
Torquemada
Scénario : Bernard Swysen
Dessins : Marco Paulo
Couleurs : Benoît Bekaert
Dupuis, collection La véritable histoire vraie
Fanatique
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En 1474, Isabelle de Castille devient enfin reine, après bien des péripéties. Elle a épousé quelques années auparavant Ferdinand, héritier de la couronne d'Aragon dont il héritera en 1479. À eux deux, ils réunifient ainsi l'Espagne et deviennent les rois catholiques. Dans leur ombre agit un moine bénédictin particulièrement austère et dévot : Tomas de Torquemada. Il est convaincu que les royaumes de Castille et d'Aragon doivent être sauvés des hérétiques. Il y consacrera sa longue vie. Premier Grand Inquisiteur espagnol, ombre noire du pouvoir, il va donner une dimension brutale et violente aux jugements et persécutera les juifs espagnols sans relâche. Il mourra à 77 ans après avoir rédigé le Code de l'inquisiteur qui sera utilisé durant des années. Il serait responsable de 2 000 exécutions et de 100 000 cas examinés au cours de sa carrière.
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Entré dans l'Histoire entouré d'une très sombre légende, présent dans de nombreuses fictions (comme récemment, en BD, le tome 1 de Jacob Kayne au Lombard), Tomas de Torquemada reste pourtant un personnage relativement peu connu, les fantasmes prenant souvent le pas sur la réalité historique. C'était donc incontestablement un bon sujet pour la collection La véritable histoire vraie, scénarisée par Bernard Swysen et consacrée aux méchants de l'Histoire. Et on en apprend effectivement beaucoup à la lecture de l'album consacré à ce fanatique, essentiellement axé sur son effrayante carrière et son rôle tant au sein des intrigues de cour, à la jonction du Moyen-âge et de la Renaissance, qu'à la tête de sa réputée sainte (!) Inquisition.
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Alors que les fanatismes et intégrismes religieux sont bien présents aux infos quotidiennes, il est assurément intéressant d'assister à la montée en puissance, réfléchie et orchestrée, de ce funeste personnage vers les plus hauts échelons du pouvoir de l'époque en Espagne. On suit ainsi l'ascension d'un monstre, mais surtout la mise en place d'un outil de répression aveugle et impitoyable qui allait attribuer, selon ses objectifs, une géométrie variable à la notion d'hérétique.
L'ensemble aurait pu donner lieu à un récit d'une noirceur absolue, et c'est là que ce Torquemada constitue une bonne surprise. En effet, et de manière nettement plus marquées que dans d'autres volumes de la collection, les auteurs conjuguent l'Histoire -aussi noire soit-elle- à l'humour. Et dans ce cas précis, ce dernier suffit à désamorcer, au premier degré, les côtés les plus tragiques du récit. Bernard Swysen allège ses textes, évite les lourds narratifs, les détail inutiles et parsème ses dialogues de jeux de mots et de références amusantes. Son Torquemada y gagne quelque chose rappelant parfois Mel Brooks ou les Monty Python.
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Le trait de Marco Paulo (auteur notamment d'un album consacré à l'enfance...fantasmée de Bart de Wever !) fait le reste. Dans un style évquant Gotlib ses personnages sont particulièrement caricaturaux, parfois grimaçants, et nombre de situations évoquées débouchent sur des gags (au moins) visuels. Certains y relèveront peut-être une forme de mauvais goût, mais il fallait sans conteste donner dans l'énorme et l'humour très noir pourrendre digeste pour un large public l'histoire de la folie de Torquemada et les horreurs commises sous son inspiration.
Jean-Pierre Dedieu, historien spécialiste de l'histoire de l'Espagne et de son inquisition signe une intéressante préface, et le code de l'Inquisiteur, rédigé par Torquemada annexé au récit, ne présente, lui, pas la moindre soupçon d'humour... Ce tome qui permet en même temps de sourire et de réfléchir représente donc une réussite dans une collection aux sujets aussi audacieux que délicats à traiter.