Auracan » chroniques » Les filles de Salem : Comment nous avons condamné nos enfants
Les filles de Salem : Comment nous avons condamné nos enfants, par Thomas Gilbert (Dargaud)

Les filles de Salem

Comment nous avons condamné nos enfants

Scénario, dessins et couleurs : Thomas Gilbert

Dargaud

Abigail, Bridget, Sarah et les autres...

Une plongée passionnante et terrifiante dans l'univers étriqué et oppressant de la colonie de Salem, en Nouvelle-Angleterre, au 17e siècle. Un village dont le nom restera tristement célèbre pour l'affaire dite des « Sorcières » qu'Abigail nous raconte, elle qui, à 17 ans, fut une des victimes de l'obscurantisme et du fanatisme religieux à l'oeuvre. Tout commence quand un jeune garçon lui offre un joli petit âne en bois sculpté...

L'affaire des Sorcières de Salem a donné lieu à de nombreux écrits, essais historiques, romans, films, pièces de théâtre et (inévitable) série télé. Cet épisode fort sombre de l'Histoire américaine nous est cette fois narré en un imposant album de près de 200 pages par Thomas Gilbert. L'auteur a choisi de nous le raconter via l'histoire d'Abigail Hobbs, l'une des condamnées. Thomas Gilbert prend le temps de développer son sujet et peu à peu, des faits anodins, innocents, des coïncidences et des quiproquos prennent un caractère satanique au regard d'une communauté puritaine . Un groupe de femmes (et quelques hommes) se retrouve confronté à des peurs, des superstitions, des jeux de pouvoir, des vengeances... Un redoutable et écoeurant melting-pot qui va éclater en une sorte d'hystérie collective, une chasse aux sorcières qui s'inscrira dans l'Histoire, avec plus d'une centaine d'accusés et une vingtaine d'exécutions.

L'approche de Thomas Gilbert est terriblement humaine. L'album ne comporte pas vraiment de connotation fantastique, mais l'auteur y dénonce plutôt les faiblesses, puis les bassesses d'une communauté en crise, qui stigmatise son profond mal-être sur un groupe d'individus qu'elle choisit de condamner aveuglément. En ce sens, Les filles de Salem trouve hélas encore une réelle résonance avec certains événements très actuels et donne à réfléchir. On pense bien sûr aux droits et à la place des femmes, encore trop souvent bafoués. Mais aussi à d'autres minorités, d'autres groupes étrangers ou différents trop facilement montrés du doigt.

Alors que la tension et l'injustice dominent de plus en plus, Thomas Gilbert choisit choisit de torturer son dessin. Ses personnages se font de plus en plus grimaçants, traduisant toute l'horreur de ce qui est en train de se jouer, de ce qu'ils sont en train de commettre. De quoi illustrer le sous-titre glacial de cet album : Comment nous avons condamné nos enfants. Même si l'histoire est connue, on conserve un espoir jusqu'à son dénouement, mais les doutes et l'intelligence du juge Sewall ne font pas le poids face au fanatisme du pasteur Parris et de ses fidèles. 

Le destin des Filles de Salem ne peut laisser indifférent. Sur cette tragédie, l'auteur signe un album soup de poing, véritablement bouleversant et de la lecture duquel on ne sort pas indemne. Un des grands albums de 2018, à n'en pas douter. Alors qu'il fait exprimer par l'un de ses personnages, témoin de ce qui se déroule, l'espoir qu'on ne se souviendra pas de Salem à cause de ce procès, l'Histoire nous démontre que l'on n'oublie pas, et que l'on se souviendra longtemps encore...


Partager sur FacebookPartager
Pierre Burssens
09/10/2018