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Entretien avec François Bourgeon & Claude Lacroix


Claude Lacroix et François Bourgeon© Casterman

C'est avec grand plaisir que nous avons rencontré François Bourgeon - récemment couronné pour l'ensemble de son oeuvre au Festival de Charleroi - et son complice Claude Lacroix. ils nous ont conviés à un voyage dans le monde des Confins en compagnie de Cyann et son équipage...

La sortie du deuxième album du Cycle de Cyann est accompagnée d'une véritable encyclopédie sur les Confins, le monde où vit votre héroïne. La création de ce livre était-elle prévue depuis Io création de la série?

Bourgeon: Absolument! Lorsque nous avons commencé à dessiner le premier album du Cycle de Cyann, nous avions déjà l'idée de publier un ouvrage complémentaire, la Clé des Confins . Nous souhaitions partager, avec nos lecteurs, les informations qui nous ont été nécessaires pour construire cette histoire. Certaines d'entre elles ne sont pas incluses dans La Source et la Sonde ou dans Six Saisons sur Ilo . II s'agit d'histoires que nous nous racontons et que le lecteur n'a pas forcément besoin de connaître pour comprendre le récit. Par exemple: différents détails sur des animaux.

Lacroix: Voilà, Messieurs, l'interview est terminée! (Rires)

Après avoir pris goût aux récits historiques (Les Passagers du Vent et Les Compagnons du Crépuscule), vous avez donc décidé d'écrire un récit de science-fiction. Pourquoi avoir choisi ce genre plutôt qu'un contexte contemporain?

B: J'ai voulu réaliser un autre type d'histoire afin de répondre à un désir de changement et de défi. Pour un artiste, il est important de ne pas se répéter... Pourquoi la science-fiction ? Ce genre me permettait, tout comme les récits historiques, d'inclure des idées ou des messages contemporains à une histoire. Et puis, les histoires contemporaines ramènent automatiquement le lecteur dans son actualité. Or, un des mes objectifs lorsque j'écris un récit est de faire rêver le lecteur à travers les aventures de mes héroïnes. Si je partage des messages consciemment ou inconsciemment avec le lecteur, tant mieux! Mais ce n'est pas mon but...

Tenues de travail aux Mauvaises Terres
Tenues de travail aux Mauvaises Terres

La plupart de vos histoires sont très denses, elles pourraient facilement être adaptées au cinéma... Après la lecture du Cycle de Cyann vos lecteurs doivent avoir envie de palper et de visiter cet univers...

B : Je ne crois pas qu'une adaptation cinématographique serait facile. Un réalisateur pourrait, sans doute, faire un film en respectant la trame des deux albums de Cyann. Mais il serait obligé d'y consacrer un budget colossal car le respect de l'univers des Confins implique la création de maquettes, des costumes, des décors... Ce problème ne s'est pas encore présenté pour cette bande dessinée. Cependant, j'ai été confronté à ce dilemme pour Les Passagers du Vent . Les personnes qui désiraient en faire un film n'avaient pas les budgets suffisants... Il y a également une autre contrainte importante. Le créateur peut voir son univers lui échapper totalement. Les producteurs vont accepter d'investir dans un film à condition d'avoir la possibilité de réaliser une suite à cette histoire. Ce second film ne serait pas forcément dépendant de nous... Ce film peut ne pas correspondre à nos envies (c'est un risque à assumer en fonction des réalisateurs) et nous serions privés d'une partie de nos libertés futures... Et ça, il n'en est pas question! De plus, le réalisateur peut tomber dans une certaine facilité: dessiner un dogodon (un animal aquatique), c'est facile! Mais l'équipe technique d'un film aura quelques problèmes pour l'animer. Le réalisateur va se dire que cet animal n'a pas un rôle important dans le récit. II l'oubliera donc vite... L'équipe technique remplacera, par facilité, les enquêteurs (un oiseau) par des mouettes. Pourquoi ne pas les peindre en bleu? Ce serait aussi bien... L'adaptation du Cycle de Cyann au cinéma ne fait pas partie de nos objectifs et de nos préoccupations.

Vous n'avez jamais eu envie de travailler pour le cinéma?

B: J'ai déjà une expérience dans ce domaine. Je n'étais pas mécontent des scénarios que j'avais écrits avec d'autres personnes... Mais le cinéma est un milieu particulier où l'argent prime! Avant de penser à un scénario de film, le scénariste doit penser au budget. Le cinéma est aussi un milieu humainement difficile car les gens y sont souvent sans aucune parole. II y a trop de concessions à faire si un auteur travaille avec cinquante autres personnes. J'ai travaillé huit ans avec Claude Lacroix, sur le Cycle de Cyann, en totale harmonie et sans aucun coup de gueule! C'est à privilégier...

Enquêteur
Enquêteur

Justement, comment gérez-vous, en pratique, cette collaboration?

B: Nous réalisons les fondements du récit ensemble. J'ai dessiné l'entièreté de toutes les planches du Cycle de Cyann. Notre histoire est cohérente grâce au travail de Claude lacroix. Nous avons construit ensemble les décors, inventé différentes techniques, calculer la révolution des planètes ou le nombre d'anneaux que contient Ilo... Nous avons écrit ensemble l'histoire et je réalise moimême le découpage. Claude le lit et me donne son avis. II me propose alors différentes suggestions. Nous avons toujours un échange permanent entre nous sur le scénario ou le dessin. Claude réalise une grande part de la "recherche documentaire" et invente différents véhicules. Si je dessine un de ses véhicules sous un autre angle, il n'hésitera pas à me corriger et à me faxer un autre dessin. Disons que je réalise la partie apparente du travail. Sous cette apparence se cache un mille-feuilles!

L : Et je suis la crème. (Rires)

(Rires) Pourquoi poussez-vous le perfectionnement jusqu'aux calculs?

B : Cela ne nous amuse pas. Mais nous avons besoin de croire au monde que nous avons inventé. Lorsque vous voyez des incohérences dans un film, l'ambiance est cassée. Pendant le restant du film, vous attendrez avidement la prochaine erreur... Nous ne voulons donc pas avoir ce type de coupure dans notre imaginaire. Cette démarche satisfait également notre curiosité. Pourquoi la terre tourne-t-elle de cette manière? Pourquoi voit-on toujours la même face de la lune... Ce sont des questions que nous nous posons dans la vie courante sur notre environnement. Nous pouvons aussi nous les poser lorsque nous inventons une histoire. Dès que nous nous interrogeons sur un problème, nous devons trouver la solution. Sinon, nous dessinerions n'importe quoi. Si nous croyons au monde que nous avons créé, le lecteur va nous suivre...

Châssis-cadre Dyneo
Châssis-cadre Dyneo, produit par Vanndomotive, système de base nu à cabine standard

Avez-vous montré vos travaux à des spécialistes?

L : Oh! II ne faut pas trop pousser! (Rires) C'est un travail en longueur, mais aussi en profondeur. Nous essayons que notre histoire ait... Euh!? Je ne trouve plus le mot juste.

B : Bref, tu as mis le doigt dans la crème. (Rires)

La façon dont vous expliquez le monde des Confins aux lecteurs est-elle importante?

L : Oui. II est nécessaire d'expliquer certains éléments au lecteur afin qu'il comprenne l'histoire. Mais nous devons garder une part de mystère dans cette explication. Nous devons éviter de lui donner un cours... A travers ce récit d'aventure, nous nous posons des questions sur le monde de Cyann. II nous faut donc savoir y répondre. Sans tricher!

B : Si Cyann part de la ville d'Olh pour se rendre à un autre endroit, nous devons savoir quand elle va arriver: le jour ? la nuit ? Va-t-elle dormir dans un cargoplon (engin de transport transocéanique) ou dans un vla (véhicule léger aérien) ? Ces détails nourrissent le récit et nous permettent de raconter une histoire à plusieurs degrés de lecture. Lors de sa deuxième lecture, le lecteur va découvrir des éléments peu importants qu'il n'avait pas remarqués la première fois...

Vos lecteurs partagent-ils avec vous cette redécouverte du monde de Cyann?

B : En effet! Nous avons reçu récemment une lettre écrite en alphabet Olhien. C'est formidable de remarquer que des lecteurs analysent notre souci du détail pour s'amuser. Cette personne a relevé les tags dessinés sur les murs, les différentes inscriptions en alphabet Olhien et a découvert que nous avions inventé une langue. Cette lettre ne contenait pas beaucoup de fautes d'orthographe... Ce sont des petits détails qui permettent aux lecteurs d'avoir plusieurs heures de lecture en plus!

L : Grâce à la Clé des Confins, le bédéphile a aussi une vision différente et supplémentaire de l'univers de Cyann par rapport aux albums.

écajol
Écajol

Avez-vous créé certaines espèces animales simplement par amusement?

B : II n'y a pas de règle. Parfois, nous dessinons un animal pour nous amuser et il trouve naturellement sa place dans le récit. II sera peut-être facteur de nouveaux événements. Par exemple, l'écajol (un petit rongeur joueur et câlin) était simplement un animal de compagnie. Sa présence a généré des événements. Dans le premier album, la Source et la Sonde , la fuite de l'écajol va permettre à nos personnages de découvrir un clos. Grâce à cette séquence, le lecteur a découvert des fleurs qui auront une importance prédominante dans le deuxième album... Tout cela grâce à un petit animal qui n'était pas prévu! Il est également possible que nous ayons besoin d'un animal qui possède une utilité dans le récit: nous avions besoin d'un animal de selle et, suite à une multitude de croquis, le trotil est né.

: D'ailleurs, nous avons payé cet écajol fort cher! C'est un très bon scénariste. (Rires)

Grâce à l'univers de Cyann, vous vous déchaînez dans la création de néologismes. Certains mots sont graves (braxorb, crassou), d'autres plus légers (versaï, volupe) voire humoristiques: un éditeur mythique s'appelle Kasteman...

B : Nous avons réalisé la démarche inverse que celle effectuée pour les Compagnons du Crépuscule . Pour cette série, je recherchais des mots anciens qui résonnaient encore à l'oreille contemporaine. Les lecteurs pouvaient donc comprendre des mots "bizarres". Pour le Cycle de Cyann , nous avons cherché des mots relativement simples et nous y avons ajouté un radical (ou une consonance) qui va évoquer quelque chose. Par exemple le tann (le nid où les gens vont dormir) fait penser à une tanière. Lorsque le mot nous permet d'y ajouter un peu d'humour, nous ne nous en privons pas. II y a eu une certaine recherche dans la création de néologismes pour les mots qui n'existaient pas dans notre langue. Pour les autres, nous nous bornons à être des traducteurs d'Olhien en français moderne. Nous n'allons pas réinventer le mot bouteille si cet objet a le même usage sur Olh...

Claude Lacroix, pourquoi avez-vous accepté de travailler avec François Bourgeon ? Quelles ont été vos motivations ?

L : François et moi-même avions déjà envisagé plusieurs fois de réaliser ensemble un récit de science-fiction. II était relativement intéressé par ce genre de projet. Mais il a aussi l'habitude de travailler sur une base documentaire importante... Je me suis proposé de l'aider à trouver une documentation suffisante sur des mondes qui n'existaient pas! Dès qu'il a accepté ce principe, nous avons établi une base de travail: il nous fallait accepter les implications de mes créations dans l'histoire mais aussi dans notre collaboration... C'est très stimulant, excitant, passionnant et captivant d'effectuer ce genre de recherche car François Bourgeon est un travailleur consciencieux. II se sert de mes recherches... C'est très important de ne pas avoir l'impression de perdre son temps. Cette collaboration est née naturellement car nous sommes de vieux amis.

B : Claude aime que son travail soit apprécié à sa juste valeur. Nous prenons beaucoup de plaisir à constater, lors de conférences, que les détails confidentiels inclus dans l'album (ils sont discrets et personnels) ont été remarqués par des lecteurs... Nous nous rendons compte qu'il y a un certain appel des lecteurs pour que nous continuions à perfectionner les aventures de Cyann. Lorsque nous avons reçu cette lettre en Olhien d'un lecteur, cela nous a donné envie de nous embêter à donner à nos personnages des caractères complexes, d'écrire en Olhien, ...

Vous basez-vous sur des bases scientifiques lors de vos créations?

L : (D'une voix enthousiaste) Oui. Nous allons vous donner un scoop. Nous avions inventé une rampe de lancement de navettes pour le premier album (cfr. planches 98 à 100). J'ai découvert récemment dans la revue américaine sur l'espace et l'aviation ( Aviation Week ) qu'un consortium étudie actuellement la même type de rampe. Le fonctionnement serait le même que celui décrit dans la Source et la Sonde . Cet article est paru en juin 1995, soit deux ans après la sortie du livre! Nos concepts ne sont donc pas entièrement faux...

Rampes

B : Tu as raison, Claude. Nous allons entamer une procédure juridique à l'encontre de ce consortium. Ils ont "inventé" ce procédé en lisant le Cycle de Cyann . (Rires)

L : (D'une voix passionnée) Non. La réaction de ce consortium est fort simple: ces procédés existent. II a simplement suffi que les chercheurs aient le déclic de les assembler... Lorsque les américains, les russes et les européens ont voulu créer un avion supersonique, ils sont arrivés à des solutions fort proches car ils sont partis du même problème!

Aprés la seconde guerre mondiale, Jean-Michel Charlier faisait les poubelles des bases américaines en Belgique pour trouver de la documentation pour Buck Danny. Claude Lacroix fait les poubelles de la NASA...

L : Bien sûr! Mais pourquoi ce consortium publie-t-il ses résultats après moi ? (Rires)

B : En fait, Claude Lacroix a accepté de collaborer avec moi pour le distraire de son travail pour la NASA. (Rires)

Barge Steickert
Variante pour passagers de la barge Steickert

Nous allons vous appeler professeur...

L : Non. Nous ne prétendons pas avoir inventé cette rampe. Nous avons simplement eu ce déclic avant ce consortium.

Vous inspirez-vous de données scientifiques?

B : Certainement. Le concept du voyage spatio-temporel, avec différentes boucles dans le temps, est à l'échelon scientifique totalement hypothétique et imaginaire. Mais des personnes sérieuses s'amusent à penser à ces voyages... Nous avons eu les mêmes raisonnements qu'eux lorsque nous travaillions sur les deux premiers albums du Cycle de Cyann . Claude m'a récemment montré un article sur ces voyages...

L : Nous n'avons rien inventé. Nous étudions et réalisons certaines suppositions sur certains procédés...

On ne peut pas tout savoir...

B : Nous savons ce que l'on a bien voulu nous dire! La science-fiction est pétrie par les déplacements dans le temps. C'est un des éléments les plus intéressants du genre.

L : Mais, non ! J'ai tout inventé! En 1990, je me suis télétransporté afin de voler l'idée de la rampe à ce consortium en 1995. Puis, je suis revenu en 1990 pour écrire mes conclusions sur cette invention. Le consortium m'a piqué l'idée peu de temps après... Voilà, vous savez tout! (Rires)

Nid de Zoade
Nid de Zoade

Dans la Clé des Confins , vous donnez à vos lecteurs une recette culinaire: le nid de Zoade. Vous conseillez aux lecteurs d'utiliser plusieurs ingrédients: des zoades, des champignons-lait, des algues noires, oeufs de lampion... Etes-vous certain que cette recette est mangeable?

B : Je n'en ai jamais goûté! Mais je soupçonne Claude d'en avoir déjà mangé lorsqu'il a rencontré le Vê. Il ne veut pas me l'avouer... L : J'ai essayé de cuisiner ce plat chez moi, mais je n'ai malheureusement pas trouvé ces ingrédients. Je me souviens d'avoir été marqué, lors de l'explication du Vê, par la galette de céréales. Celle-ci était cuite à la vapeur et le panier d'algues noires déteignait pour donner un goût délicieux à la galette. Mais attention à votre cholestérol car cette recette est une catastrophe à ce point de vue!

Cuisinez-vous dans la vie de tous les jours?

L : Je fais semblant!

B : lorsque Claude vient me rendre visite en Bretagne, nous sacrifions toujours une langouste! C'est devenu un rituel...

Les personnages du monde des Confins sont des êtres humains. Hormis le Vê qui semble être sorti d'un autre univers...

B : Les Vês ont comme ancêtres les êtres humains. Ils forment un véritable peuple qui vit à l'autre bout du temps. Ils ont une relative sagesse et sont à la recherche d'harmonie. Ils ont un regard amusé et tendre envers l'humanité qui les a précédés... Une personne de cette race est devenue notre informateur. Nous l'avons d'ailleurs écrit dans La Clé des Confins .

Volupes
Volupes

Certaines personnes disent que l'érotisme est un artifice qui fait vendre. Votre oeuvre comporte régulièrement quelques scènes érotiques...

B : L'érotisme peut faire vendre une série, mais aussi ne pas la faire vendre...

Au début des années '80, l'érotisme était en quelque sorte la marque de fabrique des éditions Glénat...

B : C'est vrai! Le temps était à vendre du "cul". Mais je n'ai jamais vraiment cherché à en faire. Les éditions Glénat m'offraient la possibilité de montrer ce que je voulais dessiner. Et ce sans aucune arrière pensée choquante. L'érotisme attire un certain public. Mais ces quelques scènes me ferment aussi des portes, par exemple les enseignants. Ceux-ci souhaiteraient se servir de mes bandes dessinées comme outil pédagogique. Mais s'ils montraient les Compagnons du Crépuscule ou Les Passagers du Vent aux enfants... Damned !

On entend d'ici les réflexions outrées: « Mais comment ? Vous avez osé montrer ces honteux petits dessins à nos gosses... »

B : Dans certaines librairies, sous un prétexte puritain, mes ouvrages ont été relégués au fond du magasin ou à l'étage supérieur du présentoir. Ce n'est pas un avantage... De temps en temps, je dessine des scènes érotiques pour me faire plaisir. Et si le lecteur y trouve son compte, tant mieux. Il faut pouvoir en parler normalement. Ce n'est pas parce que nous vivons dans une société judéo-chrétienne, puritaine et coincée, que l'humanité conservera jusqu'à la nuit des temps ces idées. Certaines séquences peuvent se rapprocher de la vulgarité. Mais il n'y a pas de raison de l'évacuer car il y a des
gens vulgaires. Je me pose des questions sur des problèmes beaucoup plus graves. Dois-je montrer des scènes violentes ? Autant cela ne me gêne pas que les lecteurs aient des pensées lubriques en lisant mes albums, autant je n'aimerais pas que certaines scènes incitent le lecteur à la violence...

Crassous
Crassous

L : II y a des lecteurs qui fantasment sur Cyann et qui aimeraient la couper en rondelles. (Rires)

Tout l'art de l'érotisme est de montrer certaines choses sans tomber dans la pornographie ou la vulgarité...

B : Oui. II y a une séquence d'exécution dans le Dernier Chant des Malaterre , je ne l'ai pas réellement montrée. Le lecteur devine le déroulement de cette scène grâce à certaines insinuations, mais il n'a rien vu. Il y a également une scène de viol dans cet album, mais j'ai d'abord recherché à privilégier l'aspect violent de cet acte et non l'aspect érotique. Cela deviendrait malsain! Mais j'espère que l'érotisme pur existera le plus longtemps possible en BD...

L'érotisme fait partie de la vie...

B : Oui. Les "puritanistes" sont assez bizarres. Dans certains films américains, il n'est pas question de montrer une personne nue et les héros ont un langage ordurier d'un bout à l'autre du film... Les gens acceptent ce qu'ils veulent bien admettre...

En tant que créateur, n'est-ce pas frustrant de savoir que vous n'aurez pas le temps d'aborder t outes vos envies ?

B : Oui. Mais quand vous voyez des jolies filles dans la rue, que pensez-vous ? Que vous allez toutes les aborder (Rires) . La vie est comme cela... Nous savons qu'elle est un passage limité et nous ne ferons jamais tout ce que nous avons envie de faire. Il faut s'en accommoder...

Vê

Souhaitez-vous continuer les aventures de Cyann ?

B : Lorsque nous avions commencé cette histoire, nous voulions la conclure en deux albums. Nous ne savions pas si nous aurions toujours envie de continuer à donner vie à Cyann ou même de collaborer ensemble. Cette histoire est donc bouclée en deux albums. Nos lecteurs ont dû connaître un sentiment de frustration car ils ont attendu de longues années avant de connaître les réponses aux questions posées dans le premier album. Aujourd'hui Cyann existe et a un passé que nous connaissons. Elle peut donc avoir un avenir. Nous avons donc décidé de continuer à raconter certains épisodes de sa vie. Du moins ceux que le Vê nous a révélés! De toute façon, quand Cyann naîtra, nos albums disparaîtrons... Elle ne les connaîtra donc pas. Mais il se peut que nous soyons victimes d'une manipulation du Vê. Nous racontons l'histoire qu'il veut bien nous conter... II est possible que le Vê se moque de nous en déformant la vie de Cyann. II a peut être une certaine forme de vanité! Mais après tout, les grands hommes ont leurs petites faiblesses! Nous ne comprenons pas tout ce qu'il nous dit car il y possède des technologies qui nous dépassent. Surtout les siennes, d'ailleurs (Rires) . Nous essayons de transcrire ses propos en fonction de notre compréhension...

Avez-vous déjà l'idée de la trame de vos prochaines histoires?

B : Nous, ouil ! Mais vous, non ! (Rires) C'est très dur pour un auteur de ne pas parler de ce qui excite ses neurones... Mais il faut se forcer...

Nous n'en connaîtrons donc pas plus concernant la suite des aventures de Cyann?

B : Non. Enfin, si! Nous pouvons quand même vous dévoiler quelques petites choses...

L : Ah Non ! Pas ça !

B : (Rires) . La prochaine aventure de Cyann sera bouclée en un seul album. Nous voulons récompenser le lecteur pour sa patience. Nous espérons ne pas mettre plus de deux ans à le dessiner...

Cyann
Cyann

L'univers de Cyann est tellement fabuleux et agréable qu'on a envie d'y rester après la lecture de l'album...

B : II n'y a rien de plus triste que de terminer un bon livre, c'est pareil. Le nombre de pages de ces deux albums représente le même nombre que ceux des Passagers du Vent . Nous avons dessiné plus de deux cents pages. Ce qui donne plus ou moins cinq albums de quarante-quatre planches. Nous aimerions travailler plus vite, mais nous n'avons pas envie de bâcler notre travail. Nous allons rebondir pour apporter, à chaque fois, des nouvelles aventures, nourrir l'ensemble du cycle et rester dans la continuité des éléments déjà apportés à l'univers. Nous retrouverons Cyann à chaque épisode et tenterons d'éviter de sombrer dans une certaine facilité...

Pourquoi avez-vous arrêté les Passagers du Vent et les Compagnons du Crépuscule ?

B : Je n'ai pas eu envie de continuer mes séries précédentes. Pourquoi n'ai-je pas eu la même réaction avec Cyann ? L'univers m'apporte une liberté beaucoup plus grande et la collaboration avec Claude Lacroix m'oblige à augmenter ma propre réflexion. Claude est un homme exigeant et m'oblige donc à motiver mes idées. Tant qu'il me regarde avec de gros yeux, d'un air: "Je n'ai rien compris!", je dois perfectionner mes propos... Aujourd'hui, je n'ai pas l'impression de m'ennuyer. J'ai même l'impression d'encore travailler sur un premier album. Pour les Passagers du Vent , je travaillais sur un rythme beaucoup plus rapide.
Je n'avais pas envie de dessiner toute ma vie des poulies et des cordages. Je n'aurais rien apporté de neuf aux lecteurs. Ils auraient lu des histoires, sans doute de moins bonne qualité, avec les mêmes personnages, le même bateau... II en était de même avec les Compagnons du Crépuscule . Claude et moi pouvons encore aborder beaucoup de domaines grâce au Cycle de Cyann. Notre collaboration est une véritable partie d'échecs et on invite le lecteur à jouer avec nous, à prendre plaisir et à découvrir les détails de notre histoire.

évonil
Evonil

Le mot de la fin, une dernière phrase empruntée au Vê?

B : Vous pouvez la trouver...

Propos recueillis par Nicolas Anspach et Marc Carlot en 1997.
Interview publiée dans Auracan n°20 (janvier-mars 1998)
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Droits réservés. Reproduction, même partielle, interdite sans autorisation préalable.
Photo de Claude Lacroix © Sagalyn, Casterman
Photo de François Bourgeon © Franciosa, Casterman
Visuels extraits de La Clé des Confins © Bourgeon, Lacroix, Casterman

Pour en savoir plus... sur François Bourgeon : découvrez notre dossier consacré à cet auteur.

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Marc Carlot & Nicolas Anspach
20/07/2006