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Entretien avec Jérôme Félix

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Jérôme Félix : vous avez dit glamour ?...
© Laurent Mélikian / Bamboo
« Avoir Ingrid Liman, Paul Gastine et Gunt comme partenaires est une grande chance pour moi. »

liman
Hollywood Boulevard T1
© Liman - Félix / Bamboo
Jérôme Félix a trouvé chez Bamboo un nouveau départ. En cette année 2009, il sort pas moins de trois albums avec de jeunes auteurs : Paul Gastine, Ingrid Liman et Gunt.

Pour Auracan.com, il présente le nouveau diptyque Boulevard Hollywood et son entrée dans le comique avec Deuxième chance - Mort et entêté.

L’auteur de l’Arche avec Vincent Mallié et d’Un pas vers les étoiles avec Joël Parnotte décrypte comment il permet à de jeunes talents d’exprimer tout leur talent.


La collection Grand Angle n’avait pas encore traité du cinéma, pourtant le modèle de la collection. Cette série Hollywood Boulevard est-elle en quelque sorte une commande de Bamboo ?
Pas du tout. J’entends souvent dire que les albums de Bamboo sont des commandes. Je trouve cela injuste. Je n’ai jamais eu autant de liberté que chez eux. Par exemple, lorsqu’on nous avait demandé à Gunt et moi de proposer un projet, nous étions partis sur une histoire se passant dans l’univers très à la mode du poker. Mais en affinant nos envies, nous avons développé une autre histoire bien moins vendeuse, celle de Mort et entêté. L’éditeur nous a dit de faire celle que nous sentions le mieux. L’idée d’Hollywood Boulevard remonte à quelques années déjà. J’en avais même parlé à Jean Wacquet au moment où je travaillais chez Soleil. Mon copain Vincent Mallié avait accroché à l’idée et on se disait qu’on s’y mettrait bien ensemble. Arrivé chez Bamboo, j’en ai reparlé à Olivier Sulpice et Hervé Richez [directeurs éditoriaux de Bamboo, ndlr]. Olivier Sulpice a tout de suite marqué un intérêt. Hervé Richez a suggéré à Ingrid Liman de me contacter.

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Hollywood Boulevard T1, extrait de la planche 43 © Liman - Félix / Bamboo

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Hollywood Boulevard T1
crayonné d'une case de la planche 27
© Liman - Félix / Bamboo
Comment est née cette série dans votre imagination ?
J’avais toujours eu envie de faire une histoire dans l’univers du cinéma. Pour être original, il fallait trouver un angle particulier. Je connaissais l’histoire des deux commères d’Hollywood à qui les stars se confiaient pendant les années 40. J’ai pensé que ces deux femmes qui se détestaient cordialement pouvaient constituer un bon point de départ. Et puis est arrivé Loft Story… L’épisode avec Loana dans la piscine tombait trop bien pour que ce soit un hasard. J’ai tout de suite pensé que cet événement avait été scénarisé par la production pour gonfler les audiences. Cette idée a fait tilt dans ma tête et je me suis dit que je pouvais m’en servir pour mon histoire sur Hollywood. Voilà comment m’est venu l’idée que la vie privée des stars pouvait être entièrement scénarisée.

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Hollywood Boulevard T1
extrait de la planche 28
© Liman - Félix / Bamboo
Quelle en est la source d’inspiration ?
J’ai commencé à lire beaucoup de biographies de vedettes mais aussi des ouvrages sur l’âge d’or d’Hollywood. J’ai ainsi constitué toute une liste de faits incroyables dont j’allais pouvoir dire qu’ils avaient été écrits par des scénaristes. Plus j’avançais dans ce long processus de documentation, plus je me rendais compte que mon idée avait du sens. Par exemple, dans sa biographie très touchante, Ava Gardner explique qu’elle ne pouvait pas se marier ou avoir d’enfant sans l’accord de son patron de la MGM. Rock Hudson qui symbolisa l’homme idéal dans les années 50 était en réalité homosexuel, ce qui n’arrangeait pas la production ! Celle-ci n’a pas hésité à lui inventer des romances montées de toutes pièces histoire d’alimenter la presse people… En fait, mon idée n’était pas si éloignée de la réalité que ça. J’ai juste poussé le bouchon un peu plus loin.

Êtes-vous un grand amateur du cinéma des années 30 ?
Je suis effectivement un amateur de ce cinéma et notamment des films de Frank Capra. Ses films sont d’une humanité incroyable et la narration, à l’instar de ceux de Mankiewicz, y est très moderne. Je me rends compte aujourd’hui que ce réalisateur est un peu oublié. Voir la Vie est belle [It's a Wonderful Life, 1946, ndlr], c’est prendre une immense bouffée de bonheur qui vous donne envie de croire à la vie. Cette idée si naïve et pourtant si belle que tous ensemble on peut faire des miracles est tellement belle… Mes histoires sont souvent proches du conte. Je leur reconnais volontiers ce côté naïf que je retrouve chez Capra, ce qui explique peut-être l’admiration que je lui porte. Le plus incroyable avec Capra, c’est que sa vie ressemble à ses films. Son autobiographie Hollywood Story  [titre complet : Hollywood Story. The Name Above the Title : An Autobiography, 1971, ndlr] est une leçon de vie fabuleuse. Quand j’ai commencé mon histoire, je me suis demandé comment Capra l’aurait écrite. Comment lui donner ce côté conte ? D’où l’idée de la débuter au Paradis. Même chose pour les personnages : j’ai construit mon héros Billy Bob comme un personnage de Capra. L’idée que la gentillesse puisse devenir une faiblesse dans notre monde est au cœur de l’œuvre de ce grand réalisateur et c’est aussi un thème qui m’est cher.

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Hollywood Boulevard T1, extrait de la planche 42 © Liman - Félix / Bamboo

Pourquoi avoir situé cette histoire à la fin des années 30 ?
Situer mon histoire aujourd’hui était impossible. Il me fallait une époque où les acteurs appartenaient encore à des studios. Mais la vraie raison est qu’Ingrid fait partie de ces auteurs qui s’ennuient à dessiner l’époque actuelle. Comme Paul Gastine pour qui j’ai écrit l’Héritage du Diable, notre monde ne la fait pas rêver du tout. Vous imaginez bien qu’elle aurait été sa réaction si je lui avais demandé de dessiner Loana et l’univers de la téléréalité ?!!!

liman
Hollywood Boulevard T1, extrait de la planche 37
© Liman - Félix / Bamboo
Est-ce une série au long cours ou « simplement » un diptyque ?
Très sincèrement, j’aimerais beaucoup continuer à explorer l’univers d’Hollywood. Plus j’en apprends dessus et plus ce monde me passionne. Et c’est la première fois que je n’ai pas galéré sur un scénario. Pour autant, Ingrid m’a lancé la perche pour que je lui invente un conte fantastique. Comme je comprends vraiment qu’elle ait envie d’aller vers ce qu’elle maîtrise le plus, j’ai accepté avec plaisir son invitation au voyage. Du coup, quid d’Hollywood Boulevard ? Pourquoi pas continuer avec un autre auteur ? Mais en aurai-je le temps ? Je commence à me demander si je ne vais demander à un autre scénariste et à un autre dessinateur de s’y mettre le temps que l’on y revienne Ingrid et moi. Si ce n’est pas une réponse de Normand ça ?! Il y aussi l’idée de faire un épisode de Deuxième chance s’y passant. Je vois bien Guillaume dessiner Pamela Anderson. Mais bon, Guillaume et moi avons actuellement un différent : il trouve que la superbe actrice Jennifer Connely a un côté masculin viril ! Je refuse de travailler avec des personnes capables de tenir ce genre de propos !

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Hollywood Boulevard T1, crayonné pour la planche 37 © Liman - Félix / Bamboo

Comment avez-vous rencontré la dessinatrice Ingrid Liman ?
Cela faisait dix ans qu’Ingrid voulait travailler avec moi. Elle me harcelait au téléphone nuit et jour. Épuisé, j’ai fini par craquer ! Voilà comment à Hollywood on vous raconterait notre rencontre. La réalité est moins glamour : Hervé Richez des éditions Bamboo a craqué sur le dessin d’Ingrid. Hervé, allez savoir pourquoi, pense que je peux aider les jeunes auteurs à se surpasser. Il a conseillé à Ingrid de m’appeler. Ingrid revenait d’une collaboration difficile. Il lui fallait donc un scénariste avec qui ça allait bien se passer. Je ne peux pas promettre aux gens avec qui je travaille de leur faire le scénario du siècle (je fais vraiment comme je peux et je ne peux pas énormément !) mais je peux leur promettre de passer un bon moment en ma compagnie. Mon premier travail a été de faire en sorte qu’Ingrid retrouve confiance en elle. J’ai tout fait pour la rassurer sur son talent. J’ai aussi tenté de la convaincre de s’intéresser au foot et à Pamela Anderson mais bon, on ne peut pas tout réussir. J’ai également fait très attention à lui construire une histoire qui lui ressemble. Il me semblait important qu’elle soit en empathie avec les personnages. Je pense que c’est ce qui lui avait manqué dans sa précédente expérience. Voyez le résultat ! Ingrid a progressé tout au long de l’album. Son talent ne demande plus qu’à exploser. Je suis convaincu qu’elle va se révéler pleinement dans le T2. On fêtera ça en allant voir OM Marseille !

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Hollywood Boulevard T1, extrait de la planche 1 © Liman - Félix / Bamboo

Au plan technique, comment livrez-vous votre scénario ?
Je travaille comme Hergé le faisait en storyboardant mon histoire. Je l’invente en la dessinant. Je deviens mon propre lecteur ! Sans mes petits dessins, je suis incapable de savoir si mon script fonctionne ou non. Ensuite, je livre le scénario sous forme de texte dactylographié ou de story-board, au choix du dessinateur. Il peut donc changer tout ce qu’il veut. Mes chouettes collaborations avec Vincent Mallié et Joël Parnotte m’ont appris qu’il ne fallait pas faire dessiner à un dessinateur des choses auxquelles il ne croit pas. Voilà pourquoi je n’impose jamais rien à un auteur. Tout ce qui déplait aux dessinateurs est revu et changé afin que l’album leur ressemble au maximum. Il faut avant tout que ce soit leur livre, qu’ils s’approprient le script comme un réalisateur s’approprie un scénario.

gunt
Mort et entêté, ex-libris
© Gunt - Félix / Bamboo
Quel a été le moment le plus extraordinaire de votre collaboration ?
Le pire en tout cas a été quand j’ai dû faire des photos type « glamour » pour le dossier de presse. Ingrid qui est une très jolie fille s’était faite photographier par un copain photographe désireux de monter un book. Elle a évidemment utilisé ces photos-là. Du coup, Gunt et moi avons dû faire pareil sauf que nous, nous ne sommes pas de jolies jeunes filles ! Bref, vous imaginez le résultat… Mes copains peuvent maintenant officiellement se moquer de moi. Heureusement, mon épouse me remonte le moral en me disant que je n’ai pas l’air si bête que ça. Pour en revenir à votre question sur notre meilleur moment, ça va vous paraître banal, mais tout s’est bien passé. C’était vraiment une chouette collaboration pleine de respect et de bonne humeur.

gunt
Mort et entêté
© Gunt - Félix / Bamboo
Vous publiez en même temps la comédie Mort et entêté avec Gunt. Comment l’avez-vous rencontré ?
Comme avec Ingrid, Guillaume rêvait de travailler avec moi depuis dix ans. Il me harcelait nuit et jour. C’est d’ailleurs devant chez moi, un soir de pluie alors que la lune était pleine, qu’il a rencontré Ingrid. Ils se sont mariés et élèvent maintenant ensemble une vingtaine de caniches qu’ils mettent régulièrement en vacances chez Paul Gastine !… Si je me souviens bien, je crois que Gunt avait apprécié ma série l’Arche faite avec Vincent Mallié. Il l’a fait savoir à Hervé Richez qui me l’a fait savoir. Du coup, je suis allé sur le blog de Gunt. La différence de style entre ses précédents albums et ce qu’il poste sur son blog m’a paru incompréhensible. C’était cent fois meilleur. À croire que ce n’était pas le même dessinateur. Travailler avec Guillaume signifiait qu’il fallait que je comprenne pourquoi ses albums n’étaient pas au niveau de son remarquable travail personnel. Nous avons donc pris contact et beaucoup discuté. Au début, Gunt voulait un récit d’aventure pure type Indiana Jones mais en allant plus loin, j’ai deviné son envie de comédie. Une fois cette envie identifiée, nous avons commencé à imaginer les personnages que nous pouvions mettre en scène. Et là, surprise : non seulement Guillaume rigolait à mes conneries, mais me poussait à aller plus loin encore. C’est exactement comme ça que j’avais travaillé avec Vincent sur l’Arche. Ici, j’avais juste un peu plus de métier.

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Mort et entêté, recherches pour le personnage de Barbie © Gunt - Félix / Bamboo

Qu’aimez vous dans son dessin ?
Je suis fan tout simplement. Je ne comprends absolument pas comment Guillaume travaille, mais j’adore. C’est fun, frais. Sa gamme de couleurs est osée mais pas du tout de mauvais goût. Et surtout, il sait faire jouer ses personnages, sa gamme d’émotions est très variée. Vincent Mallié et Joël Parnotte, mes éternelles compères, m’ont toujours dit que sans cette qualité, mes scénarios perdaient énormément. C’est pourquoi, j’y fais très attention quand je choisis d’entamer une collaboration. Guillaume s’est investi dans notre album comme peu d’auteurs le font. Il a senti qu’il avait la chance de faire l’album qui allait lui permettre de poser son style. Je vous laisse imaginer dans quelle condition psychologique il se trouve aujourd’hui à la veille de la sortie de l’album. Il doute que ses choix stylistiques très affirmés trouve un public… Cette attente est très dure à vivre pour lui. De mon côté, je dépense actuellement beaucoup dans les cierges !

gunt
Mort et entêté, extrait de la planche 2 © Gunt - Félix / Bamboo

C’est la première comédie dans la collection Grand Angle
Clairement, cet album ne devrait pas être dans Grand Angle. Il ne devrait tout simplement pas exister. C’est un véritable OVNI ! Hervé Richez nous a dit que l’histoire était clairement inclassable mais qu’il la prenait quand même car il la trouvait sincère et il voulait que Guillaume puisse exprimer au mieux son talent. Hervé a vraiment fait un fabuleux travail de directeur de collection en permettant à Guillaume de se construire et de s’affirmer sur cet album risqué. En tout cas, une chose est sûre : Guillaume a maintenant tout pour devenir l’un des piliers de la collection Grand Angle.

gunt
Mort et entêté, recherches pour le personnage de Buster © Gunt - Félix / Bamboo

Êtes-vous partis pour une série d’au moins trois épisodes ? Quels en sont finalement les thèmes puisque les histoires « déjantées » ne sont pas racontables ?
La seule chose que nous a demandée Hervé Richez, c’est que notre one-shot s’inscrive dans une série. Il m’a donc fallu trouver une manière de raccorder les futurs épisodes à Mort et entêté. C’est comme ça que l’idée qu’un miracle se produise dans chaque volume m’a traversé l’esprit. L’idée est que ce miracle change la vie d’une personne. L’album nous racontant si celle-ci profite de ce changement pour en faire quelque chose de bien ou non. Les tomes 2 et 3 mettront en scène un casse dans l’univers du poker. Ce sera encore une comédie où le personnage principal, un joueur, entend Dieu lui indiquer quelles cartes jouer… Promis, un jour, on fera un truc sérieux.

gunt
Mort et entêté, extrait de la planche 2 © Gunt - Félix / Bamboo

Où en sont vos autres projets, notamment avec Arno Monin ? Et pour quand est prévu le T2 de l’Héritage du Diable ?
L’album avec Arno, un diptyque, devrait s’appeler Martin Bonheur. Ce sera une histoire policière se passant dans un petit village de Haute-Normandie. On part avec Arno faire des repérages la semaine prochaine. En ce qui concerne l’Héritage du Diable, Paul en est à la moitié du T2. Il réalise un travail magnifique. Le succès du T1 l’a réellement mis en confiance et du coup son dessin est en train d’exploser. Vous savez, j’ai vraiment conscience qu’avoir Ingrid, Paul et Guillaume comme partenaires est une grande chance pour moi. Et quel plaisir de les voir tous mûrir. Si seulement Ingrid et Paul pouvaient un peu plus suivre le foot, ce serait le paradis ! Heureusement qu’après les matchs, je peux appeler Guillaume, mais bon vu qu’on ne se parle plus à cause de Jennifer Connelly…

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Mort et entêté, recherches pour le personnage du Puceau © Gunt - Félix / Bamboo

Propos recueillis par Manuel F. Picaud en septembre 2009
Tous droits réservés. Reproduction interdite sans autorisation préalable
Coordination rédactionnelle : Brieg F. Haslé © Manuel F. Picaud / Auracan.com
Remerciements à Ariane Danezis

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Manuel F. Picaud
11/10/2009