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Prendre refuge, par Mathias Enard et Zeina Abirached, Zeina Abirached (Casterman)

Prendre refuge

Scénario : Mathias Enard et Zeina Abirached
Dessins : Zeina Abirached
Couleurs : N/B

Casterman

Loin des yeux, pas du coeur...

1939, Afghanistan. Autour d’un feu de camp, aux pieds des Bouddhas de Bâmiyân, une voyageuse européenne, Anne-Marie Schwarzenbach, tombe amoureuse d’une archéologue. Cette nuit-là, les deux femmes l’apprennent par la radio, la Seconde Guerre mondiale éclate. 2016, Berlin. Karsten, jeune Allemand qui se passionne pour l’Orient rencontre Nayla, une réfugiée syrienne, dont il s’éprend, malgré leurs différences. A travers ces deux récits entremêlés, deux histoires d’amour atypiques, comme un écho à deux époques complexes, se tissent au fil des pages. 

Ils figurent en couverture, apparaissent de nombreuses fois dans l'album, jusqu'à être dynamités par l'Etat Islamique...et pourtant, d'une certaine manière, ils sont encore là...  Les Bouddhas de Bamiyân s'intègrent au récit de Mathias Enard comme des symboles intemporels, alors que Prendre refuge nous présente deux histoires d'amour se déroulant en deux époques tourmentées. A travers ces histoires, l'auteur, Prix Goncourt 2015, confronte l'intime à l'Histoire, à l'actualité pour la relation de Karsten et Nayla, et nous décrit la manière dont deux relations, deux histoires d'amour, peuvent être influencées et fragilisées par le(s) contexte(s) dans lesquelles elles prennent naissance et se développent.

Le récit est sobre, tout en retenue et en sensibilité, et c'est en étant associé au dessin de Zeina Abirached qu'il prend toute sa dimension. En effet, dans un premier temps, la dessinatrice s'est véritablement appropriée le texte et a assuré le découpage. Le travail des auteurs s'est ensuite effectué quasi simultanément, l'écriture du texte accompagnant celle des images.

Il est vrai que l'album surprend. Tout au long des presque 350 pages de cet imposant ouvrage, la dessinatrice conjugue langage BD et recherche graphique dans un très beau travail en noir et blanc. Les très grandes cases sont privilégiées, de même que les images en pleine page ou même en double page. Zeina Abirached s'octroie l'espace nécessaire à faire partager au lecteur les émotions et sentiments des protagonistes entre séquences  contemplatives et scènes davantage dynamiques

De page en page, on va ainsi de surprise en surprise, tant les audaces et trouvailles graphiques sont nombreuses. Et on s'y attarde avec plaisir pour profiter et apprécier pleinement cette approche hors du commun.

En outre, à travers l'utilisation de différents symboles, et du Prendre refuge, notion bouddhiste déclinée sous différentes formes et jalonnant l'intrigue et les dialogues, les auteurs confèrent au récit une dimension universelle non dénuée de poésie. Loin des sentiers battus, même de ceux du roman graphique, Prendre refuge propose véritablement une expérience de lecture différente, mais assurément séduisante. De quoi laisser libre cours à sa curiosité !

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Pierre Burssens

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