Le Grand Mort
Tome 1 : Larmes d'abeille
Scénario : Jean-Blaise Djian et Régis Loisel
Dessins : Vincent Mallié
Couleurs : François Lapierre
Vents d'Ouest
Tout commença par une panne sèche…
Il était une fois une étudiante de la ville bien grognon à la recherche d’un endroit tranquille, sans tentation, pour se concentrer sur sa seule préoccupation du moment : réviser ses cours dans la perspective de ses examens tout proches. Une amie lui ayant suggéré de s’installer dans sa maison au fin fond de la Bretagne, la voilà partie. À peine arrivée, elle se rend compte que la vieille Deuche peine à démarrer, elle embarque un vélo-stoppeur qui l’invite dès que ladite voiture tombe en rade pour cause de panne sèche.
Dès lors, tout ira de travers, ou presque : elle reste dormir chez cet inconnu qui lui offre certes le couvert et le gîte, mais pas la botte, se réveille au premier chant des oiseaux et lit des vieux grimoires. La belle Pauline, bien que toujours bougonne, suit le jeune et calme Erwan, qui rend visite à un vieil homme aveugle… Tout est en place pour une histoire dont on a compris qu’elle sera hors du commun. La Bretagne, comme chacun sait, recèle des mondes parallèles où l’on peut se rendre si l’on en connaît la clé. Ici, il s’agit de larmes d’abeilles : glissées dans l’œil, elles ouvrent l’esprit vers un Petit Monde si proche de nous et pourtant presque inaccessible.
Le scénario est bien ficelé, le lecteur se laisse embarquer bien vite dans l’histoire, et si l’étudiante agace un peu, Erwan se pose en antithèse. Lentement mais sûrement, les rapports vont changer, même s’il faut du temps pour en mesurer la portée. Les graphismes sont de toute beauté, Vincent Mallié ayant mis un soin tout particulier à créer des visages forts pour ses deux personnages principaux ; pour élaborer un décor ambitieux, une nature presque idyllique, rehaussée par les couleurs lumineuses de François Lapierre.
Nonobstant nos deux héros, quelques protagonistes titillent le lecteur : maître Cristo, le vieil aveugle détenteur du grimoire, les prêtresses, l’hermaphrodite, et ce Grand Mort, donc, que l’on découvre en toute fin d’album. Ce premier opus d’une série qui devrait en compter 4 à 6 pose les jalons d’une aventure dont on devine déjà que, par la faute de notre charmante étudiante s’immisçant là où elle ne devrait pas, la fin en sera modifiée.
L’on peut y voir une dualité permanente, rêvée peut-être plus que voulue : la ville face à la campagne, une fille revêche face à un garçon placide, un monde réel et un autre univers, des visages réels parfaitement définis et ceux, presque lisses, des personnages du Petit Monde, un temps de notre réel face à un temps parallèle, la culture face à la nature, le savoir académique face au savoir ancestral ou parallèle, la vision réelle et la vision au-delà du monde réel… Mais déjà, des éléments vont s’inscrire en décalage - une invitation imprévue, un hermaphrodite, donc ni femme ni homme mais un peu des deux… - pour apporter cette touche qui fera bouger, en bien comme en mal, l’univers ici proposé.
Chaque série créée par Régis Loisel a suscité nombre d’interrogations. Celle-ci ne devrait pas déroger à la règle…