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Un homme est mort, par Kris et Étienne Davodeau, Étienne Davodeau (Futuropolis)

Un homme est mort

Scénario : Kris et Étienne Davodeau
Dessins et couleurs : Étienne Davodeau

Futuropolis

L’indispensable de l’année

Cela fait quelques années que j’entends parler d’un projet conçu par le jeune scénariste Kris, déjà auteur des remarqués Toussaint 66 (avec Julien Lamanda), Le Déserteur (avec Obion) et du récent Monde de Lucie (avec Guillaume Martinez). Au cours de nos rencontres en terre brestoise, il m’a souvent évoqué un projet qui lui tenait particulièrement à cœur. Une histoire au titre prometteur, accrocheur dans le bon sens du terme, et particulièrement efficace. Ce titre : Un homme est mort.

Les amoureux du poète Paul Éluard se souviendront de son poème Au rendez-vous allemand célébrant le martyre de Gabriel Péri, homme politique français, injustement fusillé par les nazis en 1941 avec 74 autres otages juifs et communistes. Mais le récit de Kris ne s’intéresse pas à cette page de l’histoire française. Il se penche sur celle d’un tragique jour de 1950 où, à Brest, un manifestant va trouver la mort. En pleine reconstruction, après sa quasi totale destruction sous les bombardements de la Seconde Guerre mondiale, la ville de Brest renaît peu à peu de ses cendres. Pour cela, des milliers d’ouvriers, bretons et maghrébins, oeuvrent à sa renaissance. Mais les temps sont durs, et les luttes entre le patronat et la classe ouvrière connaissent leur paroxysme en avril 1950. Les chantiers brestois sont interrompus, les piquets de grève se multiplient, les ouvriers bouillonnent et réclament des augmentations de salaires… Puis vient le jour crucial du 17 avril 1950, celui de cette grande manifestation dont les vieux Brestois se souviennent encore aujourd’hui non sans émotion. Le jour de la mort du jeune Edouard Mazé, militant communiste, tombé sous les balles des forces de police venue en masse de tout le département…

Grâce à Gilbert Le Traon, directeur de la Cinémathèque de Bretagne, Kris a eu vent d’un film disparu, réalisé les jours suivants le drame, par un jeune cinéaste militant qui allait recevoir bien plus tard, en 1972, le Prix de la Critique internationale au Festival de Cannes pour son chef d’œuvre Avoir vingt ans dans les Aurès. Son nom : René Vautier. Et c’est l’histoire de Vautier, sa venue à Brest, la réalisation de ce petit film intitulé Un homme est mort (en référence au poème d’Éluard déclamé sur la bande-son du film, où le nom de Péri était judicieusement remplacé par celui de Mazé) et l’incroyable engouement qu’il suscita dans les fédérations militantes, brestoises puis finistériennes, que ce formidable album nous raconte.

Rejoint en cours de route par le dessinateur Étienne Davodeau, après l’abandon d’Oxo, jeune dessinateur brestois, Kris nous offre ici un petit bijou de narration. Et très probablement son meilleur album. En reconstituant un fait réel, certes tragique mais appartenant à l’histoire locale d’une ville, en ressuscitant le travail disparu de René Vautier, en sortant de l’oubli un récit poignant, en le hissant au rang d’exemple salvateur à ne pas réitérer, Kris et Étienne Davodeau signent ensemble un album fort, très fort. Merci à eux pour ce remarquable travail de mémoire.

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Brieg F. Haslé

Un homme est mort bénéficie d’un copieux dossier où Kris revient sur la genèse de l’album complété d’éclairages fort documentés signés de l’historien de la reconstruction brestoise Pierre Le Goïc, de la spécialiste du cinéma militant Kristen Falc’hon, de Pierre Cauzien, acteur des événements de 1950, et d’un portrait du réalisateur René Vautier. Passionnant.

Exposition Un homme est mort au 26e Festival Quai des Bulles de Saint-Malo du 3 au 5 novembre, puis à la Galerie du Quartz de Brest du 8 au 24 novembre dans le cadre du 21e Festival Européen du Film Court. Rencontre autour d’Un homme est mort et du cinéma militant avec Kris, Étienne Davodeau, René Vautier, Pierre Le Goïc, Tanguy Péron (animée par Brieg Haslé, journaliste BD) à l’amphithéâtre Guilcher de la Faculté Victor Segalen de Brest le mardi 14 novembre à 18h30.

Pour en savoir plus : Dossier dédié sur le site de Futuropolis

19/10/2006