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Seules à Berlin, par Nicolas Juncker (Casterman)

Seules à Berlin

Scénario, dessins et couleurs : Nicolas Juncker

Casterman

Deux femmes dans une guerre d'hommes

Berlin, avril 1945. Ingrid est allemande et sort de plusieurs années d’enfer sous le régime nazi. Evgeniya est russe et vient d’arriver à Berlin avec l’armée soviétique pour authentifier les restes d’Hitler. La première est épuisée, apeurée par les barbares qu’elle voit débarquer chez elle, tandis que la seconde, débordante de vie et de sollicitude, est intriguée par cette femme avec qui elle doit cohabiter. Mais chacune tient un journal intime, ce qui permet au lecteur de suivre peu à peu la naissance d’une amitié en apparence impossible.

A priori tout oppose Ingrid et Evgeniya. Seulement voilà, elles sont femmes et immergées dans le chaos de la chute de Berlin, un chaos que des hommes essayent de régir et au milieu duquel ils tentent de satisfaire leurs ambitions...et leurs instincts ! D'abord méfiantes, les deux héroïnes de cet album vont être amenées à se côtoyer et lentement à s'apprivoiser le temps que durera leur rencontre, se confiant prudemment, l'une à l'autre, notamment à travers leurs écrits respectifs.

Nicolas Juncker choisit d'aborder un aspect très peu évoqué de la fin de la deuxième guerre mondiale avec ce roman graphique qui ne peut laisser indifférent. Inspiré par des témoignages authentiques, l'auteur constuit son récit avec suffisamment d'humanité pour en rendre certains aspects particulièrement barbares relativement supportables au lecteur. Alors qu'Evgeniya est entraînée par ses supérieurs dans la recherche du corps d'Hitler -un pan du récit qui laisse heureusement filtrer quelques soupçons d'humour (très noir) bienvenus- Ingrid est, de son côté, victime de ces envahisseurs. En toile de fond, Berlin et les ambitions du Fuhrer tombent en poussière.

L'auteur procède à des choix graphiques audacieux pour porter son scénario en images. Ainsi, certains personnages semblent caricaturés et, souvent, alors que leur histoire est ô combien parlante, Ingrid et Evgeniya sont représentées sans bouche. Ce qui ne les rend pas inexpressives, bien au contraire ! L'album est presque totalement réalisé au lavis sauf quand la marée rouge envahit la capitale du Reich ou lors d'une fabuleuse note d'espoir à la toute fin du récit.

Remarquablement construit et assurément utile par sa remise en perspective de ce que l'Histoire nous présente encore trop souvent comme des exploits guerriers, Seules à Berlin -au risque de faire trébucher certains lecteurs par ce qui y est évoqué- est incontestablement un album qui ouvre les yeux sur certaines réalités et une lecture dont on ne sort pas indemne.

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Pierre Burssens
23/04/2020