient pas au même stade. Mon scénario chez Dargaud était complètement écrit en janvier quand j’ai terminé Quand souffle le vent. J’ai donc pu tout de suite démarrer sur les planches, alors qu’il me restait les trois-quarts du découpage de la Belle Image à écrire. Maintenant, j’essaye de réaliser quatre planches de l’un et quatre planches de l’autre.

Quels sont les dates prévisionnelles de sortie ?
CB : Je pense que le projet Dargaud sortira début 2010 pour le premier volet et fin 2011 pour le second volet tandis que la Belle Image paraîtrait mi 2011. Ce sera un album de 75 pages !
LG : Cyril est d’une rigueur horlogère dans son travail. Il ne fait pas partie de ces dessinateurs qui peuvent avoir un trou et qui ne produisent pas une planche pendant quinze jours. Il arrive à s’imposer une discipline qui lui permet une production très régulière.
CB [gêné] : En fait, j’ai du mal à m’arrêter de dessiner. Et si je prends du retard, ma conscience me taraude vite : ça me fait avancer !

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Chob (titre provisoire), extrait inédit © Bonin / Dargaud

À propos de rigueur, vous semblez construire patiemment votre carrière comme auteur complet.
CB : Disons que cela fait longtemps que j’avais envie de passer à l’écriture. Il se trouve qu’avec Roger Seiter, on avait commencé à construire une série, donc j’avais mis de côté cette envie. Malgré tout, avec le temps, j’ai quand même accumulé une certaine frustration. Toutes les idées que j’avais gardées sous le coude sont en train de resurgir. J’ai un certain nombre d’histoires dont j’ai envie de voir le jour. Après, il n’est pas exclu que je retravaille avec un scénariste, notamment Laurent Galandon. On s’entend très bien. Et puis travailler à deux est aussi très riche. On s’apporte pas mal de choses mutuellement. Je vais voir au jour le jour. J’ai plusieurs scénarios possibles et il n’est pas impossible que j’en propose à d’autres dessinateurs. J’ai tellement d’idées que je n’aurai pas le temps de tout faire !
LG : Encore une fois, cette rigueur de travail lui laisse un champ très large. Il n’est pas comme ces dessinateurs qui peinent à faire un album en un an. Cyril, grâce à cette rigueur, arrive non seulement à en traiter deux, mais à jongler entre les deux avec une certaine aisance. Du coup, cela lui laisse une souplesse intéressante.
CB : Je suis régulier, c’est vrai ! Maintenant, je ne suis pas hyper rapide. Mon type de dessin ne me le permet pas.

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Chob (titre provisoire), extrait inédit © Bonin / Futuropolis

Et vous Laurent, des projets que vous n’avez pas encore évoqués dans notre récent entretien ?
LG : J’ai des envies fortes qui commencent à se dessiner. Je me concentre sur le T2 de Shahidas. Sinon, je pense que je vais écrire sur les Apaches de Belleville au début des années 1900. Et puis j’aimerais traiter de la Première Guerre mondiale, mais il existe déjà 50 ou 100 bouquins sur le sujet, dont certains très bons ! Du coup, je vais traiter cette période vue de l’arrière, probablement au travers de la vie parisienne, plus particulièrement dans le milieu du spectacle. Comment les gens vivaient le retour du frère ou du fils dans cette vie qui semblait normale ? Grosso modo, je voudrais parler de la Grande Guerre sans qu’on voie une seule image de tranchée et qu’on traite en effet de l’absence, de la douleur, du retour, de l’incompréhension entre ces deux univers.

Propos recueillis par Manuel F. Picaud en avril 2009
Tous droits réservés. Reproduction interdite sans autorisation préalable
Coordination rédactionnelle : Brieg F. Haslé © Manuel F. Picaud / Auracan.com
Remerciements à Hélène Werlé

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Manuel F. Picaud
05/05/2009