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Entretien avec Benjamin Benéteau

"On doit tenter de saisir la complexité du personnage et de la restituer..."

“Vaillant : la ruine et la prison", titrent les journaux. Terrible réalité pour Michel Vaillant, incarcéré pour son rôle suspect lors de l'accident qui a coûté la vie à son frère. Avec le soutien de ses proches, il décide de passer à l'offensive : réconcilier le clan Vaillant après la mort de Jean-Pierre, redonner un avenir ambitieux à son écurie et vaincre Ethan Dasz afin de récupérer l'entreprise familiale...

En amont de Macao, septième tome de la Nouvelle saison de Michel Vaillant, ce sont d’autres changements qui ont eu lieu. En effet, Benjamin Benéteau, chargé jusque-là du dessin des  décors et des véhicules se trouve dorénavant seul aux commandes graphiques de la série. Un grand défi que le dessinateur relève avec confiance et modestie, comme il nous l’a expliqué.

Comment vous-êtes vous retrouvé seul dessinateur de la Nouvelle saison de Michel Vaillant ?

Benjamin Benéteau : La décision est venue de Marc Bourgne et de Graton éditeur. Marc avait d’autres projets et n’était plus intéressé par la poursuite de la série. On m’a donc proposé d’en assurer complètement le dessin. J’étais très content que l’on me témoigne cette confiance pour un tel challenge, mais en même temps, pour reprendre le titre du premier Michel Vaillant, il s’agit d’un grand défi. J’ai un petit peu la sensation de sauter dans un train en marche. Je n’ai ni le talent ni l’expérience de Marc et je sais qu’il y aura des choses à améliorer. Je pense que le prochain album sera, par exemple, meilleur au niveau du dessin des personnages.

Avez-vous disposé d’un temps d’acclimatation, d’apprentissage pour vous lancer dans cette aventure ?

Pas vraiment, non. J’ai dû me jeter dans le bain après les repérages à Macao. Mon objectif premier était d’aboutir à un résultat correct, qui puisse être accepté des lecteurs. Mais personnellement, je trouve que mon dessin des personnages est encore assez...flottant, et certainement améliorable. Il y a du travail !

A l’époque d’Alter Ego, vous aviez notamment évoqué l’utilisation d’un logiciel de modélisation 3D qui vous permettait d’aborder un décor sous n’importe quel angle...

Effectivement, et il s’agit d’un outil remarquable pour des décors, justement, ou des objets, des éléments plus “techniques”. Mais aborder le dessin de personnages est complètement différent. En dessinant, on doit tenter de saisir la complexité de la personnalité et de la restituer, et cela dans une gamme d’expressions la plus large possible. Je n’ai pas essayé de “décalquer” les personnages de Marc, je ne pense pas que, de toutes manières, cela aurait fonctionné. J’ai essayé -et je continue à le faire- de m’approprier ces personnages, en repectant l’esprit de la Nouvelle saison et de la série d’origine, dont le dessin n’a cessé d’évoluer depuis 1957.

Vous dessinez la suite d’une série mythique, seul à ses commandes graphiques, comme Jean Graton au cours des premières années de Michel Vaillant. Vous arrive-t’il de penser à ces aspects ?

Non, je me concentre sur le présent, sur ce que ja fais. Si je pensais à cette sorte d’héritage, je serais complètement paralysé, donc j’évite de me répéter ce genre de choses, mais j’en suis conscient ! Mon objectif est de produire des planches de qualité qui soient appréciées des lecteurs, et je ne pense pas au reste. Hormis cet aspect, je crois que si quelque chose relie les auteurs de BD, c’est le doute. Il arrive toujours bien un moment où on se pose des questions sur la finalité de notre travail : que suis-je en train de faire ? Existe-t’il vraiment un public pour cela ? Est-ce qu’il va comprendre ? Adhérer ? Ces interrogations peuvent parfois prendre de la place, et dans mon cas il ne servirait à rien d’y ajouter tout le poids et l’aspect “patrimonial” de Michel Vaillant.


La couverture du tirage limité

L’expérience d’Alter Ego et de son “studio virtuel” vous a-t’elle aidé à aborder la Nouvelle saison de Michel Vaillant ?

Oui, car d’une certaine manière le fonctionnement de Michel Vaillant rejoignait celui du studio virtuel. Marc et moi ne nous rencontrions pas régulièrement, de plus il travaille sur papier alors que j’utilise le numérique. Denis Lapière nous envoyait le scénario, Marc m’envoyait ses personnages dessinés sur des planches que je complétais avec les décors, les voitures, sur différents calques, en conservant pour chacun de nous des possibilités d’améliorer, de corriger. Alter Ego m’avait permis de participer à ce type de dynamique et je pense, en toute modestie, que ça a aidé à la cohésion du groupe et à la cohérence de notre travail.

Le scénariste Denis Lapière etait, lui aussi, de l’aventure Alter Ego...

Et travailler avec lui est un réel plaisir ! Quand j’étais jeune, je lisais des séries scénarisées par Denis, et j’ai toujours considéré comme un honneur de dessiner sur les histoires de quelqu’un qui a une telle expérience dans la BD. J’ai toute confiance en ce qu’il me propose, et suivre au plus près ses indications ne peut, à mon sens, que déboucher sur un "mieux". Denis, c’est un peu la Rolls-Royce du scénario !

Comment s’établit le design d’une Vaillante ? Philippe Graton y est-il particulièrement attentif ?

Plus globalement, Philippe veille au respect de l’univers Vaillant et de son esprit, et tout roule de ce côté. Pour une nouvelle Vaillante, je propose un projet et on voit où on va. Mais jusqu’à maintenant je n’ai pas eu souvent l’occasion de le faire. L’usine Vaillant est en crise, les voitures de Formule E ont toutes le même design, il y a eu le partenariat avec Rébellion pour Le Mans et pour Macao, les Formule 3 se ressemblent beaucoup...  Ceci dit j’aime vraiment cet aspect du dessin et, gamin, j’aurais aimé travailler dans ce domaine.

A l’inverse, il m’est arrivé de rencontrer des designers automobiles qui me disaient qu’ils auraient aimé dessiné Michel Vaillant. Le style d’une Vaillante résulte d’un équilibre délicat. Elle ne doit pas avoir la lourdeur d’une allemande, elle doit être française mais pas franchouillarde, elle doit être élégante mais pas ostentatoire... Quand, avec Philippe Graton, nous avons découvert l’actuelle Alpine A 110, nous nous sommes dits que ça aurait pu être une Vaillante. Jean Graton avait saisi tout ça avec un naturel assez déconcertant...et fait naître des vocations chez certains designers !

Vous évoquiez les repérages de Macao. Ces moments passés sur le terrain, sur les circuits ou les spéciales de rallye représentent-ils une partie importante de la préparation d’un album ?

Je pense que ça l’a toujours été, dès la création de la série initiale par Jean Graton. Et c’est aussi une forme d’avantage en nature que peu de séries permettent. J’avais très envie de découvrir l’envers du décor et de comprendre ses particularités. Là, je me plonge dedans, je découvre, j’apprends...  Au gré des rencontres, j’appréhende certains aspects techniques passionnants que l’on essaye de transmettre dans les albums. Je tente de me laisser imprégner par tous ces éléments. Et cette proximité avec le sport automobile et ses acteurs a toujours été l’une des richesses de la série.

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Pierre Burssens
05/12/2018