Fraternités
Tome 1 : 1792 : L'Ordre guillotiné
Scénario : Jean-Christophe Camus
Dessins : Ramon Rosanas
Couleurs : Dimitri Fogolin
Delcourt, collection Histoire et Histoires
Saga familiale maçonnique
Après avoir commencé à publier l'adaptation en BD des enquêtes du commissaire Marcas, maître franc-maçon, créées par Jacques Ravenne et Eric Giacometti, les éditions Delcourt poursuivent ce même créneau avec une nouvelle série historique. Elles jouent ainsi sur le terrain de deux spécialités de son concurrent Glénat : d'une part la saga familiale, ici les Baudecourt, famille de francs-maçons, d'autre part la franc-maçonnerie. Elles se payent même le luxe d'une préface de Didier Convard, spécialiste du genre avec sa saga Le Triangle secret et sa collection Loge noire chez Glénat, que l'éditeur annonce bien clairement en couverture. Celle-ci, avec son grand compas et sa grande équerre croisés, affiche clairement son positionnement.
Faut-il pour autant penser à une simple démarche markéting ? Non, comme le souligne Didier Convard dans sa préface, il s'agit d'un "des plus beaux exercices de style sur ce sujet" et d'un "récit d'une intelligence et impartialité remarquables servi par un dessin magnifique". L'histoire débute en 1778 avec un mystérieux assassinat. Elle reprend quelques années plus tard sous la Révolution. La terreur de 1792 gronde. Louis XVI, devenu le citoyen Capet attend son procès perdu d'avance. Son cousin, le duc d'Orléans, Grand Maître du Grand Orient de France, a pris le nom démagogique de Philippe Égalité. Un groupe d'hommes avides de pouvoir veulent accentuer le chaos propice à leur enrichissement. Les francs-maçons critiqués par l'abbé Lefranc comme les artisans du complot révolutionnaire leur paraissent d'excellents bouc-émissaires... La famille de Gaston Baudecourt, patron de presse éditant le journal Fraternité et maître de la loge des Neuf Soeurs en réchappera-t-elle ?
L'avis de Didier Convard se confirme en tout point. L'histoire se lit comme un récit complet même si les personnages se retrouvent dans le prochain épisode, en 1804, année de la proclamation du Premier Empire de Napoléon 1er. Avec ses intrigues entremélées, ce thriller bien mené remet en cause la fantasme des francs-maçons à l'origine de la Révolution française (les francs-maçons étaient dans les deux camps et le Grand Maître du Grand Orient dans l'entourage du roi). Il explique la première théorie du complot ourdie par un représentant de l'Église. Instructif, le récit très documenté de Jean-Christophe Camus évoque l'initiation de Voltaire, présente des temples et décors maçonniques, en dévoile des valeurs à commencer par la fraternité et les engagements qu'elle implique, ou évoque la création d'une loge. Surtout, en s'appuyant sur les mythes autour de deux frères, il souligne les parts d'ombre et de contradictions des personnages. La mise en images et en couleurs donne une très belle lisibilité et exécution de l'ensemble, même si on aurait aimé plus de décors et moins de gros plans.
Difficile d'en dire plus sans "avoir la gorge tranchée" quand on sait que le frère Guillotin est à l'origine de l'instrument de mort qui porte son nom et figure aussi en arrière plan de la couverture. À vous de découvrir les secrets de cette excellente bande dessinée.
