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Ex-Libris de la librairie Folle Image

Sylvain Vallée fait partie de ces jeunes auteurs très prometteurs : il n'a pas trente ans, et n'a publié seul qu'une petite histoire au Cycliste, L'Ecrin, avant de reprendre le dessin de Gil St André sur un scénario de Jean-Charles Kraehn.

Rencontre avec un jeune dessinateur avec lequel il faudra compter dans les années à venir.

Le dernier Gil St André se classe dans les meilleures ventes bd de la fin octobre. Quel effet cela fait-il à 28 ans de connaître si vite le succès ?
C'est un lourd héritage ! (Rires) Quand nous avons commencé notre collaboration, Jean-Charles et moi ne nous attendions pas à ce que cela prenne de telles proportions, bien qu'il s'agissait d'une série qui démarrait bien. Je ne m'attendais pas du tout à une telle progression, d'autant que je n'avais publié que L'Ecrin auparavant.

Ex-Libris pour Gil St André (Libr. Fantasmagories)Comment expliquez-vous ce si rapide succès ?
Ce que je vais dire va choquer tout le monde : j'ai toujours su que j'allais faire de la bd ! Cette certitude m'a donné les moyens d'y arriver. J'en ai toujours eu envie, et ça m'a empêché de ramer. Je me suis jamais tracassé pour ce qui est de mon style graphique . et, finalement, j'ai gagné du temps.

Comment avez-vous connu Jean-Charles Kraehn ?
Je lui montrais régulièrement mon travail, sur des salons, des festivals. Nous nous connaissions depuis plusieurs années, bien avant qu'il ne me propose cette reprise. L'Ecrin est arrivé au bon moment. Kraehn recherchait quelqu'un pour l'assister sur les décors de Gil St André. Il n'avait alors pas l'intention de trouver un repreneur. Mais quand il a vu mes dessins, cette idée a fait son chemin. J'ai commencé par des décors, par des crayonnés de personnages, puis de planches. Il a encré tel quel les dix dernières planches du tome 2. Il m'a ensuite proposé d'encrer certaines planches : des essais non publiés qui ont été soumis à l'éditeur. Comme ça a plu, je pouvais enchaîner. Il ne me restait plus qu'à abattre un album en un an.

Kraehn surveillait votre travail ?
Oui, il visualisait les crayonnés, me faisait de petites indications sur des croquis pour corriger des détails. C'était pour moi un extraordinaire apprentissage dans une relation amicale, loin d'une relation d'ouvrier à patron.

N'est-il pas frustré de ne plus dessiner la série ?
Il y a toujours une frustration quand on est le créateur d'une série de la voir dessiner par un autre. Je pense qu'il n'est pas déçu, mais je ne remplis sûrement pas toutes ses envies. Le résultat n'a pas baissé, il n'y a pas eu de perte de lecteurs, au contraire. Il y a aussi des codes graphiques comme la couleur et le lettrage qui créent une homogénéité sur l'ensemble. Une des meilleures écoles, c'est la copie : j'ai "bouffé" du Kraehn pendant un an. Et j'avais une épée de Damoclès au-dessus de la tête : il ne fallait pas décevoir le public qui était déjà acquis pour cette série.

Couverture du tirage spécial Gil St André de Folle ImageKraehn vous a-t-il imposé à Glénat ?
Jean-Charles a fait part à Glénat de la progression de mon travail. L'éditeur a vu mes crayonnés, mes essais d'encrage. Jean-Charles était convaincu, donc l'éditeur lui a fait confiance. On me dit souvent que je fais du Kraehn. Le but était de ne pas changer de direction, de ne pas modifier le graphisme en ce qui concerne cette série.

Et l'histoire de Gil St André ? Vous aviez aimé le premier ?
J'avais été surpris, comme beaucoup de lecteurs je pense, par le thème choisi par Jean-Charles. J'ai adhéré au côté populaire de la démarche, à la quotidienneté, à la proximité avec les personnages. Gil n'est pas un super-héros, il souffre, connaît le désarroi. Sa vie est chamboulée par la disparition de sa femme. Il n'est plus rempli de certitudes comme au début de la série.

Lorsque vous avez rejoint la série, saviez-vous quelle direction prendrait l'histoire ?
Jean-Charles savait où il allait, mais pas par quel chemin. Quand on démarre un album, on en parle, il me raconte l'histoire dans sa globalité, puis il m'envoie son scénario par vagues de 15-20 planches.

Le prochain (pour fin 2001) va clore le cycle en cours. Allez-vous continuer ?
C'est une envie, je ne vais pas la cacher ! Une envie que je partage avec Jean-Charles. Il faudra que l'on ait une bonne idée pour enchaîner sur un nouveau cycle qui risquera d'être moins long. Maintenant que je me suis approprié le personnage, je n'ai pas envie de l'abandonner. Mais serait-ce dans la foulée ? je ne sais pas. J'ai aussi un projet personnel, j'y travaille, mais il est encore trop tôt pour le présenter aux éditeurs. Pour le moment, je me consacre à Gil St André.

Pour votre projet personnel, va-t-on retrouver ce goût pour les vieux polars français qui apparaissait déjà dans L'Ecrin ?
Je suis imprégné du cinéma français des années cinquante, Les Tontons flingueurs, Un Taxi pour Tobrouk. "Franchouillard" est le terme qui définit parfaitement ce que j'ai envie de faire ! L'esthétique et le contexte historique de ces années me plaisent énormément. J'ai le projet d'une série de petits cycles. Je n'aurais pas accepté la reprise de Gil St André s'il s'agissait d'une série à rallonge. Mes envies scénaristiques sont trop fortes, mon goût pour les années cinquante aussi, pour ne pas y revenir. Ce sera quelque chose de beaucoup plus enlevé, plus épique que L'Ecrin qui est un album d'humour noir assez dur.

La scène de la cuisine d'après Les Tontons Flingueurs (Le Cycliste)

Comment présenteriez-vous L'Ecrin, avec quelques années de recul ?
Beaucoup de naïveté dans le dessin ! (rires) Une maladresse de construction. Le fait de travailler avec Jean-Charles sur du dessin réaliste me permet de prendre de la distance par rapport à mon trait qui était spontané, non réfléchi. C'était un petit polar d'humour noir, qui m'a servit de carte de visite.

Et vous n'aviez rien publié avant ?
Non, à part des petites histoires courtes dans des fanzines comme Oh la vache de Rennes, ou Illusion. J'ai même failli bosser pour Auracan, à ses débuts ! Dès que j'ai su tenir un crayon, j'ai dessiné de la bd, mes premiers dessins étaient des personnages de bd. Je suis un caricaturiste, j'aime dessiner des visages.

Marc Bourgne a récemment confié qu'il avait pensé à vous pour dessiner son nouveau polar, Frank Lincoln, série qu'il réalise seul finalement.
C'était en 1996, j'ai toujours le manuscrit chez moi. Pour ce projet, il fallait que je travaille le réalisme tout seul, sans l'aide de quelqu'un comme Jean-Charles. J'ai fait des essais, et je n'ai pas été suffisamment convaincu. J'avais un manque de confiance sur un dessin réaliste à l'époque.

Ex-Libris pour Gil St André (Libr. Objectif BD)Et l'histoire vous avait convaincu ?
L'histoire est très plaisante, très bien rythmée, mais je me sentais un peu éloigné de cet univers. Ça se passe à l'étranger, en Alaska, un univers que Marc connaît très bien, moi pas. A la différence d'un polar comme Gil St André qui se passe en France.

Les trames principales de Frank Lincoln et Gil St André sont identiques : le héros recherche sa femme disparue. Comment expliquez-vous cela ?
Mais c'est un hasard ! Les deux histoires ont été écrites au même moment, en 1996. Il y a peut-être un hasard bizarre : l'idée est similaire, j'ai eu Frank Lincoln dans les mains, j'ai repris St André . c'est peut-être moi le lien entre les deux ! (Rires)

Abordons maintenant vos rapports avec les lecteurs de Gil St André. Vous êtes passé de l'autre côté de la barrière, en quelque sorte .
Oui, mais j'avais déjà dédicacé L'Ecrin, j'y avais alors rencontré un public qui n'est pas si éloigné de celui de Gil St André. Dans les deux cas, on touche un lectorat populaire qui aime le polar. Malgré la différence de style, on est assez proche, Jean-Charles et moi, on appartient à la même "école".

Que retiendriez-vous de cette chance de travailler avec Kraehn ?
C'est une chance, certes, mais c'est aussi beaucoup de travail. J'avais tout à gagner à faire ce détour, à travailler le réalisme. Cela sera bénéfique pour ce que ferai après.

Le mot de la fin ?
Je suis très heureux que les lecteurs de Gil St André n'aient pas été déçu, et qu'ils m'aient fait confiance comme ils ont fait confiance à Jean-Charles.

Gil St André T4 par Vallée et Kraehn

Entretien réalisé par Brieg F. Haslé, au festival Quai des Bulles, Saint-Malo, le 28 octobre 2000.

 
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