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La Colonne - Tome 1 : Un esprit blanc, par Christophe Dabitch, Nicolas Dumontheuil (Futuropolis)

La Colonne

Tome 1 : Un esprit blanc

Scénario : Christophe Dabitch
Dessins et couleurs : Nicolas Dumontheuil

Futuropolis

Ainsi va la colonne...

Le titre, à lui seul, pourrait déjà tenir lieu d'engagement militaire. Il évoque presque les bruits de botte, les alignements "zimpeccables", les épaules saillantes, les épaulettes et les fusils rutilants, la moustache avantageuse, le vêtement bleu claquant et le drapeau flottant au vent. Ouvrir cet album confirme la nature de l'idée. Il est vrai que la couverture, déjà, en levait le voile : ce bleu-blanc-rouge tournant, cette mise en scène laissaient plus qu'augurer une belle épopée à l'ancienne.

Bref, qu'en est-il ? Il y a l'Histoire avec un "h" majuscule que les militaires surtout et les historiens (au moins certains) s'enorgueillissent d'étaler dans les livres ad hoc, et il y a les petites histoires que la grande préfère ignorer. Christophe Dabitch et Nicolas Dumontheil s'attardent sur l'une de ces petites histoires, parfois croustillantes, souvent dérisoires, qui ont vaguement contribué à l'Histoire. En l'occurrence, des beaux salons parisiens aux méandres inexplorés de la savane africaine en passant par les bureaux des Armées, les maisons closes – la soldatesque a le droit et le devoir de s'amuser – et les bouges mal famés des villes coloniales – bis repetita –, deux ostrogoths en mal d'aventures africaines entreprennent de monter une expédition, la Mission Afrique centrale-Tchad, ou Mission Voulet-Chanoine, pour joindre deux possessions françaises, à une époque où les Grandes Nations se battent pour apporter la civilisation chez les sauvages. Voyage ambitieux mais ô combien nécessaire aux yeux de la soldatesque et de quelques opportunistes sentant là quelques aubaines économiques possibles... Du grand jeu, donc.

Autant écrire dès à présent que le scénario et le dessin, aussi décalés l'un que l'autre par rapport à la grandeur de l'expédition, ne laissent aucun doute sur le bilan de l'opération : échec total. Les auteurs la racontent sur un ton tragicomique, par le biais du dialogue entre un rescapé et "l'esprit" de la colonne, et l'on se laisse prendre au jeu. Et plus la colonne prend forme, plus l'on se demande comment une telle aventure a pu être possible.

Là où l'histoire est sans doute la plus pitoyable, c'est que l'histoire en question est... vraie. « La colonne Voulet-Chanoine a bel et bien existé. Elle s'est illustrée en Afrique de l'Ouest, entre le Sénégal et le Tchad actuels, en 1899 », peut-on lire en fin de préface, laquelle a été écrite par Venance Konan, journaliste et écrivain ivoirien, qui « ne connaissait pas l'histoire de la colonne Voulet-Chanoine avant d'avoir lu le scénario [...] Personne autour de moi non plus [...] Oh, j'ai lu beaucoup d'histoires de ce genre sur la "pacification" et la "civilisation" de mon continent. Mais je ne connaissais pas celle-là. Tous les Africains devraient la connaître. » "Illustré" n'est d'ailleurs pas forcément le mot qui convient à la lecture de cet album : nos deux aventuriers engagent des dizaines de tirailleurs sur place, leur laissant ensuite large part d'appréciation pour remplir leur devoir. Résultat, partout où la Colonne passe, tout ou presque trépasse...

Il est fort intéressant, et bien utile, que des auteurs déterrent des aventures donquichottesques de ce genre discrètement cachées sous le tapis de la chose militaire ou étouffées par le vent de l'Histoire, et qui éclairent pourtant ô combien la nôtre. Ne reste qu'à souhaiter que le second volet du dyptique garde la même fraîcheur d'esprit et le même regard surpris devant la bêtise humaine.

Tant va donc la colonne en Afrique qu'à la fin...

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Mickaël du Gouret

Du même scénariste :

Jeronimus  - T3: L'Île, par Christophe Dabitch, Jean-Denis Pendanx Mauvais garçons  - T1-2: Solea 1 - Solea 2, par Christophe Dabitch, Benjamin Flao
25/09/2013