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Animal’Z, par Enki Bilal (Casterman)

Animal’Z

Scénario, dessins et couleurs : Enki Bilal

Casterman

Ainsi parlait Bilal

Voici donc le fameux one-shot d’Enki Bilal
que Louis Delas, directeur général de Casterman, attendait depuis l’entrée de cet auteur-phare de la BD dans son équipe. Et sur lequel il misait beaucoup après la fin de la Tétralogie du Monstre. Qu’en dire ? Enki Bilal continue, persiste, pousse encore plus loin dans la voie qu’il s’est ouverte au milieu des années 1980.

Ici, il s’agit d’une « anecdote », la rencontre fortuite de quelques personnages lors d’une fuite de l’espèce humaine pour la survie – mais pas seulement – à la suite d’un cataclysme et d’errements humains. Pour le coup, en termes de cataclysme, Enki Bilal s’inscrit dans les inquiétudes du moment : un « COUP DE SANG, nom du dérèglement climatique brutal et généralisé qui s’est abattu sur la Terre. La planète est totalement désorientée, dévastée, morcelée par des catastrophes naturelles hors normes. »

Enki Bilal reste, certes, sur ses sujets de prédilection, ses futurismes en cours d’intégration par la société, ces choses, ces évolutions technologiques qui, si elles ne sont pas encore diffusées dans la société, pourraient l’être. Ambiances prémonitoires. Et les greffes, les hybridations animales dont il parle – d’où le titre – ne sont pas tout à fait « hors jeu », pour paraphraser un de ses précédents opus.

L’auteur réussit pourtant à innover, à se renouveler. Ainsi, le scénario est moins dense, moins étouffant – peut-être moins à ressorts compliqués –, mais, l’auteur glisse, ce qui est déroutant, nombre de citations d’écrivains, de philosophes, dans ses pages, incitant le lecteur à la réflexion. Exemple : « “On ne se rencontre qu’en se heurtant, et chacun portant dans ses mains ses entrailles déchirées accuse l’autre qui ramasse les siennes.” Flaubert. À méditer », dit le cavalier. À obliger le lecteur à méditer et à se poser la question de la portée des phrases, oui, à n’en pas douter…

Élément particulièrement fort de cet album, Enki Bilal glisse vers le dépouillement au niveau du dessin. Certes, ce mouvement a été entamé auparavant, mais ici, ce dépouillement, ou plutôt cette sobriété est la base même du choix graphique. Bilal pousse ses crayons dans la direction déjà pressentie dans la Tétralogie du Monstre, optant pour le crayon sur un papier sombre à gros grain, avec un usage a minima de la couleur – rouge, en l’occurrence, plus des réhauts de blanc et un peu de bleu, pour donner de l’humanité à ses personnages comme aux animaux, de la profondeur aux objets. Ce minimalisme permet d’accentuer les détails, les yeux notamment, leur donnant une force rare. Ainsi d’un personnage faisant penser aux nomenklaturistes de Partie de chasse.

Déroutant, dérangeant, surprenant, oppressant, intrigant, interrogeant
. En un « tournemot », cet album n’est plus tout à fait du Bilal, et pourtant c’est bien du grand Bilal. Bilal un peu plus loin, en quelque sorte…

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Mickael du Gouret
02/04/2009