Zaroff

Scénario : Sylvain Runberg
Dessins et couleurs : François Miville-Deschênes

Le Lombard, collection Signé

Double traque

« Je m'appelle Fiona Flanagan. Vous ne me connaissez pas, général Zaroff… Et pourtant, il y a peu, vous avez changé ma vie. En tuant mon père, lors d'une de vos sordides chasses à l'homme. Je me propose de vous rendre la pareille !  Mes hommes ont retrouvé votre soeur cadette et ses trois enfants. Ainsi que l'île qui vous sert de repaire… Et cela m'a donné, à mon tour, des envies de chasse !  Qui, de vous ou moi, trouvera votre soeur et ses enfants en premier ? À l'instant où vous lirez ces mots, ils seront déjà sur votre île. Si c'est moi qui les rattrape, je les tuerai. Si c'est vous, il vous faudra les défendre. Car je n'aurai de cesse de tous vous chasser et de tous vous abattre. Afin qu'il ne reste aucun Zaroff en vie dans ce monde. »

Inspiré d'une nouvelle de Richard Connell publiée en 1924, le film Les chasses du Comte Zaroff sorti en 1932 a durablement marqué les spectateurs de l'époque et l'histoire du cinéma. François Miville-Deschênes et Sylvain Runberg ont imaginé, en BD, une suite au récit original. Zaroff, fou de chasse à l'homme, devient à son tour gibier face à la fille d'un chef de gang irlandais de Boston, abattu lors d'une de ses précédentes chasses. Fiona Flanagan débarque sur l'île entourée de ses hommes de mains, et avec pour otages la soeur du Comte et ses neveux. Zaroff doit retrouver ceux-ci, les sauver, sauver sa peau, mais l'instinct du chasseur reprend vite le dessus, ce qui se concrétise en une double traque sans pitié, d'un côté comme de l'autre.

Les auteurs situent leur déclinaison du mythe en 1932 et respectent les codes de l'époque, mais le scénario de Sylvain Runberg est lui, traité de manière tout-à-fait contemporaine, ce qui aboutit à un implacable thriller, en mode survival. L'auteur, en nous montrant un Zaroff en situation de (relative) faiblesse, joue habilement sur l'ambiguïté du personnage. De plus, celui-ci a trouvé un adversaire à sa mesure. Fiona Flanagan, sous le trait de François Miville-Deschênes, est une beauté, mais le qualificatif de fatale lui est assurément indissociable.  Zaroff, criminel, chasse pour assouvir sa monstrueuse passion, alors que la vengeance a fait de la jeune femme un fauve.

Au cours du récit, dominé par l'action, il est intéressant de voir le doute gagner les deux groupes engagés dans un jeu de massacre. L'autorité de Fiona est contestée par son gang devant faire face au redoutable Zaroff  et à ses pièges dans un environnement hostile, alors que sa soeur Katarina et ses enfants prennent conscience que leur sauveur est avant tout un personnage monstrueux.

Sur le rythme d'enfer imprimé par Runberg au récit, on prend à nouveau toute la mesure du talent de François Miville-Deschênes qui transcrit cette histoire en cases et planches somptueuses. Tout y est soigné, les détails sont nombreux, mais si on prend plaisir à s'y attarder, cela ne nuit en aucun cas à leur efficacité. Les paysages de jungle luxuriants évoquent un autre film célèbre de la même époque, le King Kong original de Schoedsack et Cooper. Là aussi les auteurs sont fidèles au Zaroff originel, le film Les chasses du Comte Zaroff ayant été co-réalisé par Ernest B. Schoedsack et tourné dans les mêmes décors...

Par la forme comme par le propos, Zaroff se révèle particulièrement impressionnant et gagnera très probablement sa place, justifiée, parmi les grands crus BD 2019. Et si sa conclusion, inattendue et fort joliment amenée, laissait espérer une suite...?