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Entretien avec Jean-Luc Cornette et Paul Teng

« Nous ne voulions pas nous plier à faire quelque chose qui ne nous correspondait pas… »

Jhen est appelé à Trani pour réparer la somptueuse cathédrale San Nicol di Pellegrino. Accompagné de Venceslas, le tailleur de pierres, ily retrouve son vieil ami Raphaël. Le chantier est immense, rien ne doit entraver la réparation du campanile que la riche famille Saverio finance pour la gloire de Dieu. Mais un mal insidieux gagne peu à peu la ville et ses habitants…

Avec La Peste, Jean-Luc Cornette et Jerry Frissen (scén.) signent leur deuxième album de Jhen mis en images par Paul Teng. La série évolue doucement mais sûrement vers plus de modernité avec cette nouvelle équipe d’auteurs. Elle nous offre ici un récit efficace et une aventure sous haute tension pour ce héros, sculpteur et architecte créé par Jacques Martin. Faire évoluer l’univers du maître sans le dénaturer représente l’un des défis dont nous parlent Jean-Luc Cornette et Paul Teng au cours d’une interview réalisée la veille du salon Ecrire l’Histoire qui, lors de cette édition 2017, s’ouvrait tout particulièrement à la BD.

Comment êtes-vous devenu scénariste de Jhen ?


Jean-Luc Cornette

Jean-Luc Cornette : Après le tome 13, L’Ombre des Cathares, la série ne disposait plus de scénariste, et c’est le dessinateur Thierry Cayman qui m’a contacté et proposé d’y travailler. J’ai hésité au départ, car il s’agissait d’un univers très différent des miens. J’en ai parlé avec Jerry Frissen qui m’a convaincu d’accepter. J’ai vérifié les dates correspondant à l’histoire de Dracula, l’époque correspondait à celle de Jhen, et nous avons entamé cette histoire avec Jerry. Draculea a été dessiné par Jean Pleyers, puis Les Portes de Fer et le récent La Peste par Paul Teng.

Entrer dans l’ « Univers Martin » implique-t-il de respecter une sorte de cahier des charges ?

J-L C : Pas vraiment, de plus Jhen avait déjà été confié à des auteurs différents. Nous sommes arrivés sur la série avec nos styles, nos bagages et nos carrières, et nous ne voulions pas nous plier à faire quelque chose qui ne nous correspondait pas. Ce n’était pas possible pour nous de refaire le Jhen de Jacques Martin et Jean Pleyers. Nous nous attachons plutôt à le moderniser progressivement, à le faire évoluer. Mais nous ne pouvons évidemment pas faire n’importe quoi ! Tout ça n’est pas défini par écrit, mais le respect de l’œuvre initiale nous semble normal, et notre travail est relu chez l’éditeur et par les enfants de Jacques Martin, qui sont un peu les gardiens du Temple. C’est un peu plus compliqué que de travailler sur un projet totalement personnel, mais nous en acceptons les règles.

Et pour vous, Paul ?

Paul Teng : Non, de mon côté je pouvais clairement conserver mon style, ça n’a posé aucun problème. J’ai dessiné Les Portes de Fer comme je le sentais, et j’ai abordé La Peste de la même manière, en respectant cependant les bases définies par Jean Pleyers mais sans essayer d’imiter son dessin. Notre Jhen est, à mon sens, plus « brut », moins romantique que le moyen-âge de Pleyers, mais graphiquement j’aime beaucoup dessiner des gens un peu spéciaux, pas forcément beaux. C’est un de mes plaisirs en dessin, et ces personnages trouvent facilement place à l’époque des aventures de Jhen.

Jean Pleyers conserve-t-il un droit de regard sur votre dessin ?


Paul Teng

P T : Pas directement, non. Je pense qu’il est heureux que la série se poursuive et conserve son public, même dans une approche un peu différente. Nous nous sommes  rencontrés une fois et nous avons discuté très librement. La seule remarque qu’il m’ait faite concernait ma manière de dessiner le menton de Jhen. En effet, il le dessinait de manière plus prononcée, mais cela correspondait à son style. Ca ne fonctionnerait pas avec le mien !  De plus, si j’avais dû m’obliger à copier son style de dessin, je ne pense pas que ça aurait été très motivant pour moi…  Les Portes de Fer constituaient un premier pas, avec La Peste il m’a semblé être déjà plus à l’aise avec le personnage et son univers.

Avez-vous déjà été confronté à l’envie d’amener quelque chose dans la série et d’en être empêché par ces rails à suivre ?

J-L C : Ce que nous pouvons parfois considérer comme une contrainte est justement de ne pas pouvoir moderniser ce type de récit plus rapidement. Jerry et moi aimerions complexifier le personnage de Jhen, lui donner une famille, explorer son passé, mais ce type d’éléments doit encore trouver sa place dans l’Univers Martin. Jhen est une série classique qui doit continuer à plaire à son lectorat…classique. Tout ça peut paraître un peu flou, mais d’autre part, ce type de contrainte nous pousse à travailler, à réfléchir pour faire, malgré cela, évoluer la narration vers quelque chose de plus actuel. Voilà pourquoi, dès Draculea, je me suis attaché à faire disparaître les envahissants textes off qui alourdissent généralement le récit. On y gagne en dynamisme, et tout le monde l’a accepté ! Et je pense qu’il est encore possible d’avancer de cette manière, pas à pas, vers une forme de modernisation.

Comment organisez-vous votre travail avec Jerry Frissen, qui vit à Los Angeles, alors que vous êtes à Bruxelles ?

J-L C : On discute quasi quotidiennement via Skype, en tenant compte du décalage horaire et ce que l’un écrit est envoyé à l’autre. On se transmet donc nos fichiers, et chacun y modifie ou réécrit ce qui lui paraît nécessaire. Nous nous connaissons depuis plus de 30 ans et nous n’avons plus besoin de nous demander ou de nous accorder des autorisations pour ces changements. Chacun de nous met son travail au service de l’histoire, de l’album et le scénario s’élabore au cours de ces nombreux aller-retours.

Vous attachez-vous à un aspect plus précis du récit et Jerry à un autre ?

J-L C : A priori je suis sans doute plus attentif à l’aspect historique du récit, la documentation, les références…  Jerry relit beaucoup et travaille plutôt à la construction de la structure de l’intrigue. Mais nous ne nous limitons évidemment pas à ces seuls  aspects !

Paul, passer des Carpathes des Portes de Fer à l’Italie de La Peste représente un contraste important. Était-ce un défi pour le dessinateur ?

P T : C’est un grand changement d’ambiance, et on ne dispose pas toujours, selon les délais, des possibilités de se rendre directement sur les lieux de l’action. La Peste a donc demandé un gros travail de documentation, avec des recherches d’images des lieux où se déroule l’action sur le web. Néanmoins, on n’y trouve pas forcément tout. Ainsi, cette nouvelle aventure comporte une petite scène dans laquelle Jhen emprunte un escalier dans un campanile…  Difficile de trouver une image plausible pour cela, j’ai donc dû extrapoler…mais c’est le genre de chose pour laquelle il aurait été plus simple de se rendre sur place !

Combien de temps vous demande le dessin d’un album de Jhen ?

P T : Un peu moins d’un an. De nombreuses cases nécessitent de la documentation, les maisons, les intérieurs de châteaux…  On est toujours en train de faire des recherches, mais on apprend tout le temps et c’est passionnant quand on aime l’Histoire.

Vous participez tous deux au salon Ecrire l’Histoire, qui, cette année, s’ouvre particulièrement à la BD. Qu’est-ce que cela représente pour vous ?

P T : J’espère que cela nous permettra de rencontrer un autre public, davantage intéressé par l’Histoire, en général, que par la BD. Mais quel est son rapport à la BD, je ne sais pas…

J-L C : Personnellement, j’aime de plus en plus sortir des manifestations spécifiquement consacrées à la BD. Il existe actuellement trop de salons, de festivals  BD organisés dans des réfectoires d’écoles, des salles de gym…  C’est sympa, mais j’ai déjà donné et je n’y participe plus. Ecrire l’Histoire est une première, donc je verrai…

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Pierre Burssens
06/12/2017