Circé

La Magicienne

Scénario : Richard Marazano
Dessins et couleurs : Gabriel Delmas

Dargaud

Le miroir des Nymphes

Dans le chant X de l'Odyssée d'Homère et dans toutes les formes ultérieures de ce mythe, la magicienne Circé est présentée comme une femme fatale qui utilise le plaisir pour corrompre les sens des hommes. Raconté du point de vue de Circé, il se place du côté des femmes soumises à la violence de la domination masculine et contraintes de se défendre.

C'est à ce changement d'approche que nous convient Richard Marazano et Gabriel Delmas en revisitant cette étape du voyage de retour d'Ulysse vers Ithaque, après la victoire contre les Troyens. Au centre du récit, Circé, solitaire (ou presque) sur son île, avec son étrange miroir, révélateur, poli par les Nymphes. Avec l'arrivée d'Ulysse et de ses hommes, et surtout la confrontation de la magicienne et de celui que l'on nomme le Roi errant, ce n'est pas seulement à une remise en question des valeurs masculines que se livrent les auteurs, mais également à une dénonciation de la folie guerrière qui peut s'emparer des hommes et leur ouvrir la porte à des comportements...inhumains.

Peu d'action au premier degré, donc, mais des dialogues ciselés, traités à la manière d'une...tragédie grecque, ouvrant à une réflexion qui ne demande qu'à être approfondie ensuite par le lecteur. A ce thème original se conjuguent les choix graphiques de Gabriel Delmas, dans un style qui rappelle celui de certains grands dessinateurs italiens. Alors que l'on avance progressivement dans le récit, l'auteur laisse de plus en plus de place au noir, aux ombres, au mystère, à tel point que les visages des personages, dans certaines cases, semblent juste en émerger. Parfois il s'agit aussi de visions cauchemardesques, allégoriques et dénonciatrices, s'accordant au propos général de l'album. Le choix des couleurs renforce la sensation d'irréalité à laquelle sont sans doute confrontés Ulysse et son équipage.

Circé la magicienne est un album exigeant qui devrait cependant séduire les admirateurs de l'Iliade et de l'Odyssée et les amateurs de  mythologie classique. Mais la réflexion qu'il amorce en constitue un atout, comme l'originalité de son approche graphique qui mérite assurément un détour curieux.