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Enferme-moi si tu peux, par Anne-Caroline Pandolfo, Terkjel Risbjerg (Casterman)

Enferme-moi si tu peux

Scénario : Anne-Caroline Pandolfo
Dessins et couleurs : Terkjel Risbjerg

Casterman

La matière des rêves

Entre la fin du XIXe et le milieu du XXe siècle, femmes, pauvres, malades et fous n’ont aucun droit. Parmi eux, Augustin Lesage, Madge Gill, le Facteur Cheval, Aloïse, Marjan Gruzewski et Judith Scott sont enfermés dans une société qui les exclut. Ils vont pourtant transformer leur vie en destin fabuleux. Un jour, du fond de leur gouffre, une inspiration irrépressible leur ouvre une porte. Sans culture, sans formation artistique, ils entrent comme par magie dans un monde de créativité virtuose. Touchés par la grâce ou par un super-pouvoir de l’esprit, ils nous ont laissé des œuvres qui nous plongent dans un mystère infini.
 
C'est dans l'univers étonnant de l'Art brut que nous fait pénétrer Enferme-moi si tu peux, et ce par une réunion imaginée de six de ses représentants. On découvre ainsi les destins singuliers d'Augustin Lesage, Madge Gill, le Facteur Cheval, Aloïse, Marjan Gruzewski et Judith Scott. Aucun d'entre eux n'avait au départ de désir ni de formation artistique. Avaient-ils seulement une idée de ce que pouvait être l'Art ? Et pourtant, au coeur d'un mystère toujours non élucidé pour nos esprits cartésiens, chacun d'eux, un jour, s'est mis à créer, à s'exprimer d'une manière jusque-là insoupçonnable pour des personnalités simples aux itinéraires souvent sombres si pas carrément tragiques.
 
Anne-Caroline Pandolfo structure son récit en six chapitres. Chacun d'eux est consacré à l'un de ses créateurs. Comme liaison, elle imagine et donne vie à une rencontre entre eux, ailleurs, dans la lumière. Pleins d'humanité et d'humour, les échanges qui s'y déroulent ouvrent à une belle réflexion sur les notions de normalité, de folie ou de différence et de la peur qu'elle engendre...  Quant aux chapitres biographiques, forcément succincts, ils se révèlent à chaque fois surprenants, intrigants. Parmi ces artistes -presque malgré eux, le Facteur Cheval et son Château des rêves nous est peut-être le plus familier, mais les autres histoires, notamment celles liées au spiritisme d'Augustin Lesage, Madge Gill ou Marjan Gruzewski sont aussi fascinantes que déconcertantes.
 
Terkel Risbjerg adapte son dessin au sujet et à ces personnages hors normes et, pour l'occasion, s'affranchit lui aussi de certains codes de la BD. De nombreuses planches s'approchent ainsi davantage de la composition graphique en une page ou double page que d'un découpage traditionnel. Et pour celles qui se plient à cette dernière et classique pratique, les contours des cases disparaissent, de même parfois que leurs formes angulaires. L'ensemble, pourtant, fonctionne bien, reste aisément lisible et entraîne le lecteur dans un élan créatif qui fait écho à l'inspiration pratiquement irrépressible qui, à un moment, a animé les six artistes auquel est consacré l'album.
 
Nous vous avons présenté, il y a peu, chez le même éditeur Petit Pierre, la mécanique des rêves de Daniel Casanave et Florence Lebonvallet, que nous avons beaucoup apprécié. Et c'est avec le même plaisir que nous avons découvert Enferme-moi si tu peux, sur une thématique très proche, qui peut éventuellement en constituer un bien beau complément pour tout lecteur sensible à ces histoires de l'Art différentes et humaines !
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Pierre Burssens
07/05/2019